Stratégie dans le Pot au Noir

Alors que les voiliers du Vendée Globe affrontent le Pot au Noir, zone de convergence intertropicale, Charles Caudrelier nous confie son analyse stratégique. Ce coureur au large - vainqueur de la Solitaire du Figaro en 2004, de la Volvo Ocean Race et du MOD 70 European Tour - a une affinité particulière pour la météo et la stratégie.
Commençons par la théorie. Le Pot au Noir est une ceinture de basses pressions, large de seulement quelques centaines de kilomètres du nord au sud. On le trouve à proximité de l'Equateur et il est formé par la convergence des masses d'air chaudes et humides anticycloniques, provenant des tropiques et portées par les alizés. Quand un skipper traverse le Pot au Noir, il rencontre des nuages élevés et très puissants appelés nuages de convection. Pour les concurrents du Vendée Globe, cette zone de convergence intertropicale est tout simplement un calvaire à affronter.
Le Pot au Noir est traversé par des vents extrêmement variables. Les skippers craignent les rafales de vent violent mais, par dessus-tout, ils redoutent de rester coincé dans des calmes interminables et de perdre beaucoup de milles. En 2007, sur la Transat Jacques, certains concurrents y avaient perdu près de 300 milles. Lorsque nous navigions à bord de Groupama pour la Volvo Ocean Race, nous en avions perdu 150. Et pour couronner le tout, les prévisions de vent sont complétement perturbées par la convection locale, c'est-à-dire les nuages. Pour la traverser, mieux vaut donc oublier les routages et suivre quelques règles.
Une arrivée en file indienne
Le Pot au Noir a une forme de diabolo. Il est plus étroit entre 26°W et 30°W et c'est à ce niveau qu'il est recommandé de le traverser. Les skippers cherchent à passer le plus à l’Est possible de cette zone pour raccourcir la route et bénéficier d’un meilleur angle de vent pour descendre ensuite dans l’Atlantique Sud. Mais plus on passe à l’Est plus le risque de calme est important. Si les nuages sont élevés, signe que le Pot au Noir est très actif, ce risque est énorme. Pour choisir leur point de passage, les navigateurs utilisent les photos satellites pour surveiller les zones de fortes activités nuageuses et ils utilisent des mesures de vent, toujours par satellite, pour visualiser les limites des zones de calme. Malheureusement il est difficile de prévoir l'évolution de ces masses nuageuses.
Stratégiquement il est osé de s’écarter de la flotte, les leaders du Vendée Globe se sont ainsi tous alignés pour entrer au même endroit dans le Pot au Noir et ils ont choisi un passage très à l’Est.
Le Pot au Noir s'est réveillé
Ces deux derniers jours, le Pot au Noir semblait peu actif, à peine marqué sur les relevés de vent et avec un ciel étonnement clair. Mais dans la nuit de dimanche à lundi, il s’est réveillé et de nombreux nuages se sont développés sur la tête de la flotte. Le passage risque d'être corsé.
Une fois entré dans le Pot au Noir, voici la marché à suivre: faire le bord le plus rapprochant vers le sud et si possible contourner les grains du bon côté, un grain qui se forme aspirant de l’air sur ses cotés, il faut donc passer à son vent, là où son propre vent vient s’ajouter au vent moyen. Un grain qui se dissipe (il y pleut) expulse de l’air sur ses cotés. La stratégie est alors d'essayer de passer sous son vent. Tout cela est toutefois très théorique et beaucoup plus compliqué dans un ciel couvert de nuages. La journée, il faut donc bien observer car la nuit les choses se compliquent. Heureusement, le radar aide bien les skippers car il distingue les zones de forte pluie.
Pour les 15 skippers encore en lice sur ce Vendée Globe, les 24 voire 30 prochaines heures vont être difficiles, le vent irrégulier va les obliger à manœuvrer beaucoup pour adapter la voilure et les réglages. Leur principale crainte sera de se faire prendre dans une rafale de vent qui casserait leurs voiles ou pire, leur mât.
A Propos de l'auteur: Charles Caudrelier est un coureur au large qui a une affinité particulière pour la météo et la stratégie. Vainqueur de la Solitaire du Figaro en 2004, il a remporté en 2012 la Volvo Ocean Race à bord de Groupama et plus récemment le Tour de l'Europe en tant que navigateur à bord du MOD 70 de Michel Desjoyeaux. Rattrapé par la fibre du coureur en solitaire et sa passion pour le grand large, Charles a maintenant un objectif: être au départ du Vendée Globe 2016. Il monte actuellement un projet en vue de cette épreuve, qui constitue son principal objectif à moyen terme.
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