Place à l'Atlantique

Par Figaro Nautisme

Enfin le cap Horn ! Pour la première fois dans l'histoire du Vendée Globe, deux bateaux franchissent le cap avec un écart infime: 1H15 après 52 jours de course, soit 0,1% d’écart sur près de 20000
milles de course !
François Gabart a essayé de comparer cet écart en utilisant l'exemple d'un sprint sur un 100 mètres mais ce n'est pas le plus parlant. Pour un sprint, l'écart entre François Gabart et Armel Le Cleac'h représente 1/100ème de secondes d’écart, soit 10 centimètres. Rien d’impressionnant finalement sur une finale olympique ! La route est quand même légèrement plus compliqué entre les Sables et le Horn qu’entre les starting block d’un 100M et sa ligne d’arrivée.

 

Un duel incroyable

 

Stratégiquement le Pacifique n'aura pas été passionnant à suivre car les portes très rapprochées
limitaient fortement les options. Il n'y a donc pas eu de choix compliqué à faire pour les deux leaders et leur poursuivant direct, Jean Pierre Dick, n’a eu aucune opportunité pour revenir.
Mais le duel de vitesse que se sont livrés les deux marins est incroyable. En solitaire, sur ce type de
bateau, réussir à tenir des moyennes aussi élevées et régater pendant plus d’un mois dans le grand
sud, sans aucune faute, est exceptionnel.

Certes, les deux leaders n’ont pas rencontré de très gros coups de vent mais la gamme de vent dans laquelle ils ont navigué est celle qui demande le plus de changements de voiles d’avant, de prises de ris et chacune de ces manœuvres est difficile dans le froid et la mer formée. Rappelons également que ce n’est pas forcément dans les vents forts que le risque est important. Celui d'une mauvaise vague augmente mais il est souvent plus compliqué et dangereux de naviguer dans 20 nœuds de vent avec les voiles de tête qu'avec un ou deux ris, une petite voile de capelage et 30/35 nœuds. En réduisant la toile, le centre de poussée des voiles baisse fortement et la stabilité de route du bateau augmente fortement. Il est aussi plus facile de gérer un grain avec des petites voiles en les roulants rapidement ou en abattant de quelques degrés. Avec les voiles de tête, tout est plus compliqué et on peut vite se retrouver dans une situation catastrophique dans un grain.
Techniquement, nerveusement et physiquement ils ont réalisé une performance incroyable.

 

C'est parti pour l'Atlantique Sud

 

Maintenant, ils entrent dans l’Atlantique Sud. La pression et le stress du grand sud vont disparaitre
mais ils vont vite être remplacés par celles des choix stratégiques. La prochaine semaine, qui va les
amener à rejoindre l’anticyclone de Sainte Hélène au large du Brésil, peut être capitale. Elle risque
d’être la plus compliquée à gérer à la table à cartes. La zone de transition entre le train de dépression du Sud et ce fameux anticyclone est une zone très instable. L’Amérique du sud est une zone de cyclogenèse c’est à dire une région où se forment des dépressions Elles ne sont pas très grosses et se déplacent vite. Les modèles ont beaucoup de mal à prévoir leur déplacement et leur évolution. Cette zone est aussi régulièrement traversée par des grands fronts froids issus des dépressions australes qui compliquent la météo.

De nos jours, les prévisions météo sont très fiables jusqu’à 4/ 5 jours. Dans le Sud avec une porte à
franchir tous les trois jours la stratégie était donc assez simple.
Là, le jeu se complique aussi car la voie est libre, il n'y a plus les portes de glaces qui fixaient jusque-là un objectif géographique. Par contre, les routes pour remonter vers l’Atlantique Nord passent toutes dans une zone de 50 /100 milles au large de la pointe nord-est du Brésil. A partir de ce point, on est sûr d’être dans l’anticyclone de Sainte-Hélène et on fait route au nord pour aller traverser l’équateur. Mais ce point est à plus de 3000 milles du cap Horn, soit au moins 9 à 10 jours de mer.

Dans ce type de situation, on fait des routages sur 7/8 jours, on analyse la trajectoire proposée
et on essaie de comprendre pourquoi il dessine cette route. Quels sont les phénomènes clés qui la
conditionnent et quelle sera la situation météo à la fin de ces routages ? Ici le routage bleu (figure 1) est le routage optimum à 8 jours vers la pointe NE du Brésil.

Mais si on regarde la situation à la fin de ce routage, le bateau se retrouve à 1000 milles de cet objectif face au vent. On utilise alors les isochrones. Les isochrones sont les lignes bleues très fines. Chaque ligne représente l’ensemble des points que l’on peut atteindre à intervalle fixe depuis le point de départ avec la prévision météo actuelle. Ici les lignes sont espacées de deux heures. Sur le dernier isochrone, on détermine l’endroit où l’on souhaiterait se placer pour la situation météo finale.

Ici j’ai choisi un point (nommé B sur le schéma) qui est seulement 50 milles derrière le routage
optimum mais qui place le bateau dans un vent de NE qui lui permettra de faire route directe vers
le Brésil. Dans ce cas, le choix est assez facile car la perte est faible et l’intérêt de se retrouver dans
cette position est capital.

Le choix est aussi simplifié par le fait que les deux routes sont identiques ou très proches (route
bleue et verte) pendant les prochaines 48 heures, donc pas de question à se poser: on peut suivre
cette route et attendre les prochains fichiers météo pour ajuster sa stratégie.

Hier soir le choix était beaucoup plus compliqué car les routes se séparaient très tôt et la route pour
rejoindre ce point B était très extrême et s’écartait beaucoup de la route directe. Les deux leaders
ont été patients, ils ont choisi de rester proche de la route directe pour attendre les nouveaux
modèles et surtout s’écarter de la zone d’icebergs.

C’est à ce genre de compromis et de choix que vont être confrontés les deux leaders dans les prochains jours. Cela pourra créer des écarts importants dans les trajectoires des bateaux et peut-être offirir une opportunité à Jean-Pierre Dick.

Pour les prochaines 24 heures, les deux leaders devraient donc rester sur une trajectoire assez proche et naviguer vers l’ENE. Ce matin au portant tribord amure, ils naviguaient devant une petite bulle anticyclonique qui va leur passer dessus et les ralentir fortement ce mercredi après-midi. Derrière cette bulle, ils vont récupérer un flux de nord. Demain jeudi, un grand front froid va les rattraper (figure 2) et apporter un flux de SW dans lequel ils vont devoir commencer à définir leur stratégie à long terme.

Cette semaine va donc être passionnante à suivre. Un autre élément qui va aussi être important est
l’état des bateaux. Il est difficile d’imaginer qu’après une telle bataille ils n’aient rencontré aucun
souci technique, abimé certaines voiles ou appendices qui vont leur être utile dans cette remontée.

Concernant les voiles, il faut savoir que le nombre de voiles à bord est limité et les deux skippers
n’ont pas fait les mêmes choix. Armel Le Cleac’h dispose d’un Code 0 très utile dans le tout petit
temps que les concurrents pourraient rencontrer dans des zones de transition. François Gabart, quant à lui, possédait dans le Sud une voile qui lui a permis d’économiser son génois, une voile qui pourrait aussi être clé pour cette remontée.

Pour les prochaines 24 heures, les deux leaders devraient encore rester ensemble et suivre à peu près la trajectoire de ces routages.

 

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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
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