Jules Verne, Hélène et El Niño

Le Trophée Jules Verne restera à sa place. La faute à Sainte-Hélène et probablement El Niño qui ont imposé trop de zigzags aux prétendants.
Alors que, Français de métropole, nous avons passé Noël au balcon pour cause de flux de sud omniprésent, quelques-uns de nos concitoyens s’évertuaient sur d’inconfortables embarcations à longer l’océan austral dans un froid glacial.
Ils étaient 6 forcenés menés par Francis Joyon sur son trimaran de 31.5 mètres et 14 acharnés menés par Yann Guichard sur son trimaran de 40 mètres. Chacun de leur côté, ils voulaient rafler le trophée Jules Vernes en battant le record du Tour du monde à la voile. Chacun de leur côté, mais les conditions météo exceptionnellement favorables le 22 novembre font qu'ils sont partis en même temps.
Le Trophée Jules Verne est un pari, né à une époque où il paraissait fou de vouloir faire en moins de 80 jours le tour du monde sur un voilier. C’était en 1993, et pourtant Bruno Peyron, le grand frère de l’actuel détenteur, avait réussi l’exploit de ne mettre que 79 jours et 06h à revenir sur la ligne de départ imaginée entre Plymouth et Ouessant.
Depuis, chacune des 9 tentatives s’est traduite par une amélioration du temps, de telle sorte que le record à battre, détenu par Loïc Peyron depuis 4 ans, est maintenant de 45 jours et 13 heures. Et on en restera là pour cette année.
Nos deux belligérants avaient pourtant réussi à s’échapper du Pacifique pour passer Noël en ayant laissé derrière eux le fameux cap Horn, cap de toutes les souffrances, cap de tous les coups possibles en météo. En particulier Francis Joyon, qui n’a jamais été chanceux sur cette course, passa le cap avec une lenteur toute sénatoriale qui ne correspond pas vraiment au personnage. Lors de ce dernier virage avant la remontée de l’Atlantique Yann avait pris 6 heures d’avance sur le temps à battre, Francis, malgré ses gros coups de mous, n’avaient que 3 heures de retard. Tout était encore possible.
Mais l’Atlantique Sud en a décidé autrement. S’étalant sur toute la largeur de l’océan, l’anticyclonique Sainte-Hélène a défié les concurrents en imposant ses calmes ici et là. Ils avaient beau essayer de finasser, les équipages se sont épuisés à tirer des bords onéreux dans de l’air évanescent. Et Yann arriva à l’équateur avec 1,5 jours de retard, Francis 2,5. IRRATTRAPABLE.
On le sait, c’est au retour dans l’Atlantique sud que se joue cette course. Les prévisions météo permettent de choisir le meilleur créneau de départ pour aller vite à l’équateur et cet hiver nos valeureux guerriers ne se sont pas loupés. Ils ont été les plus rapides de tous les temps en y arrivant en 5 jours. Mais comment prévoir les conditions de retour un mois plus tard dans l’Atlantique sud ?
On savait avant le départ qu’El Niño, ce phénomène périodique qui fait des siennes dans le Pacifique mais qui a des répercussions sur l’ensemble du globe, était particulièrement intense. L’étalement anormal de l’anticyclone de Sainte Hélène sur l’Atlantique Sud n’est probablement pas qu’une coïncidence. Il y a là un vrai sujet d’étude pour les prochaines tentatives.
Tout en partageant la déception des perdants de cette année, je reste amusé par le contraire de l’effet papillon. Comment un phénomène global se traduit par de petits battements d’ailes sur nos relativement minuscules trimarans ? Francis, avec qui j’ai eu l’occasion de travailler il y a quelques années, avait un principe que je ne partageais pas totalement « quand on est menacés par la pétole, il vaut mieux aller vite n’importe où, plutôt que de rester scotchés à subir ». Parfois la sortie ne se fait pas du bon côté et la multiplication des zigzags n’est pas toujours payante.
Bien qu’admirateur de La Fontaine, je redoute qu’en matière de course au large il faille revoir la morale « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ». Ici, il faut non seulement partir à point, ce qui a été magnifiquement fait pour ces 2 tentatives, mais il faut pouvoir courir tout le long du chemin avec la vitesse du lièvre sur une trajectoire de tortue.