« Je ne sais même plus à quoi ressemble un visage en trois dimensions »

Tels furent les mots de Jean-Pierre Dick à son arrivée lors d’une édition précédente du Vendée Globe. Cette année, pour la 8ème édition, Armel Le Cléac'h remporte la course.
Progressivement, le point sombre et lointain se précise, le flou de cette masse indéchiffrable se dissipe, de l’horizon se détache une digue minérale, cette rangée d’immeubles qui accueille les aventuriers des mers. La jetée de Port Olona fourmille d’une foule d’admirateurs, ils ont vécu par procuration l’exploit et s’apprêtent à accueillir Armel Le Cléac'h, ce héros des temps modernes.
Après des mois de navigations sous des latitudes hostiles, aux antipodes des préoccupations terriennes, dans une lutte avec soi-même, quotidienne, inlassable, confronté à une fatigue profonde liée à une vie de solitaire où la physiologie humaine doit sans cesse se forcer à s’adapter, le pionnier des foils bouillonne.
Effrité de l’intérieur, éreinté, buriné par les éléments, le corps cabossé par les embruns, les marins plissées par le sel et crevassées par le froid.. Dans un sursaut d’efforts il en oublie le bruit, l'effort, la cuisine en sachet, les accélérions sauvages, le sifflement de l’étrave, le grincement du gréement, la cabine monacale, le poids des voiles, le risque des manœuvres... tout cet environnement complice de longues semaines qui va s'évanouir sans transition à l’approche de l’arrivée, comme une vague scélérate, mais venue de la terre...
Le monde va cesser d'être un camaïeu de gris vaguement bleutés. Après la solitude, la foule, après le vide du quotidien et la tension de la course, l’effervescence médiatique et le tourbillon des pontons. Comment réagir ? Comment maîtriser ses émotions ? Se dresser victorieux sur le pont ou se réfugier sans sa cabine ?
Mais, le temps de la réflexion est un luxe que ces formules 1 des mers refusent de vous accorder. Les neurones peinent à se connecter, trop de fatigue et de lassitude pour s’appesantir sur ces considérations philosophiques. Les sollicitations incessantes de la course, les échanges avec la terre, la marche du bateau laissent peu de prise à cette langueur qui s’immisce sournoisement dans l’organisme Agir encore et toujours tel est le leitmotiv de cette expédition des temps modernes.
En véritables humanistes du sport, et malgré ce contexte éprouvant, le coureur doit savoir tout faire. Son métier de marin, bien sûr, mais bien d'autres qu'implique une machine aussi complexe qu'un bateau à voile. Il faut être mécanicien pour réparer le moteur, source essentielle d'énergie, électricien pour déceler les pannes du réseau électrique complexe qui nourrit tous les équipements. Les compétences informatiques sont indispensables pour résoudre les bugs des ordinateurs, calculer la route et recevoir la météo.
Enfin il faut savoir raconter son aventure pour les médias, valoriser l'investissement du sponsor. Un second marathon commence, propulsé dans la notoriété et ses sollicitations parfois indécentes.
Nous sommes jeudi 19 janvier 2017 et il est 16 heures, 37 minutes et 46 secondes. Pour écrire l’histoire, il ne lui restait plus qu’à gagner l’Everest des mers. Le nouveau temps de référence en 74 jours 3 heures 35 minutes 46 secondes restera gravée dans les océans.
Ce skipper hors norme aura quarante ans le 11 mai prochain, à la veille de la remise des prix du huitième Vendée Globe. Il y recevra le plus beau des cadeaux d’anniversaire, ce trophée qu’il convoite depuis dix ans ! C’est chose faites.
A l’instar de l’ensemble des concurrents, on vous admire Armel et vous forcez le respect. Chapeau l’artiste... et à bientôt pour de nouvelles aventures !