Transat Jacques Vabre : météo école - école de la météo...
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Sur cette route, les coureurs vont pouvoir aborder en très peu de temps tous les grands systèmes météo, ou presque. La date a quand même été choisie pour partir après la saison des tempêtes tropicales. Vous imaginez la flotte croisant une Irma sur sa route ?
Cette édition 2017 est exemplaire. Jugez plutôt, la succession des évènements vécus par ARKEMA.
Sortir de la Manche Est juste après le passage d’une dépression. Au près serré, pour remonter depuis le Havre vers la pointe du Cotentin, sous ciel de traîne qui offre classiquement averses (même de grêle) et vent d’W assez fort, 5 sur l’échelle Beaufort, avec bonnes claques, rafales à 6.
Passage des Raz de Barfleur et de La Hague contre un courant de marée montante qui s’installe et donne, coefficient de 107 oblige, des courants contraires de 10 nœuds à l’W de La Hague. Contraire à la route c’est une chose, mais presque contraire au vent qui a déjà halé le NW, c’est l’assurance d’une mer démontée et ingérable. Les multicoques de 15m s’interdisent évidemment ce passage et font le détour par le nord d’Aurigny.
Descente extrêmement rapide de la Manche Ouest agitée de son cruel clapot vers Ouessant où, par chance, le timing permet de passer avec le courant de marée favorable. Là on est en route vers une dorsale mobile qui arrive sur le golfe de Gascogne.
La dorsale est une crête anticyclonique qui assure la transition entre la dépression que l’on vient de quitter et la perturbation musclée qui arrive par l’W. Le vent de NW back (c’est le terme usité pour dire qu’il tourne dans le sens contraire des aiguilles d’une montre) à l’W en faiblissant rapidement. Tribord amure (vent venant de la droite), on doit s’enfoncer vers les calmes juste ce qu’il faut pour ne pas être englué et pouvoir ressortir bâbord amure (vent venant de la gauche) à la bonne latitude. Retrouver rapidement de la vitesse dans un vent plus vif. Virer quand on peut faire route vers le point où l’on a décidé de s’attaquer au front. Vous avez viré. Les vents faibles ne sont pas un moment de répit. Il faut régler en permanence le bateau pour qu’il progresse au mieux dans une houle d’W qui s’oppose à sa marche.
L’attaque du front. Le front c’est le mur d’air froid qui pousse devant lui de l’air chaud, relativement chaud, apporté par le flux de SW. On tourne donc le dos à la dorsale. Le vent de SSW fraichit, créant des vagues qui croisent la houle d’W. Mer de plus en plus pénalisante. Il faut passer ce front-là où il est le plus propre, là où la rotation du vent de SW au NW est la plus rapide, là où il ne risque pas de se créer une ondulation, c’est-à-dire le creusement d’une petite dépression secondaire qui engendrerait provisoirement des vents cafouilleux (pire que tout). Le point de passage est choisi. Il n’y a plus qu’à… plus qu’à se préparer à la pluie, la visibilité réduite, le renforcement du vent jusqu’à force 7 avec des rafales à 9 (fort coup de vent) et une mer très, très, difficile.
Derrière le front. Le vent vire (c’est le terme usité pour dire qu’il tourne dans le sens des aiguilles d’une montre) au NW. Le bateau va pouvoir enfin débouler vers le sud, à grande vitesse vers le Brésil. Mais on est de nouveau dans une traîne, la masse d’air qui arrive derrière le front est froide, très instable. Nombreux grains. Mer forte. Il faut forcément brider la vitesse du bateau si on ne veut pas que ça se termine mal.
Vers l’anticyclone des Açores. Le schéma est simple. En descendant le long de la bordure orientale de l’anticyclone, on voit le vent de NW tourner progressivement N puis NE. Un multicoque ne sait pas avancer vite avec le vent arrière juste dans l’axe. Il doit choisir son amure. Pour aller au sud il se met évidemment tribord amure dans le vent de NW, puis bâbord amure dans le vent de NE… il faut donc déterminer le meilleur moment pour empanner (changer d’amure par vent arrière) en fonction du cap que l’on veut faire. Théoriquement ça devrait être juste quand le vent est dans l’axe du cap à faire, en pratique le moment est délicat à trouver, parce que la direction du vent oscille toujours un peu. Empanner trop tôt c’est repartir sur un mauvais cap et rajouter de la route, empanner trop tard c’est aussi risquer de s’approcher trop du centre de l’anticyclone et donc des vents faibles. On surveille donc le comportement de l’anticyclone. On s’en méfie plus ou moins selon son histoire : est-il franc ? Solide ? Immobile ? Ou au contraire, est-il en train de se déplacer, s’étaler, se déformer. Faire avec l’essence même de l’anticyclone, sa nature, voilà qui nécessite une bonne analyse météo. Ça y est, vous avez empanné : en route vers l’alizé.
L’alizé c’est ce vent de NE, tellement fiable qu’on le surnomme l’autoroute. Sauf que les embouteillages peuvent surprendre aussi sur l’autoroute. Et c’est le cas cette année où la flotte va subir, entre la latitude des Canaries et celle du Cap Vert, le passage d’une onde d’Est.
L’onde d’Est est une perturbation qui se crée le long ses côtes du Sénégal dans des conditions particulières avec l’arrivée d’air froid descendant le long de la bordure de l’anticyclone des Açores, avant que celui-ci ne s’étale jusqu’à la péninsule ibérique. Cette onde tente de se structurer en voyageant vers l’Ouest. Porteuse de gros nuages orageux, elle force les vents au NE sur son avant et au SE sur son arrière. Elle a, en fait, surtout le don de casser l’alizé et de rendre toute la zone qu’elle traverse spécialement cafouilleuse sur 600km en longitude, 300 km en latitude. Inévitable. Vents moyens plutôt faibles mais grains orageux parfois violents. En saison plus chaude, cette zone est le berceau des dépressions tropicales qui peuvent dégénérer en ouragan. En novembre, on se contente de subir un système assez indéchiffrable car très mal organisé et au déplacement plutôt lent. Enfin, lorsque l’onde d’Est est derrière nous, on retrouve un semblant d’alizé qui nous mène assez rapidement au Pot-au-Noir.
Le Pot-au-Noir, lui est toujours là. Les météorologues parlent de Zone Intertropicale de Convergence qui est faite de la rencontre des alizés de NE de l’hémisphère nord avec ceux de SE de l‘hémisphère sud. La ZCIT, qui n'est ni continue en étendue, ni régulière en intensité, est le résultat du télescopage de masses d’air de caractéristiques semblables, chaudes et humides, et se traduit par de très puissants cumulonimbus développés jusqu’à 15 km d’altitude. Dans cette bouilloire la transition de 45 nœuds en rafales à calme plat se fait en quelques minutes. Il faut la traverser, comme on passe un gué en sautant de rocher en rocher, en s’accrochant de grains en grains. Ce front, c’en est un, oscille comme une onde sinusoïdale que l’on voit coucher sur la carte et l’idée est de viser le creux d’une vague en comptant sur sa remontée pour le croiser rapidement plutôt que de viser une crête qui ne peut que fuir vers le sud, c’est-à-dire faire route avec nous… faire durer la souffrance.
4° de latitude Nord. On s’extrait doucement de cette zone qui représente l’enfer pour s’accrocher à l’alizé de Sud-Est.
L’alizé de l’hémisphère sud. Encore plus fidèle que celui de l’hémisphère nord, enfant de l’anticyclone de Sainte-Hélène, il tourne progressivement à l’Est puis au Nord-Est le long des côtes du Brésil. Pas de surprise à attendre avant l’arrivée à Salvador de Bahia.
Les calmes à l’entrée de la Baie ne sont pas rares. Là, on entre dans le domaine de la météo locale avec ses brises thermiques et ses effets de reliefs.
La TJV n’est donc vraiment pas une simple course de vitesse et si elle s’apparente parfois à un vagabondage météo, elle nécessite un travail très scolaire pour parer les multiples embûches. En mer, que le meilleur gagne devient que le plus avisé gagne.
Ce 16 novembre à 08h 49 min 19 sec (heure française), Lalou Roucayrol et Alex Pella ont franchi à Salvador de Bahia la ligne d’arrivée de la Transat Jacques Vabre en vainqueurs de la catégorie des Multi50. La stratégie n’y est pas pour rien dans une telle victoire. Elle a été assurée par Karine Fauconnier forte de sa parfaite connaissance du bateau et par METEO CONSULT pour une assistance météo de haute précision.