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Le marin suisse connaît une nouvelle désillusion sur le tour du mondeen solitaire. Contraint à l'abandon déjà par deux fois, il se voit cette fois-ci disqualifié par le jury pour assistance après un arrêt technique en Nouvelle-Zélande.
Décidément, les vagues grégaires du Vendée Globe ont encore nié son droit de vaine pâture. Une mer qui depuis une trentaine d'années lui a toujours fait revêtir un ciré en camisole sacerdotale. Il y avait M le Maudit, voici B le Banni. Si Bernard Stamm, disqualifié mercredi par le jury du tour du monde pour une double infraction (lire ci-dessous), a décidé de faire appel de la décision des acharnés du règlement, indispensable dans toute compétition, son histoire dans la course des extrêmes trébuche malheureusement à nouveau. À 49 ans, l'Helvète repasse ainsi les plats avec la déveine.
Il y a des forêts vaudoises où l'on ne se taille pas qu'une réputation, sinon en dents de scie. Là où se forge la dureté au mal et où le feu de la jeunesse ne demande qu'à exulter. Les poutres maîtresses des pubs de Morges, non loin de sa ville natale de Genève, doivent encore en trembler tout comme les riverains exaspérés par les pétarades de ses motos débridées. Le bruit en Suisse n'étant toléré qu'au sortir des coucous, et encore, aux heures légales. Il y a aussi des périples de trimardeur autour de la planète cargo, tous également bien alambiqués. Les escales de Bernard Stamm, homme de pont du Silvretta, du Vanil ou du Panamax, à Karachi, Durban, en Russie, en Chine ou encore au Venezuela, toujours entouré de fiers-à-bras cosmopolites, ont tatoué d'inextinguibles souvenirs. Lors des retours sur ses vertes terres, les poches du jeune homme sont désespérément vides. Le poker est souvent menteur.
L'opportunité se présente alors sur la rive droite du Léman. Il a 24 ans. Un chantier naval y recherche un homme à tout faire. Pour les réparations des bateaux mais également pour mener les équipages de certains clients. Si le travail lui convient, les horaires ne sont toujours pas sa tasse de thé et l'eau douce, une aire aux horizons toujours bouchés. Son patron, Bouby, le comprend. Il donne à Bernard Stamm les coordonnés de propriétaires afin qu'il offre ses services pour effectuer des convoyages sur les océans. Après de multiples coups d'épée dans l'eau, un embarquement lui est enfin proposé de Fort-de-France à Saint-Malo. C'est le début de ses périples à la voile en terrain iodé.
De ses billots de vie, Bernard Stamm garde les ridules du plaisir. Au creux de la vague ou surfant sur celle de sa destinée, il a toujours su conserver le même optimisme. L'appel du large en compétition remplaçant d'une façon jubilatoire celui de la forêt. Cela sera d'abord la construction d'un bateau de 6,50 m pour courir la Mini Transat 95. À l'emporte-pièce, comme de bien entendu. Il termine sur la troisième marche du podium. Installé avec sa compagne Catherine à Lesconil, là où le Bigouden demeure suspicieux pour qui tourne autour de son bas de laine, il conçoit le projet curieux d'y fabriquer son propre 60-pieds. Ce dernier, Superbigou, est en fait construit non pas en usine mais sur une chaîne de solidarité. Faisant fi de certaines réticences locales. C'est aussi la course à l'échalote avec les banquiers. Avec son engin dessiné, entre autres, par Pierre Rolland, il remportera par deux fois Around Alone, le tour du monde en solitaire avec escales.
Le Vendée Globe est donc légitimement son Graal depuis les premières esquisses tracées. Malheureusement, depuis quinze ans, les ondes de choc ne l'ont guère épargné sur ce parcours aux intentions mal pavées. Deux abandons, en 2000 et 2008, et une non-qualification pour l'édition intermédiaire. «Dans mes échecs, j'ai toujours eu la chance de rebondir. Tout cela grâce à des rencontres. Mes amis côtoyés autour du lac Léman dans ma jeunesse comme Marc-Édouard Landolt, aujourd'hui disparu, son frère Pierre, Bertrand Cardis, le dirigeant du chantier qui a construit mon plan Kouyoumdjian sur lequel je vais courir cette édition 2012. Mais aussi la société Poujoulat qui a toujours été solidaire face aux imprévus depuis 2004», déclarait le Genevois en novembre dernier.
Le bateau sur lequel il s'échine depuis maintenant 54 jours (au moment de la décision d'un arrêt technique, il se battait pour la quatrième place), Bernard Stamm n'en est pas le propriétaire. Il appartient à la Fondation de Famille Sandoz, généreux mécène vaudois. Libéré des contraintes budgétaires, il savait néanmoins au moment du départ qu'il n'était pas exempt de responsabilités: «Un projet Vendée Globe est très lourd dans tous les sens du terme. C'est une passion dévorante mais j'aime bien et je mesure la chance que j'ai. Il est vrai que je ne suis pas sûr d'avoir toujours fait des choses raisonnables mais me voilà reparti. C'est certainement contraignant pour Catherine et nos deux filles mais nous avons une vie très riche. Si je voyais que c'était destructeur pour elles, je me poserais la question différemment.»
Cheminées Poujoulat est un coursier de dernière génération. Conçu donc par le Franco-Argentin Juan Kouyoumdjian, architecte notamment du Groupama 4 de Franck Cammas venant de remporter la Volvo Ocean Race. Il était et reste taillé pour la gagne. Bernard Stamm en connaissait une partie de ses forces: «Même si je manque de compétition avec lui, je pense bien cerner ses limites. Pour ma part, l'instinct de survie sera la mienne. Dans notre fonctionnement, cela nous met nos propres barrières. Il n'est pas plus dur que les autres. Et puis, la compétition est devenue plus serrée. Cela complique l'exercice plus sérieusement. Il faut tenir le choc physiquement. Les changements de voiles demandent puissance et endurance. J'ai l'âge de mes os, mais ne vous inquiétez pas pour moi.»
La casse de ses hydrogénérateurs, source d'énergie de son voilier, a donc démontré qu'il y avait des faiblesses. Elle ne remet pas en cause les qualités du marin. Reste à attendre la décision du jury après cette nouvelle infortune de mer subie par Bernard Stamm.
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