
Jusqu'au bout, il a chevauche la croupe des vagues. N'ecoutant en rien le belement des moutons d'ecume. La ligne d'arrivee a Dieppe, terme de cette Solitaire du Figaro-Eric Bompard Cachemire 2013, etait devant son etrave et lui tendait ses lauriers. Prolongeant ses bras de spi sans craindre l'etirement ultime, Yann Elies savait qu'il allait accomplir un exploit hors du commun. S'offrir pour la deuxieme fois consecutive la timbale, prouesse jamais realisee dans l'histoire moderne de la course reine. Seule une ultime glissade scelerate a plus de 18 noeuds, le rythme d'enfer soutenu depuis Antifer, pouvait le depouiller de ce que d'aucuns allaient qualifier de chef-d'oeuvre. A 22 h 05, samedi, terminant a 3 minutes derriere Adrien Hardy (Agir Recouvrement), vainqueur de la quatrieme et derniere etape, le skipper de Groupe Queguiner-Leucemie Espoir pouvait laisser exploser sa joie. Le compagnon du devoir devenait maitre.
Dominateur sur le premier troncon entre Pauillac et Porto, avec 44 minutes d'avance sur le deuxieme, protegeant son matelas sur le parcours vers Gijon, le Briochin d'origine avait connu une grosse frayeur lors de sa reptation vers Roscoff. Etai et espoir casses, il avait neanmoins continue son periple jusqu'a la baie de Morlaix. Se retrouvant des lors avec 32 minutes de debours sur le nouveau leader, Frederic Duthil (Sepalumic), et pres de trois sur le deuxieme, Morgan Lagraviere (Vendee), il ne pouvait qu'attaquer sur l'ultime bravade de 520 milles. Une etape menee sur la fin au-dela du raisonnable. «Ce sont les autres qui m'ont pousse. Il y en a toujours eu un pour mettre le curseur un peu plus haut. Une saine emulation, car, tout seul, tu ne vas pas aussi loin dans l'effort. Je savais que l'on mettait une "dose" aux autres mais que Xavier Macaire (Skipper Herault), a 13 minutes de moi au classement general, pouvait me menacer. S'il n'avait pas eu son probleme de ballast des le depart, cet ecart ne representait plus rien. Lui peut nourrir des regrets...»
Les flashs ayant fini leur agression stroboscopique, Yann Elies pouvait refaire la course avec ses dauphins du podium final, Xavier Macaire et Morgan Lagraviere. Deux hommes confirmant une fois de plus leur talent. En aparte, il glissait quelques mots sur ses comperes de viree ayant, eux aussi, dame le pion aux vieux loups de la classe. «Avec le talent qu'il a, je suis sur que Xavier gagnera un jour. Quant a Morgan, peut-etre qu'il n'a pas encore le mental quand c'est trop dur. Le bijou n'est peut-etre pas aussi brillant qu'on veut le dire. Je l'aime bien quand meme.» Quant aux cadors de la course au large, presents au depart a Bordeaux, les Jeremie Beyou (Maitre CoQ), 5e au general, Michel Desjoyeaux (TBS), 7e, ou Armel Le Cleac'h (Banque Populaire), 8e, point d'amertume en arrivant dans la marmite dieppoise. Les jeux etaient faits depuis longtemps malgre leur opiniatrete.
Le plus a plaindre etait evidemment Frederic Duthil. En terminant avec pres de deux heures de retard dans la nuit normande, la pilule etait saumatre. «J'ai explose mon spi la nuit precedant l'arrivee, alors que j'etais bien revenu dans le match. J'ai sans doute trop attaque. C'est la que je perds l'histoire, car il restait encore beaucoup de milles a faire avec des vents portants forts. Ce n'etait pas de chance encore une fois avec un probleme technique, et la desillusion a dure jusqu'au bout. Il faut maintenant que je digere tout ca et cela ne va pas etre facile.» Pour clore sa carriere de figariste, le Morbihanais va devoir se satisfaire d'une 6e place.