
Figaro Nautisme : Comment se spécialise-t-on dans le transport maritime... pour bateaux ?
Elodie Le Blevenec : Ce n’est clairement pas un métier auquel on pense quand on est enfant, entre aventurière et astronaute... Dans mon cas, c’est la résultante d’un parcours qui va explorer plusieurs facettes du nautisme.
Je commence à naviguer très jeune, lorsque mes parents me déposent sur un Optimist vers 4 ou 5 ans. J’accroche immédiatement et je suis la filière classique : 420, Laser, Dart, et je décide de lier l’utile à l’agréable en devenant monitrice fédérale de voile. Parallèlement, je poursuis des études d’économie et commerce jusqu’à obtenir une licence spécialisée cadre commercial du nautisme. A ce moment-là de ma vie, l’appel du voyage est le plus fort. C’est le début d’une expatriation qui va durer plusieurs années avec l’Australie où je vais travailler à l’établissement d’une concession BENETEAU puis les Antilles où je me professionnalise en passant mon « Capitaine 200 » pour me lancer en tant que skipper dans le charter et le convoyage.
En 2013, une rencontre va changer notre vie et nous mettons, avec mon compagnon, cap sur le Sri Lanka où nous créons Sail Lanka Charter, dans un pays où le yachting est inexistant. Nous proposons du day-charter, qui n’est pas encore dans les mœurs touristiques de la zone. C’est extrêmement... exigeant [rires] mais ça marche ! Nous passons d’une seule unité à 3 catamarans et une dizaine de monocoques ainsi que le recrutement, la formation et la gestion d’équipages locaux. Une expérience d’entrepreneurs intense et profondément enrichissante.
Pour diverses raisons, notamment familiales, nous rentrons en France. J’approfondis ma connaissance du charter en intégrant Océans Évasion, puis la grande maison Dream Yacht Charter. Un beau jour, le chantier Neel-Trimarans me propose de les rejoindre pour, entre autres, développer leur réseau de distribution. Là encore, une expérience hautement formatrice !
C’est lors d’un salon nautique que je rencontre Matthieu Le Bihan, fondateur de Sevenstar France. Il me propose de créer l’agence SYT à La Rochelle, véritable hub de la construction nautique. C’est ainsi que je me lance dans le transport maritime de bateaux, en 2020 !
Figaro Nautisme : Pouvez-vous nous présenter l’activité de Sevenstar ?
Elodie Le Blevenec : Sevenstar Yacht Transport est la division transport de bateaux d’un grand armateur hollandais plus que centenaire, Spliethoff Group. Sevenstar transporte des bateaux dans le monde entier, du semi-rigide jusqu’au patrouilleur de l’armée, en passant par la plaisance et grande plaisance, les bateaux de course au large, des barges, etc. Nous transportons vraiment tous types d’unités jusqu’à... 165 mètres de longueur, sur toutes destinations (même parfois les plus complexes !). Des bateaux d’Europe vers les Antilles ou les USA, depuis et vers la zone Pacifique, l’Asie et bien sûr la Méditerranée. Selon les destinations, les lignes sont logiquement plus ou moins saisonnières : par exemple, les transatlantiques d’Europe vers les Antilles sont organisées de Septembre à Janvier et les retours plutôt de Mars à Juin... D’autres destinations sont en revanche desservies toutes l’année : nous avons par exemple un navire tous les mois sur la ligne La Rochelle - USA !
90% des bateaux transportés le sont pour des clients professionnels (chantiers, distributeurs, loueurs, etc.). Mais nous transportons également de nombreux bateaux de propriétaires, qui s’évitent les aléas de certaines navigations délicates, s’offrent une pause dans un grand voyage ou encore préfèrent économiser l’usure de leur bateau.

Figaro Nautisme : Les bateaux sont de plus en plus grands, larges et lourds. Comment vous adaptez-vous à ces mensurations hors normes dans le transport ?
Elodie Le Blevenec : Nous le constatons tous les jours : à l’instar des voitures, les bateaux de plaisance sont effectivement de plus en plus volumineux ! Cette augmentation est un fait bien établi depuis de nombreuses années. Nous accompagnons cette évolution sans aucun problème puisque, selon nos navires, nous pouvons soulever des unités jusqu’à 2000 tonnes en combiné et à bord de nos semi-submersibles, embarquer des unités jusqu’à 7m de tirant d’eau... Nous avons donc une très grande latitude en ce qui concerne les bateaux de plaisance, y compris les très grands yachts. Nos équipes sont formées et spécialisées pour de tels chargements et nous avons des bers certifiés par Lloyd’s partout dans le monde qui nous permettent de transporter et caler tous types de bateaux.
Figaro Nautisme : Comment voyez-vous l’évolution du transport de bateaux par fret maritime dans les années à venir ?
Elodie Le Blevenec : Nous observons en parallèle une demande croissante des chantiers pour le transport d’unités plus petites. Nous avons développé ici à La Rochelle, un service spécifique pour le transport de ces bateaux avec 5000m2 de stockage à terre et un grand linéaire de pontons à flot, en plein cœur du port de commerce. Nous organisons la livraison des bateaux depuis les usines, les stockons et préparons sur nos installations le temps de les envoyer, en nombre, vers leurs destinations. Des solutions sur mesure et clé en main, qui permettent une réduction des coûts pour nos clients et une qualité de service inégalé.
La décarbonation est aussi une priorité pour notre groupe. Le Groupe Spliethoff investit dans de nouveaux navires plus vertueux, avec l’utilisation de biocarburants, l’installation de scrubbers (NDLR : des filtres placés dans les cheminées des navires qui permettent de baisser les émissions polluantes), des motorisations LNG innovantes (NDLR : utilisant des gaz liquéfiés), avec pour but la réduction croissante des émissions de CO2.

Figaro Nautisme : Sevenstar en chiffres ?
Elodie Le Blevenec : Nous transportons 2500 bateaux par an sur nos navires, dont environ 250 au départ de La Rochelle. Sevenstar, c’est un siège social à Amsterdam et 30 agences dans le monde qui desservent plus de 130 destinations. A La Rochelle plus spécifiquement, nous travaillons main dans la main avec une quinzaine de partenaires et prestataires locaux et opérons une vingtaine d’escales par an, ce qui représente quelques centaines de pains au chocolat pour le bon déroulé des opérations auprès des excellentes équipes dockers et équipages...
Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
Elodie Le Blevenec : J’ai eu la chance d’embarquer à bord du Vesterålen, le plus ancien navire de la flotte Hurtigruten, pour remonter la côte norvégienne et partir randonner dans les somptueuses Lofoten au printemps dernier. Un voyage père-filles inoubliable.
Quant à la prochaine, elle n’est pas encore programmée, mais je l’espère au long cours. En attendant, je navigue souvent et toujours avec grand plaisir sur les bateaux des amis, à La Rochelle, aux Antilles ou en Méditerranée.