
VIDÉO - Notre collègue Fabrice Amedeo bataille en tête de la Transat Jacques Vabre sur le Class 40 SNCF Geodis, en double avec Armel Tripon. Il pointe en 5e position ce mardi après-midi et l’arrivée se profile pour dimanche. Nous avons échangé avec lui sur sa première navigation dans l’hémisphère sud.
Figaro Nautisme: Vous êtes engagé dans une dernière ligne droite le long du littoral brésilien. Pas de stratégie au programme mais une course de vitesse. Est-ce frustrant ?
Fabrice Amedeo: Depuis le Portugal, nous tirons effectivement des bords à fond la caisse, le long des côtes africaines, dans les alizés et maintenant le long du littoral brésilien. C’est frustrant d’une certaine manière car nous avons un bateau d’avant-dernière génération donc moins rapide que les trois premiers. Les positions sont un peu figées. Mais c’est aussi agréable car nous avons repris des forces. Lors des premiers jours, nous avons énormément tiré sur le bateau et les bonhommes. Nous profitons maintenant du bonheur d’être sur l’eau et filons très vite sous pilote automatique.
Vous parlez d’un début de course éreintant. Vous êtes-vous senti en danger ?
Non, nous ne nous sommes jamais mis en danger. Au contraire, nous avons cherché à naviguer en bons pères de famille. Au large du Portugal, nous naviguions bien, en quatrième position, mais lorsque le vent est monté à 40 nœuds, nous avons décidé de réduire la toile. Nous avons protégé le bateau et contrairement à certains de nos concurrents – je croise les doigts – nous n’avons rien cassé jusqu’à maintenant. Nous avons également dû arbitrer le long des côtes de l’Afrique. Nous avions monté toute la toile, avec un angle serré et 30 nœuds. Le bateau enfournait dans les vagues. Tant et si bien que nous avons eu peur de le casser en deux. Nous avons donc affalé les voiles.
A quelle fréquence êtes-vous en contact avec la terre ?
J’appelle ma compagne et mes enfants un jour sur deux. C’est important pour des enfants aussi jeunes que les miens d’entendre ma voix. Nous échangeons aussi des mails avec nos sponsors qui nous encouragent. Et nous avons été en contact une ou deux fois avec la terre pour des questions techniques.
Quel a été votre meilleur moment de course ?
J’ai un penchant particulier pour les couchers de soleil et ceux dans les alizés sont spécialement beaux. Le long de l’Afrique, un ciel orageux, chargé, ne nous avait pas permis d’en profiter. Mais celui de vendredi soir, au chaud, sur une mer plate, avait des couleurs incroyables. C’était un très beau cadeau pour notre arrivée dans l’hémisphère sud, la première navigation de ce côté du globe pour moi.
Vous avez donc traversé votre premier Pot-au-noir, cette zone intertropicale caractérisée par son incertitude météorologique. Etait-ce stressant ?
Oui, du point de vue de la course, il y avait beaucoup à perdre. Mais ce n’est pas une zone particulièrement dangereuse pour les marins. Il faut être réactif. Je m’attendais en fait à des grains plus forts. Nous n’avons eu que 20 à 25 nœuds de vent au maximum. Pour le reste, le Pot-au-Noir ressemblait à ce que j’attendais : c’est une zone très grise, avec de gros nuages, qui provoque de belles accélérations comme de gros ralentissements. Tout le jeu est de trouver une porte de sortie et nous avons pris une bonne option sud avec Yannick Bestaven et Aurélien Ducroz (Watt & Sea). Une fois les gros nuages gris derrière nous, au bout de 36 heures, nous avons décroché notre récompense : le retour de la lumière, un vent de sud-est qui s’établit et qui permet au bateau d’accélérer. Le Pot-au-Noir était une belle première. J’ai aussi passé l’équateur pour la première fois. C’est purement symbolique mais franchir cette ligne en cinquième position de la Transat Jacques Vabre, cela fait plaisir !
Vous bataillez dur dans le premier groupe des chasseurs, avec Watt and Sea (Bestaven / Ducroz) et Groupe Picoty (Caso / Chappellier). Avec vous créé des liens ?
Oui et les liens qui se créent en mer, lors des navigations bord à bord, restent très forts à terre. Avec Armel, nous naviguions déjà bord à bord avec Yannick Bestaven sur la Solidaire du Chocolat donc nous ne nous quittons plus lors des transatlantiques ! Nous échangeons beaucoup avec la radio VHF. Idem avec le duo de Groupe Picoty, nos partenaires d’entraînement en Bretagne. Nous échangeons même des photos. Ils nous ont envoyé un cliché de Fernando de Noronha car leur bateau est passé plus près de cette île brésilienne.
Vous vous battez tous les trois pour la quatrième place. Quels sont les atouts de chacun ?
Ce sont des bateaux de même génération mais ils ne sont pas identiques. Watt and Sea est ainsi un peu avantagé en ce moment avec sa carène qui a plus de volume à l’avant. On voit qu’il est à l’aise. Groupe Picoty est identique à SNCF Geodis mais il n’a pas la même configuration de voile. Les choix faits à terre sont assez déterminants. Avant d’arriver à Itajaí, nous allons devoir traverser un front orageux à Rio, avant de déboucher sur une immense baie. Au fond, se cache la ligne d’arrivée. Mais en entrant dans la baie, la course sera loin d’être finie. Nous aurons encore 600 milles à parcourir soit environ 48 heures de navigation.
Ce sera alors la fin de votre sixième transatlantique, la troisième en double avec Armel Tripon. En quoi êtes-vous complémentaires ?
Je suis concentré sur les manœuvres alors qu’Armel s’occupe davantage de la stratégie. Il ne faut pas deux chefs à bord, c’est contre-productif, donc nous suivons ses intuitions et ses analyses. C’est une mécanique bien huilée. Notre duo fonctionne bien sur le plan sportif mais aussi humain : nous partageons le plaisir d’être sur l’eau avec bonne humeur.
Et pour l’année prochaine ? Est-ce votre dernière transatlantique en double ?
Oui, pour l'instant. En 2014, Armel partira en 60 pieds et je volerai aussi de mes propres ailes vers la Route du Rhum 2014 qui se joue en solitaire. Cette première incursion dans l’hémisphère sud donne envie d’aller plus loin. Quand tu franchis le Pot-au-Noir, tu n’as pas envie de mettre le clignotant vers le Brésil mais plutôt de continuer vers les mers du sud.