
Journaliste au Figaro et marin d’un Class40, le Parisien boucle ce dimanche la Transat Jacques Vabre aux avant-postes. Et il prépare déjà activement son prochain défi : le Vendée Globe 2016.
Dans la rédaction des sports, le siège est vide. Désespérément vide. Seuls des livres de voile et une collection de canettes de Coca Zero confirment l’identité du « propriétaire » du bureau. Fabrice Amedeo, 35 ans, journaliste au Figaro et marin du Class40 SNCF-Geodis.
Et en ce moment, si l’on veut parler à l’«une des plus belles gueules du journal » (dixit des demoiselles qui demandent à ne pas être citées), il faut prendre son téléphone et prier pour la fiabilité des réseaux satellites. Mardi, vers 18 heures, c’est un marin essoufflé qui répond en direct du grand large. « J’étais en train de faire une manœuvre avec Armel (Tripon, son coéquipier). Il fait une chaleur démoniaque au large des côtes brésiliennes. On est content, on est cinquième. Notre arrivée à Itajaï est prévue ce dimanche après-midi. C’est complètement fou cette Transat Jacques Vabre. C’est à la fois excitant et épuisant. On a vraiment envoyé du lourd… »
L’homme parle comme une mitraillette. Passionné, déterminé, organisé. Du genre qui ne s’égare pas pour vivre ses rêves. Un fonceur, un acteur, un fougueux, un ambitieux forcément. Elevé par un père vétérinaire et une mère professeur dans la région d’Angers.
Le grand-père, qui a participé à la création de l’école de voile des Glénans et « connaissait Tabarly », a contaminé sa progéniture. « Mon père a acheté son premier bateau de croisière, un Bénéteau First 22, l’année de ma naissance. Et c’est devenu notre maison de campagne à nous », se souvient Fabrice, trop content de gambader sur les pontons avant de savoir nager puis de découvrir la compétition à l’adolescence avec son papa lors des célèbres Spi Ouest-France, course du Fastnet et Tour de France à la voile. Quelques convoyages sur un bateau américain et traversées de l’Atlantique finissent de convaincre l’étudiant de Sciences Po que « c’est pas l’homme qui prend la mer mais la mer qui prend l’homme » (Renaud).
"Je crois en ma bonne étoile"
En attendant, c’est au Figaro, via un contrat de qualification, que le jeune Amedeo pose son sac en 2003. L’ascension est rapide. Le supplément Figaro Entreprises puis le cahier Figaro Economie, le service informations générales (scoops en pagaille sur l’AF 447 Rio-Paris et Air France) et l’année dernière le site internet Figaro Nautisme. Comme une évidence pour le journaliste-marin. Le déclic remonte à 2006 et à un livre qu’il écrit sur le tour du monde de Sébastien Josse. « C’est bien de raconter l’histoire des autres mais c’est plus sympa de la vivre soi-même ». Et quoi de mieux que de commencer par la plus ancienne des courses au large françaises ? En 2008, l’année de ses 30 ans, Fabrice débarque sur la Solitaire du Figaro (encore !) et a « l’impression d’être un intrus dans le milieu», qui plus est « absolument pas prêt ». Les résultats n’aident pas à remonter sa cote auprès des figaristes (48e) mais l’essentiel est ailleurs. Il ne lâchera plus la barre. Décidé coûte que coûte à concilier son métier et sa passion. A « envoyer un beau message à (mes) trois filles, celui d’un père qui réalise ses rêves ». A aller chercher cette vérité qui se cache derrière l’«eaurizon ».
Fabrice abandonne le circuit Figaro très professionnel et se tourne vers celui des Class40 (monocoque de 12,19 mètres) plus accessible sportivement pour les amateurs éclairés. Il enchaîne les courses, Route du Rhum (26e) en 2010, Solidaire du Chocolat (3e
Malo (4e) en 2012, il « apprend, apprend et apprend encore » (notamment au contact de l’ex figariste Armel Tripon) et découvre les sensations grisantes de la tête de course et du podium. « Aujourd’hui, je suis heureux et fier de ce j’ai réussi à monter. J’ai l’impression ne plus être le Parisien qui débarque mais de faire partie de la famille de la voile. Je suis un bon amateur mais il n’est pas question d’abandonner mon métier. Il m’enrichit intellectuellement. Et il est très complémentaire de ma passion».
Fabrice, bien mieux que certains marins bretons élevés à l’eau salée, a compris qu’un projet voile, au XXIe siècle, se gagne sur l’eau mais aussi dans la communication. Alors, une fois à bord, il filme, il écrit, il raconte. Navigateur multimédia, marin 2.0. « J’aurais été malheureux du temps de Tabarly. Je veux partager mon aventure ». Faire vivre le voyage à ceux qui restent. Ouvrir la porte vers ce monde maritime n’ayant pas besoin de l’homme mais qui se sentirait bien seul sans les navigateurs de passage.
Le journaliste n’hésite d’ailleurs pas à avouer que gagner une course lui semble beaucoup plus difficile que de sortir un scoop. « Il faut des années et beaucoup de paramètres techniques et physiques alors qu’un scoop demande un peu de flair, de la débrouillardise et un bon réseau ». Des ingrédients qui pourraient quand même lui servir pour son nouveau projet. Après avoir traversé la baie en Bretagne, puis la Manche puis l’Atlantique, comme tous les marins, il veut désormais défricher d’autres embruns. Défier la planète. Un tour du monde en solo. L’aventure ultime, suprême. Le Vendée Globe 2016 et ses vagues rugissantes, ses calmes stressants, ses cieux enivrants et ses histoires humaines décapantes. « Ce serait l’aboutissement de tout ce que je sais faire. Et je crois en ma bonne étoile. Je sais que je vais y arriver ». Ambitieux mais pas stupide. Fabrice ne vise pas un projet gagnant mais un projet « de compétition, de dépassement de soi». Il veut « terminer » le tour du monde et « raconter » son odyssée. En somme coller à cette réplique légendaire des Tontons Flingueurs : « C’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases ».
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