Mini Transat : Carnet de bord d’un écrivain

Course au large
Par Sylvain Tesson

Sylvain Tesson, embarqué à bord d’un des bateaux accompagnateurs, nous fait revivre les péripéties de la Mini Transat en suivant les aventures de ces 74 concurrents.

Sylvain Tesson, embarqué à bord d’un des bateaux accompagnateurs, nous fait revivre les péripéties de la Mini Transat en suivant les aventures de ces 74 concurrents.

Premier jour de course de la Mini Transat


Un mercredi matin dans une baie de Galice. La mer est une forêt de tissu. Soixante-quatorze voiliers de 6,50 mètres sont alignés devant Sada. La rade brille, le ciel est joyeux : un tableau de Dufy. Le soleil celto-ibérique a daigné déchirer le ciel pour réchauffer le moral des concurrents. À 10 heures, une sirène lance le départ de la 19e Mini Transat. En face, à Pointe-à-Pitre, destination de la course, le rhum attend la flotte. Parmi les concurrents : des champions taillés pour la victoire ou des rêveurs en quête de souvenirs, cette course mêle les genres. Les bateaux tournent l'angle nord-ouest de la péninsule. D'immenses falaises marquent la chute du roman de l'Europe. Le vent forcit, atteint 40 noeuds. Les rafales martyrisent les gréements. Les Minis, cul dans l'eau, surfent sur les lames.
La houle du nord envoie ses trains. Les vagues de 3 mètres couchent les bateaux. La barre de Picault ne répond plus, l'Australien Hewson subit une avarie de quille, la jeune Annabelle Boudinot explose son bout dehors. La nuit arrive, l'escadre n'a encore rien vu. Sous une lune de gravure romantique allemande, le vent ouvre des cratères dans le satin de la surface. Pellen, Bouyssou et Guiffant brisent leurs safrans. Le malheureux Lipinski démâte à 5 heures du matin. L'Atlantique s'est vexé qu'on l'affronte sur des jouets de 650 centimètres. Heureusement pour les Minis, veillent sept bateaux accompagnateurs.
Ils sont les anges gardiens des régatiers. L'une de ces barques amirales s'appelle l'Imaginaire, monocoque de 60 pieds. Son propriétaire n'est autre qu'Antoine Gallimard. Le plus célèbre des éditeurs parisiens a mis son bateau à disposition de la Mini Transat et quitté sa maison d'édition pour embarquer pendant trois semaines, en pleine période des prix littéraires.
Pour ne fâcher personne, il n'a pris à bord que les oeuvres de Camus et Proust. Les deux skippers bretons du navire savent que l'Imaginaire est le nom de cette mythique collection gallimardienne où l'on rencontre Morand, Cocteau, Conrad et Le Clézio.
Le soir, dans le redoublement de la tempête, les concurrents en peine appellent le bateau. La radio de bord crache alors ces dialogues borgésiens : « L'Imaginaire, vous me recevez ? Nous demandons l'aide de l'Imaginaire. » Et l'Imaginaire répond. Le bateau se déroute, porte son aide aux uns, assure les vacations. Sur la mer en vrac, dans le mouvant et l'incertain, en cette nuit sans formes ni contours, on peut toujours compter sur l'Imaginaire.
 

Suite de la 19e édition de la mini-transat


Échaudés par le retard dû au gros temps dans le golfe de Gascogne, les 74 concurrents de la Mini-Transat partirent bille en tête de Sada la galicienne le 13 novembre 2013. Ils étaient aussi remontés qu'une meute de lévriers afghans. Dès le premier soir, l'océan dressait ses herses. La mer avait la couleur et le relief de la Lune. Les 45 noeuds du vent désordonnaient la houle. On cassa des safrans, des mâts ; il y eut quelques voies d'eau. Seize minots transis abandonnèrent la Mini-Transat.
Les autres, au portant, foncent vers les Canaries. Là-bas, ils se couleront dans l'alizé qui les mènera en Guadeloupe. Un quarteron de champions a marqué la distance. Sur leurs prototypes, Giancarlo Pedote, Bertrand Delesne, Benoît Marie et Rémi Fermin, mènent la gigue. Ils sont talonnés par trois favoris qui courent sur des bateaux de série : Aymeric Belloir et les Suisses Simon Koster et Justine Mettraux. Ceux-là croisent déjà à la hauteur de Las Palmas. La flotte longe le Portugal (une pensée pour Miguel Torga), croise au large de Tanger (une pensée pour Paul Bowles), cingle devant Larache (une pensée pour Jean Genet), laisse le Sahara occidental à bâbord (une pensée pour Saint-Exupéry) et vise Lanzarote (une pensée pour Houellebecq).
La veille du départ, Benoît Marie, s'interrogeait : « À quoi servent les coureurs de la Mini-Transat dans la société déprimée d'aujourd'hui ? » On voudrait lui répondre que notre temps a besoin de ces filles et de ces garçons prêts à tout sacrifier pour leur rêve. Les athlètes de la « Mini » prennent des risques dans un monde qui a érigé le principe de précaution en valeur suprême. Ils promeuvent « l'esprit d'aventure » contre « l'esprit de commodité » pour reprendre l'expression de l'écrivain de marine Patrice Franceschi. Ils sont des conquérants de l'inutile dans un siècle prostitué à l'utile. Ils ouvrent grand les fenêtres d'une époque normale, la vivifient d'embruns, la fouettent de rafales. On voudrait lui répondre tout cela, mais il est déjà trop loin.
 

À la mi-Course, escale de la mini-transat aux canaries

 

Lanzarote, archipel des Canaries : ses champs de lave, ses Allemands rouges en slip noir, ses cactus qui épataient Houellebecq.
Quelques concurrents de la Mini- Transat ont marqué une courte escale, dans le port de Calero, au sud de l’île. Certains y ont réparé des avaries, pris du repos, soigné leurs blessures. Installés près des somptueux voiliers de la Volvo Ocean Race, les « Ministes » avaient l’air de pionniers de l’Aéropostale bricolant leur engin à l’ombre d’avions de chasse. Sur les pontons, David Genest et Richard Hewson ruminaient leur dépit d’avoir cassé leur mât.
Vincent Busnel se remettait d’avoir frôlé le pire : profondément endormi en abordant l’île, il s’était fracassé quelques jours avant contre les falaises. « On pourra donner mon nom au cap où j’ai échoué  », philosophait-il…
Les autres « Ministes » avaient hâte de quitter ce Capoue et de retrouver la mer, leur beau ­désert. Ils sont encore 54 bateaux à cingler vers la Guadeloupe, l’os entre les dents. Une belle partie se joue à mi-route entre les deux leaders actuels, Benoît Marie et Giancarlo Pedote. Ils ont 1300  milles d’avance sur les derniers. Eux ne se sont pas arrêtés sur les flancs du volcan. Leur match est pur, tendu, nerveux : un duel digne du Far West. Qui que soit le vainqueur, on le couvrira de lauriers. Cela fera du bien, dans le climat actuel, de célébrer le premier « Ministe ».
L’arrière-garde de la flotte se heurte à un dilemme : faut-il ­rejoindre l’alizé vers le sud ou bien prendre la route directe, au risque de s’encalminer dans ce que Chateaubriand appelait « les molles intumescences de la mer » et que les marins nomment la « pétole » : le calme plat ? Il faut avoir une sacrée vie intérieure quand l’alizé s’éteint et que l’océan clapote, huileux.
C’est cela la Mini : une glissade à la surface doublée d’une descente au profond de soi. Une expérience de la solitude extrême, de la dilatation du temps ; un plongeon dans l’immensité avec l’audace et la tactique pour seul recours. Bref, un art de la guerre pacifiste. Et l’espoir de tracer de belles ­lignes sur la peau de l’océan. De déchiffrer le vent, de griffer légèrement la mer et – peut-être – d’inscrire son nom dans la légende.
 

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
Charlotte Lacroix
Charlotte Lacroix
Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…