
Après avoir parcouru 20.000 miles en cinq mois et alors qu’il leur reste encore 30% de la distance à parcourir, le plus dur est peut-être à venir pour les marins encore en course dans ce tour du monde en solitaire et sans escale vintage. Si les marins sont fatigués, les bateaux eux sont parfois déjà à bout de souffle et ce alors qu’ils s’attaquent à l’une des parties les plus périlleuses du parcours, là où il faut descendre jusque par 56 degrés Sud pour parer le continent Sud-Américain.
Si longue est la route…
Or aucun des trois bateaux de tête n’est indemne. C’est d’abord le solide leader depuis le départ, le Britannique Simon Curwen qui fait désormais route vers le Chili pour réparer son indispensable régulateur d’allures mais aussi une bonne douzaine d’autres points techniques plus ou moins critiques. C’est ensuite l’Indien Abhilash Tomy qui après le violent front qui a croisé sa roue le 26 janvier dernier a dû s’atteler à réparer voiles, rail d'écoute de grand-voile, gréement et régulateur d’allures, le tout avant de s’octroyer une longue pause pour reposer l’homme. Quant à la toute nouvelle leader de la course, la Sud-Africaine Kirsten Neuschäfer, elle a cassé son tangon de spinnaker et ne peut plus utiliser ni spinnaker ni génois en ciseaux, une configuration qu’elle appréciait particulièrement, mais qui a fini par user jusqu’à la rupture un espar pourtant largement dimensionné. Elle s’est donc astreinte à changer son génois double par un génois classique, mais son handicap au portant pourrait lui être fort préjudiciable d’ici à l’arrivée aux Sables d’Olonne.

Vent à 60 nœuds, creux de 11 mètres
Mais à plus court terme, ce sont les conditions météo à venir qui l’inquiètent le plus, car l’été touche à sa fin dans l’hémisphère Sud, et une succession de systèmes dépressionnaires bien creux vient à sa rencontre. C’est même la dépression la plus creuse (949 hpa avec des vents à 60 nœuds) et la plus large (1500 milles nautiques, presque 2800 kilomètres de diamètre) rencontrée par la flotte depuis le départ qu’elle et son inséparable second (moins de 100 milles d’avance sur Abhilash Tomy) s’apprêtent à affronter. Ils ont eu beau rester le plus longtemps possible au Nord-Ouest pour rester du « bon côté » de la dépression, ils se retrouvent pour au moins 36 heures dans des conditions extrêmement fortes. Avec du vent donc, mais aussi des vagues de plus de 11 mètres qui vont malmener leurs bateaux qui font cette même longueur. Kirsten a même préparé ses trainards, cordages et chaînes pour, le cas échéant, ralentir le bateau. Seul Simon Curwen, bien plus au Nord devrait échapper au pire. Exceptionnellement, et pour des raisons évidentes de sécurité, les skippers reçoivent des conseils météo de l’organisateur de la course. Car bien qu’ayant avancé le départ de deux mois par rapport à la précédente édition, ce qui a jusqu’ici permis aux concurrents de bénéficier d’un temps plus clément, le Cap Horn reste fidèle à sa réputation : impitoyable.

Radeau de survie arraché pour Guy Waites
Plus en arrière, les concurrents n’ont pas été épargnés, que ce soit Jeremy Bagshaw qui a vu lui aussi les dépressions se succéder, ou Guy Waites, qui a rencontré les pires conditions depuis le départ. Par 60 nœuds de vent, des vagues de 10 mètres, en fuite et à sec de toile, son bateau a quand même été couché par une vague plus grosse que les autres, et son radeau de sauvetage a été arraché ! Après son escale technique de Cape Town, Guy Waites courait déjà en classe Chichester, mais avec ce nouveau coup du sort, il pourrait décider de s’arrêter définitivement à Hobart, estimant avoir cumulé trop de retard pour continuer son tour du monde dans de bonnes conditions de sécurité. Mais Guy n'est pas le seul à être en retard dans son périple. Ian Herbert Jones a 3000 milles de retard sur Abhilash Tomy et le Sud-Africain Jeremy Bagshaw n’est que 400 milles devant lui. Leur arrivée au Cap Horn est maintenant prévue pour la deuxième quinzaine de mars, soit tard dans la saison, augmentant le risque de plus fortes et plus fréquentes tempêtes. Seul Michael Guggenberger reste au contact des leaders, mais il est confronté à des problèmes d'eau potable et il a franchi par inadvertance la zone d’exclusion des glaces fixée par l’organisation, ce qui lui vaut une pénalité de 4,5 heures à effectuer une fois qu’il aura retrouvé l’océan Atlantique.
Source : GGR 2022