
Vieux gréement et jeunes idées
Grande Zot est un deux-mâts aurique basé à Ajaccio. Le voilier d’origine transportait du fret dans la région de Venise au XVIIIe siècle, mais aujourd’hui, sa réplique accueille tous ceux pour qui la mer est à la fois une découverte, une respiration et une expérience : jeunes sous protection de la Justice, personnes en situation de handicap ou de précarité, etc.
Cette année, pour la Corsica Classic, l’équipage de la goélette est composé exclusivement de femmes. Et c’est une première !

Une régate itinérante ancrée dans son territoire : interview de Thibaud ASSANTE, président de l’association Corsica Classic Yachting

Figaro Nautisme : Quelles sont les spécificités de la Corsica Classic ?
Thibaud Assante : C’est une régate itinérante, ouverte aux yachts de tradition jaugés CIM (Comité international de Méditerranée), aux esprits de tradition en IRC et, nouveauté 2024, à l’Osiris. En termes d’organisation, c’est un vrai défi, mais cela fonctionne, puisque nous fêtons la quinzième édition ! Au départ, nous changions de parcours chaque année, mais depuis trois ans, nous restons sur le même circuit. C’est plus confortable pour les équipages. Cela permet d’alterner les étapes longues et courtes, et de mettre la flotte à l’abri si besoin.
F. N. : La convivialité, à bord comme sur les pontons, est-elle importante ?
T. A. : La Corsica Classic est avant tout une expérience humaine : très sympathique, très familiale. Unique, comme la Corse ! Tous nos partenaires, qu’ils fabriquent de la bière, des biscuits ou des sodas, sont insulaires… La régate a un parfum, un goût, une saveur particulière. Sa force, c’est son ambiance ! Et aussi son équipe, à la fois fidèle et passionnée, que je remercie.
F. N. : Quelles sont les perspectives pour les prochaines éditions ?
T. A. : Nous aimerions voir toujours plus de voiliers sur la ligne de départ, évidemment, malgré les restrictions de mouillage applicables aux unités de plus de 24 mètres qui nous pénalisent pas mal... La présence des femmes est également importante : nous sommes fiers que Grande Zot participe cette année avec un équipage féminin, en espérant que cette grande première ne soit pas une dernière ! Nous accueillons d’ailleurs, depuis des années, des femmes atteintes de cancer, en lien avec les Régates Roses.
Top départ ! Un peu sur le fil…
Cet article a bien failli ne jamais avoir lieu. Car Grande Zot, la veille du départ, fait un séjour express au chantier naval d’Ajaccio… avant d’être remise à l’eau, in extremis mais toute pimpante. Ouf ! Avitaillement, rangement, préparation, nettoyage : c’est la course contre la montre pour l’équipage.
Autour de Véronique, la cheffe de bord, se retrouvent des femmes aux âges et aux profils divers, unies par le défi comme par les embruns : Valérie, Mathilde, Anne-France, Floraine, Marie, Véronique (bis), Tina, Laurence et Marion. Elles sont orthophoniste, ingénieure, aide-soignante ou fonctionnaire territoriale, venues de Corse ou du continent, avec des niveaux de voile très disparates mais un vrai sens du collectif et beaucoup de complémentarité.
Premiers bords, premiers efforts
Grande Zot compte une grand-voile, une misaine, une trinquette et enfin un foc, qui parade au bout du mât de beaupré et nécessite quelques acrobaties pour être établi et surtout, affalé… Naviguer à l’ancienne n’est pas de tout repos !
Le 22 août, les filles mettent les voiles avec entrain. Mais le bateau est lourd, peu maniable… Faute de respecter l’heure limite d’arrivée, elles sont contraintes d’abandonner la première manche. Une tuile pour ce bateau à toile, qui ne décourage cependant personne ! Et après une nuit au mouillage à Portigliolo, la goélette met le cap sur Propriano et cette fois-ci, passe la ligne dans les temps.

Le troisième jour réserve quelques surprises. Le départ se fait au près, qui n’est guère la spécialité de Grande Zot. Tous les bateaux prennent la direction de Porto Pollo avant de se séparer : le parcours des voiliers classiques sera plus direct, plus court. Une fois à Campomoro, en milieu d’après-midi, chacune rêve de repos et de baignade… Mais le guindeau, indispensable pour jeter ou relever l’ancre, en a décidé autrement ! Après deux heures de ronds dans l’eau, Grande Zot se résigne à prendre une bouée un peu plus loin… Le guindeau, lui, est désormais hors-course.
La régate, un régal
Le lendemain, quelques dauphins montrent leurs ailerons près du bateau-comité mais personne n’a le temps de les admirer. Après quelques bords de près, Grande Zot double le célèbre lion de Roccapina au portant, son allure de prédilection… au point de rattraper, puis de devancer plusieurs concurrents plus modernes : une vraie fierté pour l’équipage, qui arrive septième au temps réel sur cette étape, et troisième au temps compensé !
Après une bonne nuit et un délicieux restaurant, la goélette met le cap sur Saint-Cyprien. Le vent est fort et le comité de course décide de franchir la passe des Lavezzi au moteur. Toute la flotte défile comme à la parade. Grande Zot ouvre la marche entre Pertusato, Piantarella, Cavallo et la silhouette évanescente de la Sardaigne… Le terrain de jeu est infiniment poétique, mais le sport reprend vite le dessus avec une météo venteuse qui tire sur les écoutes autant que sur les muscles ! L’étape aura raison de la trinquette, mais le moral tient bon.
La Corsica Classic accueille alors un nouveau concurrent aussi joli que prestigieux : Emily, médaillé d’argent aux JO de 1924. Eole ne lui fait cependant aucun cadeau et le jour de ses 100 ans, Emily ne peut pas prendre le départ. Pour les autres voiliers, l’étape sera raccourcie… Mais pas suffisamment pour permettre à Grande Zot de respecter le temps imparti.

Bouquet final

Le dernier jour a des allures de carte postale, devant les falaises de Bonifacio. Hélas, après un départ dynamique, le vent tombe et peine à mouvoir les vingt tonnes de la goélette. Elle enroule encore péniblement la cardinale Sud des Lavezzi tandis que ses concurrents reviennent déjà, tous spis dehors, rapides et majestueux. Grande Zot est dernière de l’étape. Et pourtant…
Le bateau Odyssée, de la Société Nautique d’Ajaccio, remporte la régate en Osiris tandis qu’Eve, un joyeux ketch australien, s’impose en IRC. Mais lors de la remise des prix, au Bastion de l’Etendard, une double dose d’émotion attend les filles de Grande Zot.
En effet, elles repartent avec le trophée du Yacht Club de France et sont déclarées vainqueures de la régate dans la catégorie CIM ! Peut-être parce qu’elles étaient, cette année, seules dans ladite catégorie ? Évidemment, cela aide un peu… Mais cela prouve aussi que dix femmes soudées et déterminées peuvent naviguer avec panache sur le bateau le plus physique de la flotte, sans winch ni barre à roue. Voilà une belle nouvelle en cette rentrée, non ?
Un équipage féminin sur un bateau ouvert à tous : interview de Véronique MICHEL, cheffe de bord au sein de l’association Grande Zot

Figaro Nautisme : Comment est né le projet de Grande Zot ?
Véronique Michel : L’association s’est formée autour du propriétaire de la goélette, Jean-Claude Fourcaut. Lorsqu’il l’a achetée, il a voulu donner au plus grand nombre la possibilité de découvrir la navigation sur un gréement aurique. Au départ, la goélette accueillait ses adhérents, ses équipiers plus confirmés, puis des personnes précaires, porteuses d’un handicap physique ou mental, des scolaires… Grande Zot est un bateau open !
F. N. : Pourquoi ce choix d’un équipage féminin pour la régate ?
V. M. : C’est justement Jean-Claude, notre armateur, qui a glissé cette idée pendant la Corsica Classic 2023. Le capitaine de l’époque l’a reprise, et entre-temps, je suis devenue cheffe de bord. L’équipage s’est donc composé autour de moi. Ce sont des adhérentes, des équipières, mais aussi des personnes ayant moins d’expérience en voile, mais investies dans l’association et avec de vraies qualités humaines.
F. N. Quel bilan faites-vous de votre participation à la Corsica Classic 2024 ?
V. M. : C’était ma première édition avec la casquette de capitaine : au départ, je n’étais pas forcément très à l’aise dans mes baskets… Mais j’ai pris de l’assurance. Je suis fatiguée, évidemment, mais je suis surtout très satisfaite de ce que nous avons fait toutes ensemble. Et fière d’avoir emmené les filles jusqu’au bout, sur un voilier physique et difficile à manier, malgré les aléas techniques et climatiques. Et j’ai beaucoup apprécié l’ambiance à bord : c’était une belle aventure au niveau sportif, mais aussi sur un plan humain. Merci à elles de m’avoir fait confiance !