Route du Rhum- Destination Guadeloupe 2022 : une course pas seulement française...
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À l’origine du mythe, pour en écrire le premier chapitre, il y a bien sûr Mike Birch et les 98 secondes qui le séparent de Michel Malinovsky. Le duel légendaire entre le petit trimaran jaune et le long cigare noir a éclipsé la troisième place de l’Américain Phil Weld à bord d’un trimaran signé Dick Newick lui aussi, le joli Rogue Wave. Sinon, la dizaine d’étrangers qui suivent les Français dans ce défi aux règles établies par les Britanniques pour leur transat, sont essentiellement européens, dont un certain Pierre Fehlmann. Le suisse, faisant face à de gros problèmes de pilote automatique, sera contraint à l’abandon et ne pourra amener son trimaran de 24.25m, l’ancien Great Britain III de Chay Blyth jusqu’à Pointe à Pitre. Il construira pourtant l’un des plus beaux palmarès de la voile helvétique en disputant notamment cinq Whitbread, le tour du monde en monocoque et en équipage. Un signe. De fait, quatre ans plus tard, le contingent non-français s’est, comptant seulement 6 skippers dans ses rangs sur 36 marins au départ. La légende britannique, Sir Robin Knox-Johnston, vient se frotter à la jeune garde hexagonale et se classe quatorzième. Mike Birch, en récidiviste signe une belle troisième place sur Vital. Quant au génial architecte-constructeur américain Walter Greene, il mène ne laisse à personne le soin de mener son A Capella en Guadeloupe. Les deux éditions suivantes sont des années de faible affluence. Seulement 14 skippers rejoignent les Antilles lors de la victoire de Philippe Poupon en 1986 avec l’incontournable Mike Birch, quatrième sur son grand catamaran Formule Tag, et Walter Greene cette fois à la barre de Sebago, l’un des ses rares catamarans, de seulement 13 mètres. En 1990 ils ne sont que 15 au départ dont deux étrangers. Mike Birch bien sûr, toujours aussi régulier, quatrième sur un trimaran qui voit l’arrivée de Fujicolor dans le monde de la voile. Mais devant lui, un jeune impétrant Suisse de 24 ans seulement, s’octroie une magnifique troisième place à la barre du trimaran RMO, c’est un certain Laurent Bourgnon.
C’est aussi le début d’une forme d’hégémonie du surdoué francophone mais néanmoins Suisse, puisqu’à ce premier podium, succèderont un doublé historique. Première victoire donc en 1994, une édition que Mike Birch se voit contraint d’abandonner, une première. Steve Fossett, le milliardaire-aventurier américain, qui a racheté le trimaran de Florence Arthaud rebaptisé Lakota, se classe 5ème, suivi par le monocoque du regretté Canadien Jerry Roufs. En réalisant le doublé en 1998, Laurent Bourgnon devance neuf skippers français ! En effet, Mike Birch, pourtant infatigable, ne peut faire mieux que onzième. Son magnifique trimaran signé Nigel Irens aura une très belle carrière sous le nom de Nootka, mais il ne fait que 50 pieds (15.24m) et ne peut lutter contre les surpuissants trimarans Orma de 60 pieds. En milieu de tableau, deux noms apparaissent et ne laissent pas indifférents, surtout une. La petite anglaise Ellen MacArthur, tout juste sortie de sa première mini-transat, a en effet racheté le 50 pieds de Pete Goss et décroché un gros sponsor : Kingfisher. Un Vendée Globe homérique (deuxième derrière Michel Desjoyeaux) plus tard, elle reviendra sur la Route du Rhum 2002 pour cette fois l’emporter, à la barre de son Imoca. Le second est Suisse lui aussi, et de la bande à Bourgnon forcément. Il s’appelle Steve Ravussin (prononcer Stève) et s’il termine seulement 17ème en 1998, il sera l’un des héros malheureux de l’édition suivante. Alors que la flotte des trimarans Orma est décimée par la tempête qui a suivi le départ de Saint-Malo, lui passe, par le Nord. A 700 milles de l’arrivée en Guadeloupe, il n’y a pas de second en vue, tellement il a d’avance. Las, une légère survente, une réaction rendue un peu plus lente par la fatigue cumulée en neuf jours de mer, et son trimaran se retourne, comme les autres. Le destin est passé.
Et surtout l’emprise française sur les classes majeures sera plus forte que jamais sur les quatre éditions suivantes. Seule la Class40 fera figure de bonne élève en matière d’internationalisation avec les victoires de Phil Sharp (GBR) en 2006 et Alex Pella (Esp) en 2014. Le Gallois Alex Thomson aurait pu, aurait dû, l’emporter dans la catégorie reine des Imoca en 2018, mais la fatigue l’a lui aussi poussé à la faute, s’échouant à l’entame du tour de la Guadeloupe. Devant démarrer son moteur pour se sortir de ce mauvais pas, l’incontournable pénalité associée à ce fait de course le laisse sur la troisième marche du podium.
Pour cette édition 2002, le multicoque, Ultim comme Ocean Fifty, est plus que jamais une spécialité française. Mais en monocoque, plusieurs étrangers ont une belle carte à jouer. On pense au Suisse Alan Roura sur Hublot, à l’Anglaise Sam Davies et à l’Allemand Boris Herrmann qui étrenneront leurs nouveaux bateaux. On gardera également un œil sur l’Italien Giancarlo Pedote, la Britannique Pip Hare, la Franco-Allemande Isabelle Joschke, l’Irlandais Conrad Coleman, le Japonais Kojiro Shiraishi, sans oublier le nouveau venu, le Chinois Xu Jingkun. A l’instar de la Class40, la classe Imoca réussit ainsi une très belle percée à l’international.