Route du Rhum - Destination Guadeloupe : dans la peau d'un amateur éclairé
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A bientôt 64 ans et un CV nautique bien fourni, Jean-Pierre Balmes est un « joyeux retraité » comme il se qualifie lui-même avec un sourire dont il se départit rarement. Dégagé de toute activité professionnelle et physiquement « à peu près en forme », il se délecte de pouvoir maintenant satisfaire à temps plein sa passion pour la course au large.
Ah oui, très très bien ! C’était la fameuse arrivée entre Malinovsky et Mike Birch et les images que j’ai vues dans les magazines spécialisés ou à la télé parce que ça avait été filmé. C’est marqué dans ma mémoire et si je suis là aujourd’hui c’est en grande partie parce qu’il y a eu Mike Birch et Malinovsky à l’époque.
Cette Route du Rhum, c’est un peu mon jubilé ! La première grande course au large à laquelle j’ai participé, c’était en 1982, il y a tout juste 40 ans, cela fait donc pas mal d’années que je cours. Il y a eu pas mal d’étapes dans ma vie de marin, la Solitaire du Figaro à 20 ans, la Mini Transat à 40, ma première Route du Rhum à 60 ans en 2018, et là c’est ma deuxième Route du Rhum. Je ne suis pas le plus vieux, même en Class40, il y a un concurrent Sud-Africain qui est plus âgé que moi et donc je lui dois beaucoup de respect mais je vais essayer d’arriver devant lui quand même ! (rires)
C’est le résultat d’une rencontre sur la précédente Route du Rhum, où au départ un chef d’entreprise qui communiquait dans le rugby habituellement, m’a demandé s’il pouvait me confier un petit ballon pour qu’il soit le premier ballon de rugby à faire la Route du Rhum. Donc je l’ai embarqué et ça s’est très bien passé (NDLR : Jean-Pierre Balmes a terminé cinquième de la catégorie Rhum Multi en 2018). Finalement nous sommes devenus amis, et à l’arrivée en Guadeloupe on s’est promis d’essayer d’être là, ensemble sur le même bateau en 2022 et nous voilà.
C’est un Thize 40, un plan de Guillaume Verdier, dont trois exemplaires identiques ont été construits. Ce n’est pas un bateau de dernière génération, bien qu’il ne soit pas très vieux puisqu’il a été construit en 2017 mais il a été dessiné juste avant l’apparition des scows (NDLR : bateaux aux étraves très volumineuses, presque rondes). On l’a donc légèrement modifié en refaisant l’étrave pour diminuer l’écart entre les scows et les bateaux classiques et on est à mi-chemin entre les deux. Il y a donc des allures où on va presque aussi bien que les derniers bateaux comme les allures de VMG (près serré et vent arrière) mais au largue on va moins vite quand même.
Comment s’organise votre vie à bord, on voit qu’il y a même un casque ?
Alors le casque c’est pour les moments vraiment chauds, quand on va vite au portant, pour pouvoir barrer sans avoir de l’eau plein les yeux ! Sinon l’intérieur du bateau est plutôt vide, notamment toute la partie avant où il est quasiment interdit d’aller parce que le poids sur l’avant ce n’est jamais bon, sauf dans le tout petit temps au près. Donc on vit entre le mât et l’arrière du bateau, avec des endroits pour matosser, aussi bien latéralement que longitudinalement, et on finit en général avec les voiles à l’extérieur, sur les passavants ou à l’arrière, bien mouillées pour faire du poids. En plus on a 750 litres de ballasts d’eau de mer de chaque côté et à l’arrière, soit l’équivalent de 8 à 10 personnes qui seraient assises au rappel. La cellule de vie mesure à peine 2 mètres cube, mais ce qui est assez sympa sur ce bateau c’est la table à cartes qui s’oriente, ce qui permet dans les phases de repos, d’être dans mon pouf avec l’écran et tous les instruments face à moi. Il n’y a pas de couchettes, je dors donc dans mon pouf, perpendiculairement à la marche du bateau.
Comme j’aime bien manger en mer comme à terre, je me suis préparé des petits plats que je n’ai plus qu’à réchauffer. J’ai une base de trois à quatre repas par jour et puis j’ai des compléments alimentaires au cas où il ferait très mauvais, que je ne pourrais pas m’alimenter. Après j’ai un rythme de vie un peu particulier car j’ai un cycle de sommeil très court, des phases de 9 minutes. J’ai besoin de 3 à 4 heures de sommeil par 24 heures, par tranches de 9 minutes donc, prises indifféremment entre le jour et la nuit.
Et bien j’ai prévu 20 jours d’avitaillement pour être large parce que je pense mettre environ 17 jours, mais il n’y a pas beaucoup d’alizés alors ça pourrait être un petit peu plus long. Mais j’ai promis à ma femme que ce serait la dernière ! Parce qu’on parle toujours des marins mais il faut aussi parler des familles des marins. Parce que nous on a un peu de stress et un petit peu d’angoisse, mais on a aussi beaucoup de plaisir. Alors que les gens qui restent à terre ils ont autant d’angoisses que nous mais moins de plaisir. Alors quand on a la chance de vivre à deux, il faut préserver l’autre aussi.