Route du Rhum – Destination Guadeloupe : Ian Lipinski, favori avec humilité
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Il pleut des trombes d’eau ce matin-là sur Saint-Malo mais il est à l’heure au rendez-vous. Le premier de son équipe à rejoindre son bateau au ponton. Il nous invite en toute simplicité à nous réfugier à bord. Il n’enlève ni bonnet ni blousons, ce n’est pas le moment d’attraper froid, mais son regard bleu perçant dit toute l’attention qu’il porte à nos questions, trahit une détermination qui n’empêche pas une vraie humilité. En tous cas il se livre sans retenue ni langue de bois, sur son parcours, ses ambitions, et même ses doutes parfois.
« J’ai commencé la course au large en 2012, pendant six ans j’ai couru sur des Mini 6.50 sur trois bateaux différents pour trois Mini-Transats. En 2013, j’ai chaviré, c’était un peu compliqué. La deuxième je l’ai gagnée en série, la troisième en prototype. Après j’ai rencontré le Crédit Mutuel et on a construit ce Class40 avec lequel j’ai gagné la Jacques Vabre en 2019 et puis j’ai fait pas mal de podiums et de records depuis trois ans que je cours sur ce bateau. »
« Contrairement à d’autres, ce n’est pas un rêve de gosse. J’étais plutôt en région parisienne à jouer au rugby, donc je ne suivais pas spécialement ça petit. C’est plus une suite logique de parcours. Après c’est une des très belles et grandes courses qui nous sont proposées, qui a lieu seulement tous les quatre ans donc une certaine rareté, une effervescence assez incroyable, un suivi médiatique qui va bien au-delà de ce qu’on a l’habitude donc ça rajoute un peu d’enjeu et de pression. C’est le clou de notre projet de quatre ans avec le Crédit Mutuel, LA grande course sur laquelle on aimerait faire bien. »
« Je vais forcément en oublier car ils sont nombreux, entre ceux avec qui je m’entraîne, les très bons figaristes, les cadors de la Class40, et même des petits nouveaux comme Ambrogio Beccaria…Il y en a beaucoup alors il faut se concentrer sur soi, il n’y a personne à marquer, nous sommes trop nombreux à viser les belles places, donc ça va être un gros match. »
« Il a été dessiné par David Raison, l’idée étant de transposer le concept de scow qu’il avait développé en Mini. J’avais gagné beaucoup de courses sur ce proto en scow et donc on a amené ça sur la Class40. Par rapport aux 25 ou 30 scows qui ont été construits depuis trois ans, notre point fort, c’est la polyvalence avec pas beaucoup de trous. Le gros point fort, c’est le portant soutenu dans de la mer où là on va vraiment très vite. Malheureusement il n’y en a pas trop de prévu la première semaine ! C’est un bateau qui est plutôt robuste, marin donc il reste compétitif sur cette course j’en suis sûr. »
« L’objectif sportif, c’est de faire la meilleure place. Ce n’est ni de l’arrogance ni de la prétention de dire qu’on veut jouer la gagne, mais le projet est monté pour ça. J’ai envie de jouer aux avant-postes, pour ça, il ne faut pas se faire décrocher au début. Là où je serai déçu c’est si, pour X raisons, je n’arrive pas à jouer devant. Après, c’est une course, il peut se passer plein de choses… Les sous-objectifs c’est donc de réussir à prendre du plaisir, ne pas oublier qu’on a une chance inouïe de participer à cette course, ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut savoir s’en réjouir et ce n’est pas toujours facile en mer de garder dans un coin de la tête que c’est une chance, qu’il faut y trouver du plaisir. D’ailleurs la performance passe souvent par ce côté-là. L’autre sous-objectif c’est la gestion des émotions. Parfois, on se laisse un peu emporter, avec la fatigue, dans des émotions hautes ou basses. Réussir à lisser tout ça c’est important et c’est pour moi parfois une difficulté. Donc arriver à maîtriser un petit peu, ça serait une petite victoire pour moi. Si ça se passe mal, ne pas broyer du noir pendant deux semaines, se dire que c’est comme ça, qu’il faut continuer de naviguer propre et en tirer du plaisir.»
« Une petite pointe d’appréhension, comme j’ai souvent avant de partir en mer, vis à vis de la situation météo qui s’annonce musclée sur les premiers jours de course. De toutes façons, c’est la Route du Rhum, c’était quand même assez probable qu’on parte dans ce type de conditions. Ça va être du près pendant quatre, cinq, six, sept jours, je ne sais pas exactement, mais ça ne va pas être très rapide, ça va être penché et mouillé. Comme l’a dit Michel Desjoyeaux dans une déclaration il n’y a pas longtemps, « la Route du Rhum ça se mérite ! » et bien là, ça va encore être le cas. »
« On a annoncé avec le Crédit Mutuel qu’on partait sur un nouveau projet de quatre ans en Class40 pour viser la Route du Rhum 2026 avec la construction d’un nouveau bateau avec David Raison, en partant de ce bateau qu’on adore. Mais forcément c’était le premier bateau de David Raison en Class40, moi aussi je n’avais pas d’expérience dans cette classe. Donc on va se servir de tout ce qu’on a pu engranger comme expérience depuis quatre ans pour essayer de faire un bateau encore meilleur et être compétitifs jusqu’en 2026. »
* NDLR : l’interview a été réalisée avant le report du départ.
« Je tiens à saluer la décision raisonnable de la direction de course et de l’organisation de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe. C’est une preuve d’humilité de renoncer à partir en mer quand les conditions sont dangereuses. On va pouvoir se livrer à une belle et vraie course en décalant ce départ. »