Route du Rhum - Destination Guadeloupe : François Duguet, « je suis un peu l'ange gardien du bateau »

Sur un Figaro ou même certains Class40, un skipper a un préparateur. En Ultim tout est à l’échelle du bateau avec pour Sodebo une équipe de 22 permanents, avec Bureau d’Etudes intégré, une cellule de performance, beaucoup de choses internalisées, plus des intervenants ponctuels. Résultat, au dernier briefing à Lorient avant le convoyage vers Saint-Malo, ils étaient trente ! Parmi eux, une sorte de chef d’orchestre mais, tradition oblige, le milieu de la voile lui a réservé l’anglicisme de Boat Captain.
J’ai 41 ans, je suis fan de voile et j’ai la chance de vivre de ma passion depuis une vingtaine d’années maintenant. Je suis un sportif mais aussi un ingénieur (EIGSI La Rochelle) et j’allie le sport à la technique tous les jours dans mon métier. Je n’ai pas beaucoup trainé dans les usines ou les chantiers navals, à part un peu à la sortie de l’école, mais très vite j’ai eu la chance de pouvoir courir au large. J’ai fait la Mini-transat (2007), ce qui est une forme d’études dans ce milieu-là. Je ne suis jamais retourné à l’usine, j’ai eu la chance de naviguer sur plein de beaux bateaux et de participer techniquement à la préparation de ces bateaux, à leur développement. C’est ce que je fais encore aujourd’hui tous les jours et c’est un plaisir.
J’ai rejoint le team Sodebo en mars 2019, une semaine avant la mise à l’eau de Sodebo Ultim 3, le bateau sur lequel nous sommes aujourd’hui à Saint-Malo. Le Boat Captain est à la fois un navigant car ce bateau, s’il va partir demain en solitaire, il est aussi destiné à faire des courses ou à battre des records en équipage, et je fais alors partie de cet équipage, mais j’ai aussi un pied dans l’équipe technique à terre. On a une grosse équipe de techniciens et d’ingénieurs, ils sont une vingtaine à travailler sur ce projet, et parmi ces gens-là il y en a qui ne sont pas spécialement des navigants, ce sont de très grands spécialistes dans leur domaine de compétence. Et moi je fais un peu la charnière entre ces deux mondes. Je retranscris auprès des techniciens les besoins des navigants et dans l’autre sens je donne à bord les limites d’utilisation du bateau. On a parmi les gens qui naviguent des gens qui sont très talentueux, qui arrivent de divers horizons, olympisme ou Coupe de l’America, qui connaissent peut-être un petit peu moins bien ce bateau-là et ses spécificités, alors c’est moi qui suis le garant de la bonne utilisation du bateau et du fait qu’on ne le détériore pas.
Tout est de plain-pied maintenant sur ces bateaux. Il y a une zone de manœuvre, un cockpit entièrement protégé mais avec une visibilité à 360° sur ce qui se passe à l’extérieur. Toutes les manœuvres reviennent ici, donc 99.9% du temps Thomas sera là. Il ne sort que pour les changements de voile. Sinon ici c’est un peu la salle de torture parce qu’en solitaire sur ces tailles de bateau il y a beaucoup d’énergie à dépenser. On a donc les winches, les colonnes, les pompes hydrauliques, et puis c’est vrai que maintenant on a beaucoup de capteurs, l’électronique est devenue très importante. Donc on a plein de chiffres et d’afficheurs partout, les commandes de pilote évidemment à portée de main des postes de barre et aussi les écrans tactiles qui permettent de régler les différentes configurations de foils, avant d’enclencher les pompes hydrauliques qui elles restent manuelles. Puisqu’évidemment il n’y a pas d’asservissement et pas d’assistance mécanique sur les réglages des appendices ou des voiles. Devant on a une cellule de vie et comme le bateau est aussi destiné à la navigation en équipage, Thomas va être plutôt à son aise dans cet espace. On a démonté tout ce qui ne servait à rien, donc il reste une bannette, quelques rangements pour la nourriture, ses cirés et puis la table à cartes, qui est évidemment l’élément de communication avec la cellule routage pour la réception des bulletins météo, l’élaboration de la stratégie et les communications avec la terre. Si tout se passe bien, normalement, il n’a pas à descendre. Il reste sur le pont, à manœuvrer, à faire avancer le bateau et à se reposer à proximité des écoutes. Dessous ce n’est que de la technique, alors si les conditions sont cool à un moment il ira faire une petite ronde d’inspection éventuellement, des vérins des pilotes, des drosses, du parc batteries, de la génératrice du moteur.
Pour une préparation de Route du Rhum, c’est un peu particulier. C’est la première transatlantique en solitaire avec ce bateau, bien que le bateau ait trois ans et demi maintenant, mais avec les épisodes Covid il n’y a pas eu de transat anglaise il y a deux ans. Mon rôle c’est d’être l’interlocuteur technique de Thomas (Coville), de toujours garder un œil de bon marin on va dire auprès des techniciens quand ils préparent le bateau. Même si ça reste une course, un sprint, à quelques jours du départ on voit que la configuration automnale va être rude, et parfois il faut revenir aux bases du bon marin. Donc je rassure Thomas sur le fait que les techniciens font les checks et double checks de tout ce qui les concerne et je discute avec les techniciens, chacun dans leur domaine, car on ne peut pas être spécialiste en tout. Ces bateaux sont tellement pointus qu’il nous faut des spécialistes en informatique, en électronique, en hydraulique, en mécanique, en composite… Je garde un œil général sur l’organisation, et je suis un peu la garant du déroulé technique, en dehors de la cellule routage qui se met en place, du déroulé des manœuvres (sortie des bassins, veille sur coffre avec des quarts à assurer). Et puis trois heures avant le départ sur l’eau il y aura des check-lists à dérouler, pour ne rien oublier, pour qu’au moment où on va sauter du bateau, 8-10 minutes avant le départ, que tout ait été vérifié, que Thomas ait vraiment le bateau dans les meilleures conditions. Je suis un peu l’ange-gardien du bateau pendant toute cette période qui est sollicitante pour le skipper mais aussi pour le bateau avec beaucoup de gens qui viennent à bord et c’est bien normal, mais on n’est jamais à l’abri que quelque chose soit détérioré. C’est un peu comme si tout le monde passait dans le baquet de la Formule 1 dans l’heure qui précède le départ, donc c’est un exercice de style un peu particulier et il faut faire attention.
Le bateau il est prêt, il peut partir demain, mais tant qu’on a du temps on peut faire des choses. Et pour continuer avec l’analogie automobile, il y a toujours du monde qui travaille sur la voiture, même quand elle est sur la piste, sortie des stands, dans l’heure qui précède le départ. Ce sont des bateaux qui sont très pointus, qui évoluent tout le temps. Le bateau sur lequel nous sommes aujourd’hui, il est très différent du bateau qui est sorti du chantier il y a trois ans et demi, et il est même différent du bateau qui est sorti du dernier chantier hivernal, et effectivement il y a encore des ajustements, des choses en plus à faire. Alors on ne peut pas faire n’importe quoi dans les semaines qui précèdent un départ, il y a des choses qui sont arrêtées auxquelles on ne touche plus, des réglages ou des configurations sur lesquels on ne reviendra pas parce que l’on sait qu’ils sont validés et robustes, mais en finition on peut toujours rajouter, ou enlever d’ailleurs, quelque chose. Car la perfection est atteinte non pas quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à enlever comme disait Saint-Exupéry, et c’est un peu mon leitmotiv en ce moment.
L’avantage d’avoir une grosse équipe, c’est qu’on peut palier à tout imprévu donc quand il faut décaler, retarder, on a les ressources techniques et humaines pour le faire. On sait que les plans ne se passent jamais comme prévu, alors on fait des plans mais on est prêts à s’adapter.