Transat Café L'Or : de l'émotion sur les pontons avant le grand départ
8 h 14
La grande majorité des skippers n'est pas encore arrivée sur les pontons. L’air est frais mais sec, le soleil inonde le bassin Paul-Vatine et la tranquillité des lieux ne présage en rien l’agitation d’après. Les membres d’équipe technique arrivent à compte-goutte, le pas pressé. Chez les Class40, on prépare le matériel, on effectue les dernières vérifications techniques comme à bord d’À perte de vue - Quanza (Joel Paris et Goulven Marie). Certains proches sont déjà là, comme devant Martinique Horizon où Jean-Yves Aglaé et Moane Mangatalle sont installés dans l’habitacle de leur monocoque.
8 h 36
Il y a un sujet qui accapare les esprits, autour du bassin et chez tous les acteurs de la course. La première nuit en mer des Ocean Fifty a été particulièrement délicate : trois bateaux ont démâté (Lazare X Hellio, Koezio et Inter Invest). Après le choc des faits, la force des mots distillés par les équipes. « On a chaviré par l’avant (...), une partie du flotteur bâbord s’est arraché, nous sommes devenus un catamaran », confie Tanguy Le Turquais. « On pense qu’on a pris une claque à 40 nœuds. On a tout choqué, la grand-voile n’était plus portée par le vent et pourtant le bateau est quand même parti », raconte Audrey Ogereau (Koesio) dépitée. La direction de course reste en lien constant avec les duos. Lazare est arrivé au port de Cherbourg, Inter Invest est remorqué vers Brest-Camaret alors que Koesio dérive vers Guernesey.
9 h 26
Chez les Class40, c’est donc 50 nuances d’appréhension. Aurélien Ducroz (Crosscall) reconnaît « un peu de stress ». « On ne part pas la fleur au fusil, on sait que ça va être tendu la première nuit ». Il croise Vincent Riou (Pierreval - Fondation Good Planet) : « je crois qu’on va rire », lâche-t-il avec le sourire. « Ce qu’on sait, c’est qu’on sera tout petit » poursuit Aurélien. Pablo Santurde del Arco (VSF Sports) se dit « un peu anxieux », Rodolophe Sepho (Rêve de large) pense que « c’est vraiment juste, il va falloir redoubler de vigilance ».
9 h 34
Il est impossible de laisser trop de place à l’après, au large et à la mer. Les marins gardent aussi beaucoup en eux et puis il faut profiter de l’instant. Pamela Lee (#Empowher) se fait coiffer par une proche, Thomas Lurton et Sasha Vandenbrouck (Ose ta victoire) ont un pote qui joue de la cornemuse.
9 h 59
Bleu Blanc Planète Location, le bateau de Quentin Le Nabour et Thierry Chabagny, est le premier à quitter les pontons. Le soleil est éclatant et ne dit décidément rien de la bataille à venir. Un esprit de fête s’empare des pontons. Un fumigène est craqué au bout du quai, un saxophoniste joue un air à bord de Seafrigo-Sogestran (Guillaume Pirouelle et Cédric Château). Dans une accolade, un ami de Mickael Mergui (Centrakor) lui dit : « le but, c’est d’aller en face, je sais que tu prendras les bonnes décisions ».
10 h 13
Dans ces moments-là, tout va vite. Derniers « au revoir », salutations des membres de la direction de course, amarres à larguer, regards vers le ponton puis vers le haut du bassin. Les skippers en connaissent tous la rythmique mais l’émotion s’infiltre sans crier gare. Sasha Lanièce (Alderan) a les larmes aux yeux au moment de quitter les pontons. Les enfants de Fabien Delahaye (Legallais) poussent le bateau, sourient et se mettent à pleurer dès que le bateau du papa est parti. Personne ne résiste vraiment, même Michel Desjoyeaux. Le « Professeur » s’amuse et enchaîne les bons mots. Puis il prend son fils dans les bras. L’étreinte est un peu plus longue, plus intense aussi. Michel retient un sanglot puis se retourne pour ne pas le montrer.
10 h 45
Toute une partie du bassin Paul-Vatine est désormais vide. La foule est compacte autour des barrières et un lent mouvement s’opère pour se diriger un peu plus loin vers le bassin de l’Eure. Au loin, des dizaines de Class40 s’échappent vers le large. Sur les pontons des ULTIM, ça se prépare. Les skippers ont le chic de trouver des mots légers pour détendre l’atmosphère. Sébastien Josse (Banque Populaire) s’adresse à Francis Le Goff, le directeur de course, sourire aux lèvres : « tu as bien dormi Francis ? » Un peu plus loin, Benjamin Schwartz déclenche des rires quand il tend à Thomas Coville du gel hydroalcoolique juste avant de partir. Chez Actual, Anthony Marchand s’emmêle les pinceaux : il évoque l’arrivée « à Pointe-à-Pitre » avant que Julien rappelle qu’elle sera bien à Fort-de-France. Un peu de rire, des sourires en plus avant de fixer les casques audios et de retrouver un visage plus concentré.
11 h 05
C’est désormais au tour des IMOCA de quitter les pontons avec 11th Hour Racing qui ouvre le bal. L’instant est particulier pour Francesca Clapsich qui dispute sa première transatlantique à bord de ce bateau. Elle parle d’une « journée formidable » et évoque un échange téléphonique avec sa fille la veille. « C’était un appel forcément un peu différent de tous les autres, on sait qu’on n’aura plus beaucoup d’occasions de discuter tranquillement ensuite ». Quoi qu’il en soit, sa fille lui a enregistré une vidéo, elle fera office de doudou numérique. Francesca sourit : « je pourrai la regarder tous les jours, ça compte beaucoup pour moi ».
11 h 18
François Gabart est décidément aussi impressionnant sur les pontons qu’au large. On le croise sur le ponton des ULTIME pour saluer Tom Laperche et Franck Cammas (SVR-Lazartigue). Une poignée de minutes plus tard, il est de retour de l’autre côté, au bassin Vauban, avec les IMOCA. « On a couru un peu au début mais finalement on a eu un peu de marge », s’amuse-t-il. Le fondateur de MerConcept se dit « très heureux et fier » d’avoir trois bateaux au départ (SVR-Lazartigue, Macif Santé Prévoyance et Upwind by MerConcept). François sait que les marins qu’il salue sont déjà un peu partis. « Là, ils sont tous dans leur bulle, ils ressentent l’énergie autour mais essaient de ne pas disperser, de se focaliser sur leur scénario du départ ».
11 h 25
Les bateaux quittent les pontons un à un. L’atmosphère se réchauffe devant Les P’tits Doudous pour la première transatlantique d’Armel Tripon et de Tanguy Leglatin à son bord. Il y a une mascotte rose à taille d’homme, marinière sur les épaules, sur le pont, et un large sourire sur le visage d’Armel. Le Japonais Masa Suzuki, lui, reste longtemps à l’arrière de Fives Group - Lantana Environnement pour savourer les « au revoir ». Les petits yeux de Nicolas d’Estais brillent et disent beaucoup de son plaisir à être dans l’aventure, lui qui a passé un an à constituer son projet IMOCA. Un peu plus haut, des membres de Café Joyeux donnent de la voix, comme ils l’ont fait tout au long de la période du village. Chez Allagrande Mapei Racing, ce sont les membres de l’équipe qui ont mis un peu de musique pour accompagner le départ d’Ambrogio Beccaria et de Thomas Ruyant.
11 h 54
Élodie Bonafous (Association Petits Princes - Queguiner) est à la barre, le visage extrêmement concentré. À son départ, elle se retourne et salue furtivement la foule de la main gauche. Yann Elies a réservé son moment d’émotion à un de ses enfants, à l’abri des regards et des caméras. Quelques minutes plus tard, Jérémie Beyou (Charal) s’élance avec Morgan Lagravière, c’est le dernier bateau à quitter les pontons ce dimanche matin. Jérémie regarde la foule et sert un point rageur : c’est la meilleure démonstration que la course, dans l’esprit des skippers, a déjà commencé.

