Il reste moins de 5400 milles

61 jours, c’est une énorme tranche de vie sur la planète mer. Depuis le coup d’envoi des Sables d’Olonne il y a deux mois exactement, les solitaires évoluent en liberté sur l’immensité liquide. Libres, oui, mais soumis à la tyrannie de leur meilleur compagnon de route – leur monocoque- qui demande une attention et des soins de tous les instants. Il en va de la performance, mais aussi, et surtout de la sécurité.
Comme la plupart de ses concurrents à un moment de la course, Pip Hare a été contrainte de se lancer dans une opération difficile. La nuit dernière, dans une mer encore très cabossée, elle a réussi à remplacer son safran bâbord dont la tête de mèche avait cassé. Dans cette manipulation harassante - elle en ressort pleine de courbatures et couverte de bleus -, elle a certes perdu deux places, mais elle est à nouveau en route et c’est le principal. « Je suis fière de moi, pourtant, je ne dis pas ça si souvent » confie Pip Hare qui a hâte de pouvoir se reposer. « Tu es mon héroïne » lui lance Bernard Stamm, celui qui a construit de ses mains (il y a 20 ans) le bateau avec lequel la Britannique impressionne son monde.
Bateaux et marin usés
Au fil de ces journées interminables passées sous-toilé à freiner l’allure et serrer les dents dans le train des dépressions, l’impatience de passer le cap Horn se fait plus pressante pour le peloton qui s’étend d’Alan Roura (désormais 15e), à Kojiro Shiraïshi ( 21e). Ce matin, après avoir constaté une déchirure sur son J2, Jérémie Beyou (18e) ne cachait pas sa lassitude, pour ne pas dire son ras-le-bol : « Depuis la mer de Tasmanie, le vent n’est pas descendu en-dessous de 35 nœuds, c’est assez usant. Il y a trois jours, c’était n’importe quoi, c’était super violent. Il y avait entre 6 et 7 mètres de creux et ça venait de côté en déferlant. Le bateau partait dans une vague et d’un coup une déferlante venait par le côté. Je me suis fait projeter à l’arrière du bateau à plusieurs reprises. Tu as vraiment l’impression de ne pas être grand-chose, c’est impressionnant ».
À l’arrière de ce groupe, Manu Cousin a eu aujourd’hui son lot d’embêtements : lors d’un empannage involontaire dû à une panne de pilote automatique, un chariot de latte de grand-voile s’est cassé, la grand-voile elle-même est déchirée partiellement au-dessus du 3e ris, obligeant le Sablais d’adoption à tout affaler. Il fait actuellement route à petite vitesse sous J3 seul, sachant que cette petite voile d’avant montre aussi quelques signes de faiblesse.
Encore 850 milles, soit un peu moins de 3 jours d’abnégation pour cette bande du Pacifique.
Après deux mois de mer, le matériel s’use et les réserves de nourriture aussi. Ceux qui n’avaient pas pris de marge risquent bien de devoir se priver un peu d’ici l’arrivée. Heureusement, la plupart n’ont pas mangé toutes leurs rations du Grand Sud (7000 calories journalières) et n’ont pas de quoi s’inquiéter. « J’ai de quoi faire une deuxième tour du monde » plaisante Alexia Barrier. Ce qui n’est pas le cas de Thomas Ruyant qui n’avait embarqué que 80 jours de nourriture et à qui il va manquer des petits déjeuners et quelques encas sucrés d’ici le passage de la ligne.
La confiance de Bestaven
Le Skipper de LinkedOut n’a pas l’air miné par cette perspective. Revenu à la hauteur de Charlie Dalin après une belle traversée de l’anticyclone par l’Ouest, Thomas est remonté comme une pendule. Certes, il va devoir s’astreindre à une nouvelle ascension dans son mât pour réparer un aérien qui le prive de mode vent (sa 5e ascension !). Mais le corps à corps avec Apivia le galvanise pour revenir dans le tableau arrière de celui à qui il rendait hommage ce matin : « s’il y a une opportunité de faire quelque chose, vous pouvez compter sur moi ! Mais Yannick est en grande forme, tout lui réussit ! Il va vite, il fait un Vendée Globe incroyable. Il doit avoir une confiance en lui et en son bateau importante en ce moment ».
Ralenti en fin de matinée, le skipper de Maître Coq a retrouvé de la vitesse au large de Buenos Aires, si bien que pour l’instant, il maintient plus de 400 milles d’avance sur Charlie et Thomas. Mais la météo est toujours incertaine devant son étrave. Yannick va subir divers ralentissements dans sa progression vers le Nord (il passera peut-être tout près des côtes brésiliennes !) avant de pouvoir s’échapper avec les alizés de Sud-Est. Il y aura de nombreux « coups d’accordéon » dans les prochaines 48 heures. Pour notre plus grand plaisir…
Quelques statistiques après 2 mois de course :
- Le leader Yannick Bestaven a effectué 78 % du parcours
- Contre 48% pour le dernier Sébastien Destremau
- Skipper le plus grand nombre de fois en tête aux pointages officiels : Charlie Dalin (137 fois) qui sera rejoint au classement de 18 heures par Yannick Bestaven
- 10 leaders se sont partagé la tête de course depuis le départ (dans l’ordre en fonction du temps passé en tête) : Charlie Dalin, Yannick Bestaven, Alex Thomson, Thomas Ruyant, Jean Le Cam, Maxime Sorel, Jérémie Beyou, Damien Seguin, Louis Burton, Benjamin Dutreux.
- Plus grande distance parcourue en 24 heures depuis le départ : Thomas Ruyant, le 21 novembre 2020 avec 513,3 milles (954,3 km), à la vitesse moyenne de 21,6 nœuds.
- Plus de 30 ascensions dans le mât pour effectuer des réparations
Les temps de passage des leaders :
Équateur : HUGO BOSS le 18/11/2020 à 13h19 UTC après 9j 23h 59min de course
Cap de Bonne Espérance : Apivia le 30/11/2020 à 23h11 UTC après 22j 09h 51min
Cap Leeuwin : Apivia le 13/12/2020 à 11h25 UTC après 34j 22h 05min
Cap Horn : Maître Coq IV le 02/01/2021 à 13h42 UTC après 55j 00h 22min