Bientôt l'équateur et son pot au noir

Par Figaronautisme Vend?e Globe

Alors que la bataille fait rage en tête de course pour une place sur le podium et de préférence sur la plus haute, les premiers solitaires vont aborder durant ce week-end l’équateur et son pot au noir, une Zone de Convergence Inter Tropicale (ZCIT) qui pourrait être plus laborieuse à traverser que certaines prévisions météo le laissent entendre… Logiquement, c’est Charlie Dalin qui va le premier y plonger !

Le marin serait-il proustien ? Même s’il se cache derrière une pudeur exquise, il tend à le laisser penser… Car quelle est donc cette attraction gravitationnelle qui pousse un homme ou une femme à escalader une montagne, franchir un océan, plonger aux abysses, traverser un désert, marcher sur la Lune, descendre au cœur de la Terre, explorer une jungle, glisser jusqu’au pôle ? Quelle force incite à partir d’un point pour y revenir, en ne voyant rien d’autre ou presque, que de la neige, que des grottes, que des vagues, que du sable, que des arbres, que de l’eau, que du vent ?

Que cherchent-ils donc ces explorateurs de l’irréel qui passent des jours, des nuits, des semaines, des décades, des lunes, des mois, voire des trimestres, à ramper, à nager, à marcher, à grimper, à descendre, à glisser ? Pourquoi aimantent-ils les regards, fascinent-ils les romanciers, attirent-ils les superlatifs, craignent-ils les foules, marmonnent-ils des soliloques, s’envolent-ils aux frises des demi-dieux ? Qu’ont-ils donc de plus, ces Edmund Hillary, Jacques Mayol, Haroun Tazieff, Paul-Émile Victor, Théodore Monod, Neil Amstrong, Joshua Slocum, Roald Amundsen ?

Une tradition ancestrale…

Sur les traces de James Cook (Nouvelle Zélande), de Charles Marie de la Condamine (Amazone), de Jean-François de La Pérouse (Alaska, Vanikoro), d’Alexander von Humboldt (Orénoque, Andes), de David Livingstone (Zambèze, Tanzanie), de Georges Macartney (Chine orientale), de Vitus Jonassen Béring (Sibérie), de Frédéric-Conrad Hornemann (Sahara), de James Bruce, comte d’Elgin (Chine occidentale), de Guillaume-Antoine Olivier (Perse), de Peter Simon Pallas (Russie)… les marins de l’extrême vont aussi à la découverte d’horizons étranges, nouveaux, sublimes, décalés, riches et contrastés. Mais s’ils ne donnent pas leur nom à un cap, une rivière, un pic, une colline, un amer, ils inventent des titres, des nouvelles, des phrases, des mots qui bouleversent les esprits autant qu’une vague blackboule une houle.

« Du côté de chez soi », « A l’ombre des jeunes vagues en fleur », « Le côté de Kerguelen », « L’Aiguille et le Horn », « Le prisonnier », « A la recherche du vent perdu »… Tels sont les vers que le solitaire peut composer au fil de sa descente vers l’enfer blanc, autour du continent des neiges et du froid, en remontant vers l’arrivée, laissant les trois promontoires dans son Nord pour ne pas perdre le Sud…  Car le marin distend l’espace, étire le temps, relative Einstein, inquiète Newton et interpelle Freud. La majesté du geste, la sublimation du parcours, la beauté de la souffrance, la magie de la distance, l’incompréhension du sens, fascinent le terrien piochant les mots dans les bribes d’une vacation de bout du monde.

Cette quête de l’absolu, ce Graal du dépassement, ce tour de Passepartout n’est qu’un détournement de fond ! Quatre-vingt jours plus ou moins au milieu de nulle part et sans inspecteur Fix aux trousses… Une rotation autour de la planète pour ramener une nouvelle Aouda ? Le Vendée Globe nous transpose dans une quatrième dimension qui mélange la rudesse des éléments, la sauvagerie marine, la tendresse du zéphire avec l’interrogation de l’être, la pureté de l’esprit, l’étrangeté du soi. N’est-ce pas ce vague à lames qui bouleverse les houles et chavire les foules ? 

De la traversée d’une zone à risques modérés

Alors après 69 jours de peines et d’espoirs, après avoir vécu l’inconcevable, après avoir supporté les torrides bouffées de chaleur équatoriale, les frimas antarctiques, les coups de chiens et les calmes prolongés, voilà que la trace de la « remontée » croise celle de la « descente », à tout le moins la frôle sans oser la percer. Et voilà de nouveau ce fameux pot au noir, qui s’inspire plus d’une poubelle cap-verdienne que d’un transport illicite en de sombres temps. La Zone de Convergence Inter Tropicale est dans le collimateur, avec ses grains issus des eaux surchargées d’humidité, évaporées sous l’effet d’un soleil insupportable, perdues dans les méandres de Coriolis.

Le premier « à s’y coller » devrait être le premier à en sortir, mais les lois de l’atmosphère ne sont point celles des Hommes : en des temps anciens, les équipages se retrouvaient dans les canots pour tirer les centaines de tonnes des trois-mâts ballottés par la houle… Désormais, c’est à la force des poignets que les solitaires du Vendée Globe tentent d’amoindrir leurs efforts pour se dépatouiller de ce calvaire suffoquant. Logiquement, la traversée du pot au noir du Sud au Nord, se déroule autour du 32° Ouest, plutôt entre le 29° et le 34° : c’est ce point d’impact qu’il va falloir déterminer ce samedi.

Et si on en juge par les trajectoires des leaders, le choix va s’étaler entre Thomas Ruyant (LinkedOut) le plus à l’Ouest qui viserait plutôt le 33°30 Ouest, le trio de tête Charlie Dalin (Apivia), Louis Burton (Bureau Vallée 2) et Boris Herrmann (SeaEplorer-Yacht Club de Monaco) en route vers le 32°30 et Damien Seguin (Groupe APICIL) qui semble se déporter vers l’Est, vers le 30°30 Ouest… Mais qu’en sera-t-il pour Yannick Bestaven (Maître CoQ IV) qui tend à suivre la trajectoire du leader, de Giancarlo Pedote (Prysmian Group) qui hésite encore sur la voie à suivre, mais aussi pour Benjamin Dutreux (OMIA-Water Family) et Jean Le Cam (Yes We Cam!) qui disposent de monocoques IMOCA à dérives droites et donc qui n’ont pas tout à fait les mêmes impératifs d’angle en sortie de pot au noir…

Un éventail fonction de l’angle de sortie du pot

En fait, chaque solitaire dispose d’outils assez sophistiqués (photos satellites, images virtuelles, prévisions météo, évolutions nuageuses…) qui permettent surtout d’éviter les zones de grains qui, théoriquement, sont moins développés et moins violents à l’Ouest du méridien 30° Ouest. Et c’est donc une journée capitale pour la tête de la flotte car elle va aussi définir le point de sortie, donc la trace dans l’hémisphère Nord jusqu’à la dorsale açorienne qui semble s’étioler dès jeudi prochain entre le 30° et le 40° Ouest… Mais il y aurait aussi une trajectoire très tendue possible en rasant les Canaries et Madère !

Or si les conditions actuelles semblent idéales pour naviguer (température de l’eau à 27°C, température de l’air à 26°C, alizés de Sud-Est à Est de 15-18 nœuds, ciel dégagé sans grains ou presque), il va falloir se pencher toute la journée sur les fichiers météo et les cartes satellites pour appréhender le meilleur ‘tunnel’ au sein du pot au noir. Une ZCIT qui se situerait entre l’équateur et le 3°30 Nord, soit environ 200 milles de large avec tout de même une dizaine de nœuds de vent plus ou moins stable en force mais plutôt Est en direction. Cela laisse donc entendre que le ralentissement ne sera pas un arrêt-buffet : c’est donc plus le temps écoulé avec une vitesse moindre qui importera…

Et c’est dès la nuit prochaine que Charlie Dalin devrait être impacté en premier car pour l’instant, le Havrais arrive à maintenir Louis Burton entre 15 et 25 milles de son tableau arrière. Et tout le pack de tête semble progresser à la même vitesse, entre 16 et 18 nœuds. Reste à savoir précisément si l’activité du pot au noir sera plus conséquente à la tombée du jour, dans les profondes ténèbres d’une nuit quasiment sans lune (la nouvelle Lune a eu lieu le 13 janvier) ou au lever du soleil ? C’est ce ‘timing’ qui décidera aussi s’il y a compression ou distanciation…

La longue remontée vers le Brésil

Pour Maxime Sorel (V and B-Mayenne) à près de 600 milles du leader, l’objectif est avant tout de gagner encore un peu dans l’Est pour ne pas s’approcher des côtes brésiliennes du côté de Recife. Le jeune solitaire n’a pas trop de pression puisque ses poursuivants sont relégués à plus de 500 milles de son tableau arrière : Armel Tripon (L’Occitane en Provence) est sorti le premier de l’anticyclone de Sainte-Hélène et devrait ainsi gagner du terrain sur Clarisse Crémer (Banque Populaire X), en cours de « libération » du centre des hautes pressions, et sur Romain Attanasio (Pure-Best Western) qui semble plus piégé tout comme Isabelle Joschke (MACSF) qui peut enfin souffler avec sa quille en ballant…

Quant aux suivants, le trio Beyou-Roura-Boissières a obliqué vers le Nord au niveau des Quarantièmes qui ne rugissent pas tant que cela puisqu’une cellule anticyclonique va les obliger à naviguer contre un flux de Nord modéré. Et il en est de même pour Pip Hare (Medallia), 500 milles plus à l’Ouest, qui va devoir louvoyer au moins tout le week-end ! Quant au duo Le Diraison-Costa, il va pouvoir allonger la foulée dans un flux de Sud-Ouest tonique le long des côtes argentines, suivi par le Japonais Kojiro Shiraishi (DMG MORI Global One) au Nord des îles Malouines. Et ce week-end verra aussi le passage de Miranda Merron (Campagne de France) et de Clément Giraud (Compagnie du lit-Jiliti) devant le cap Horn, normalement en début d’après-midi dimanche : en plein jour et à raser le sinistre promontoire !

Enfin, Alexia Barrier (TSE-4myplanet) accompagnée par Sam Davies (Initiatives Cœur) hors-course, est à moins de 200 milles du point Nemo tandis que le Finlandais Ari Huusela (STARK) profite d’un bon flux de Sud-Ouest à Ouest associé à une dépression australe qui devrait le porter jusqu’à la Patagonie en fin de semaine prochaine… Il ne reste plus que Sébastien Destremau (merci) dont la trace au Sud de la Nouvelle-Zélande laisse croire à un arrêt technique du côté de Dunedin, là où le trimaran Groupama 3 avait été rapatrié après son chavirage dans le Pacifique, il y a treize ans…

La rédaction du Vendée Globe / DBo.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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