Vendée Globe : les vieilles recettes à l’épreuve des océans

On vous arrête tout de suite, nul cataplasme à la moutarde ou oignon coupé sous la bannette ne pourra adoucir l'anxiété du quotidien de nos marins qui cavalent toujours dans l’Océan Indien. Pour leurs troubles, on ne peut plus recommander grand-chose, si ce n’est peut-être une bonne psychanalyse en rentrant pour comprendre pourquoi ils aiment se faire autant de mal (et nous avec tant qu’à faire, car il y a quand même quelque chose de curieux à se passionner autant pour des gens qui s’infligent pareils traitements !)
« C’est un grand malin même »Mais tout de même, à regarder la cartographie, on ne peut pas s’empêcher de penser que l’expérience prime un peu. Une histoire de vieux singe et de grimace, ou était-ce de marmites et de soupe, en tous cas, ce n’est pas Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-lux, 18e) qui fait la soupe à la grimace actuellement. Avec son bateau neuf taillé pour le portant, le vent fort et les Mers du Sud, voilà l’aîné du Vendée qui creuse gentiment l’écart avec ses poursuivants, sur une route Nord pourtant plus longue et plus sage. Et ça, le « bizuth » Guirec Soudée (Freelance.com, 27e), ça le fait quand même doucement glousser (pardon Monique) : "On m’avait dit, au sujet de Jean Le Cam : « Surveille le, c’est un petit malin ». Ah bah c’est sûr que c’est un petit malin, c’est un grand malin même, il a tout compris Jean ! Ahlalala ! "De son côté, le jeune marin qui, malgré « quelques années de pêche au large de l'Australie » dans une de ses milles vies, confesse volontiers son inexpérience de l’Indien, a choisi de faire « cap au Sud, cap sur les Kerguelen », et s’en explique ainsi : "Dès le Cap de Bonne Espérance, le Sud me semblait la meilleure opportunité. Après je me suis dit qu’au Nord t’es juste au-dessus des dépressions, c’est quand même plus safe, donc je voulais remonter petit à petit, et là sur mes derniers fichiers, quand j’ai vu ce qui nous arrivait dessus et que j’avais une fenêtre pour passer dans le Sud, et que ça allait potentiellement raccourcir aussi la route un peu, j’ai mis cap au Sud ! Est-ce que j’en suis content de ma stratégie ? Oui et non ! Oui parce que c’est ce que je voulais faire, mais non parce que tu prends un peu tarif quand même ! On reparlera du match après les Kerguelen, parce qu’il va y avoir de la houle, ils vont vraiment devoir partir Nord pour moi ! "
« il faut mettre son énervement là où c’est judicieux »Choisir et assumer, c’est aussi le remède ancestral choisi par Isabelle Joschke (MACSF, 19e) pour garder le cap – moralement en tous cas. Elle qui a justement vu s’éloigner ces derniers jours le tableau arrière de l’extramarin aux six Vendée Globe, ferraille aussi avec l’IMOCA d’Alan Roura (Hublot, 20e), taillé pour les Mers du Sud. Alors entre ces deux machines de guerre, c’est toute la sagesse de sa sérénité qui s’impose : "J’ai l'impression que je fais ce que je dois faire. Bien sûr que je suis frustrée de voir que les bateaux devant ont pris autant d’avance, mais je fais ce qui me parait le plus judicieux avec les conditions qui sont les miennes, sans me poser plus de question ! C’est vrai que Jean navigue très très bien, il a une grosse expérience avec un bateau de portant, il traverse la flotte, c’est très impressionnant et beau à voir, c’est un grand marin ! Mais je ne suis pas frustrée, je vais pas m’agacer de cette situation, ce serait ne pas comprendre la course que de pas prendre en compte ça ! Pareil pour Hublot d’Alan, il est dans le coup, ce ne serait pas étonnant qu’il me double aussi. C’est comme ça, ça veut pas dire que je ne m’accroche pas, mais il faut mettre son énervement là où c’est judicieux ! "Allez avouez, on aimerait tous avoir un peu plus d’« Isa » en nous, pas vrai ? Surtout quand nous, on a déjà envie de sortir de nos gonds rien qu’en entendant notre collègue de travail se gratter un peu trop bruyamment le front (on vous rassure, tout se passe très bien dans notre équipe). Ce n’est pourtant pas avec des petits désagréments du genre que la navigatrice franco-allemande, qui ne « s’attendait pas à ce que l’Indien soit aussi dur comme ça », doit composer : "J’ai eu des petites frayeurs dans les moments de vent fort, avec des bosses de ris qui se sont coincées, avec une drisse d’enrouleur qui a fait un nœud quand j’enroulais mon gennaker au plus fort du vent hier. J’ai eu chaud, j’ai eu peur, à la fois de me mettre en danger pour aller défaire le nœud, de déchirer mes voiles, bref je ne m’ennuie pas ! Mais globalement pas de bobos ! Entre le vent des fichiers, le vent que vous voyez sur la cartographie, et la réalité, il y a une différence énorme. Quand mon bateau affiche 30 nœuds sur la carto, il y a au moins 35 voire 40. Donc l’idée c’est de se mettre à l’abri, viser le long-terme ! "
Litanie MonacaleDevant, c’est aussi une autre recette pleine de bon sens que met en place Charlie Dalin, qui vire quasiment à la litanie monacale. « Vivre au jour le jour, en suivant ma routine : régler le bateau, changer les voiles, météo, vérifier le bateau, manger, dormir, et on recommence », explique le skipper de MACIF Santé Prévoyance, toujours en tête, et qui plonge vers le Sud malgré « la mer de la tempête devant » pour aborder son passage de la Tasmanie : "Tout va bien, j’ai trouvé mon rythme de croisière, même si les derniers jours, les dernières semaines ont été assez éprouvantes, il n’y a pas l’air d’y avoir de créneaux de vrai repos à l’horizon pour l’instant… "Dans son rétroviseur, si Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 2e) semble maintenir la distance de sécurité, Yoann Richomme (ARKÉA-PAPREC, 3e) se croit visiblement sur une autoroute allemande, et déboule à vitesse grand V ! Raison de plus pour Charlie Dalin de ne pas s’éparpiller : "J’ai pas trop regardé encore le Pacifique, je regarde que d’un œil, ça a l’air de pas mal changer d’un routage à l’autre, c’est pas très calé. Pour l’instant je ne perds pas trop de temps là-dessus, je suis concentré sur mon tronçon actuel qui lui est plutôt calé, on verra pour la suite en temps et en heure, je sais que je vais passer au point de la zone des glaces et après on verra. "Là encore, on se dit que ce sang-froid n’est pas venu du jour au lendemain, et qu’il faut « bouffer du mille » et engloutir de la Mer du Sud pour en arriver à ce point qui ressemble bien au Nirvana du marin. Mais bizarrement à notre connaissance, il n'y a pas encore de médecins qui prescrivent un Vendée Globe pour mieux gérer ses troubles anxieux.
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