Le témoignage bouleversant d'un habitant de l'Île Maurice au coeur de la marée noire
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« Le bateau s’est échoué le 25 juillet dernier sur nos côtes et il est resté là pendant deux semaines. Le vraquier est arrivé perpendiculairement au rocher à une vitesse de 11 nœuds, c’est la vitesse de dérive d’un bateau de cette taille (300 mètres). cp. Il est arrivé perpendiculairement et pendant deux semaines rien ne s’est passé. La proue du bateau a glissé sur le récif à tribord pour se retrouver en haute mer. Les vagues et le vent sont venus rabattre l’arrière du bateau sur le récif et c’est à partir du lendemain, le 7 août, qu’il s’est fissuré et qu’il a commencé à déverser son fioul.
Directement des boudins ont été placé pour récupérer le carburant mais on manquait cruellement de matériel, le mazout continuait à se déverser dans la mer. Le bateau est en dehors du lagon, il est de l’autre côté du récif mais il perd tout son mazout directement dans le lagon à cause du courant. Je me sens particulièrement touché car la mer c’est mon truc. Je suis allé sur place dès vendredi pour regarder un peu comment ça se passait et samedi j’y suis allé pour donner un coup de main pour endiguer la marée noire. J’avais des choses de prévues mais j’ai mis certaines choses en pause pour pouvoir me libérer pour aider les autres Mauriciens de l’île à construire des bidons. Ce sont des moments assez « speed ». Des barges ont été rapidement installées pour récupérer le mazout qui est pompé dans l’océan. Elles ont été placées par les Mauriciens, le peuple est très présent ainsi que les associations.
Il y a l’association Eco Sud, qui est sur le front et qui coordonne l’action des Mauriciens. Ils nous disent où aller si nous voulons participer à la fabrication des boudins. La principale action citoyenne qui a été mis en place c’est la fabrication de boudin à l’aide de pailles de cannes et de cheveux que les Mauriciens donnent. Le cheveu a une capacité d’adsorption pour retenir le fioul donc il est très efficace. À Maurice il faut savoir qu’on a un sentiment patriotique et une culture de solidarité qui est très fort, donc les Mauriciens qui ont accès à l’information se mobilisent et se déplacent pour donner un coup de main. Dimanche il y avait environ 1 000 personnes qui étaient présentes à coudre des boudins, à pomper… etc. Les Mauriciens se sentent concernés par la catastrophe et nous essayons tous d’avoir un impact.
Sans matériel la seule chose qu’on peut faire c’est coudre des boudins, mais aujourd’hui tous ceux qui veulent aider le font, donc nous avons un surplus de boudins parce que nous n’avons pas la capacité d’aller les placer dans la mer. Je possède un dinghy (petit bateau) que j’ai essayé de mettre à l’eau pour placer des boudins mais mon bateau a eu un problème alors je n’ai pas pu le faire. Les quelques pêcheurs ou bénévoles qui ont mis leurs embarcations à disposition pour placer les boudins sont impuissants parce que le gouvernement a interdit la navigation dans la zone. Je voulais absolument aider et mettre mon bateau dans l’eau pour placer des bidons et enrayer la marée noire, mais le gouvernement est clair et menace les habitants non obéissant d’exclusion. Nous avons reçu une aide internationale, notamment du matériel qui vient de la Réunion. Cette aide a été très utile car nous arrivons à contenir beaucoup plus de pétrole depuis que nous avons reçu du meilleur matériel.
Cela fait quelques jours qu’il y a plus de personnes qui se mobilisent pour aider, mais il faut pouvoir les nourrir. Plusieurs stands de nourritures offrent les repas aux bénévoles qui sont venu combattre cette marée noire. Les gens qui viennent continuent de coudre des boudins, il faut que nous rassemblions de la toile, des aiguilles du fil nylon, des bouteilles vides pour que les boudins puissent flotter et de la paille. Une fois que les boudins sont confectionnés, des personnes viennent récupérer les boudins pour les placer stratégiquement dans la mer. Les citoyens et les ONG agissent en autonomie, nous sommes devant le fait accompli. Devant l’urgence de la situation nous n’attendons pas, nous faisons tout ce que nous pouvons pour agir.
Je ressens une grande tristesse et une grande rage, car je pense qu’on aurait pu éviter cette catastrophe. Je suis profondément triste, même si on arrive à enlever le fioul de la mer, cette catastrophe aura des répercussions sur le long terme. Avec le temps, le mazout se mélange à l'eau et ce cokctail toxique a des effets nefastes sur l'écosystème marin. L’île aux Aigrettes et le parc marin de Blue Bay, qui sont des réserves protégées, sont menacés par la marée noire. Cette partie de l’île et ses habitants vont en souffrir pendant des années. Les pêcheurs, qui ont déjà subi les restrictions liées au coronavirus, vont être directement impactés. Pour ne rien arranger, le bateau est laissé à l’abandon sur le récif depuis le 25 juillet et il est en train de glisser et écraser la roche et les coraux sur lesquels il repose. C’est une catastrophe sans précédent qui se passe en ce moment sur l’île Maurice, nous allons tous en souffrir… »