
Originaire de l'Aisne, la première passion de Jeanne Grégoire est l'équitation. Puis à 18 ans, bac en poche, elle découvre la voile lors d'un stage aux Glénans : c'est le coup de foudre !
Figaro Nautisme : votre coup de foudre pour la voile est arrivé tardivement par rapport au parcours "classique" d'un ou d'une skipper ?
Jeanne Grégoire : "Après avoir décroché mon bac, je suis rentrée en prépa Sciences Po, je n'étais pas sûre de ce que je voulais faire... puis j'ai fait un stage aux Glénans et là j'ai dit à mes parents : "je sais ce que je veux faire : du bateau !" Nous n'étions pas une famille de marins à part mon oncle qui avait rallié le Brésil depuis Paimpol lorsque j'avais 10 ans sur un petit bateau de 10 mètres... j’avais peut-être ce souvenir dans la tête ! Cependant, j'ai toujours eu une éducation nature et grands espaces : mes parents faisaient pas mal de montagne, ils ont vécu en Islande sous la tente et se sont mariés là-bas… j’étais sûre de ne pas trouver cela à Paris ! J’ai fait plusieurs stages aux Glénans par la suite et mon premier moniteur de voile a été Armel Tripon.
J’ai voulu tout de même consolider ce projet et le faire sérieusement alors j’ai passé un brevet d’Etat et un brevet de skipper, ce qui me donnait une qualification professionnelle pour pouvoir travailler."
F.N. : Quand avez-vous participé à votre première course ?
J.G. : "J'ai découvert la Mini Transat, et la course, grâce à Karen Leibovici (ndlr : navigatrice française, 4e femme à boucler le Vendée Globe). J’ai fait la Mini en 2001 et je suis arrivée 8e, sans expérience dans la course au large. C’est Yannick Bestaven qui l’a remportée cette année-là. Nous avions le même sponsor lors de cette édition. J’ai également rencontré Sam Davies cette même année, ainsi que Boris Herrmann : le monde est petit !"

F.N. : N'avez-vous jamais été tentée par le Vendée Globe ?
J.G. : "Ce fut une envie pendant très longtemps puisqu’après la Mini je suis allée faire du Figaro car je considérais que la manière dont je faisais du bateau n’était pas performante et je voulais apprendre à réellement bien naviguer. Je suis restée en Figaro pendant dix ans, de 2002 à 2012. J’ai eu pendant huit ans Banque Populaire en partenaire, donc je nourrissais l’espoir de faire le Vendée Globe un jour, mais à l’époque ce n’était pas dans leur politique, en tout cas pas avec quelqu’un qui ne pouvait pas gagner. C’est bien pour cela qu’ils ont choisir Armel Le Cléac’h ! Je suis arrivée un peu trop tôt."
F.N. : Il n'y a pas que la course en solitaire dans votre CV ?
J.G. : "J’ai fait pas mal de transats en double avec des bons résultats j’ai fait 4 Transat AG2R avec mon copain Gérald Viénard dont 3 podiums, 2 avec Sam Davies dont 1 en IMOCA et 1 avec Nico Lunven. Pour toutes les courses auxquelles j’ai participé, j’étais inscrite au pôle d’entraînement de Port-la-Forêt. Après celle de 2014, je suis allée faire la Normandy Channel Race avec Damien Seguin. Après la course, Michel Desjoyeaux m’a appelée pour me demander d’être coach pour un jeune guadeloupéen sur la Route du Rhum 2014. J’ai évidemment accepté ! Christian Le Pape, directeur du Pôle Finistère Course au Large, me voyant faire cela, me propose en 2015 de faire le suivi de La Solitaire (accompagner les skippers, organiser les briefings météo, discuter des options des uns des autres…). Les coureurs ont l’air plutôt satisfaits, j’enchaîne avec la Generali en septembre et en 2016, je passe complètement de l’autre côté : je ne cours plus mais je suis entraîneur au Pôle, au début selon les besoins et depuis juillet dernier, à plein temps."
F.N. : Vous ne courez plus. Cela vous manque-t-il ?
J.G. : "De temps en temps cela me manque mais cela nécessite énormément d’énergie, pas seulement au moment de la course, mais tout au long de l’année. J'ai fini par tourner un peu un rond et en 2012 la question s’est posée : est-ce que j’arrête tout pour faire le Vendée Globe à tout prix ? Seulement, je suis devenue maman d'une petite fille en 2009 et cela a tout de même changé les choses. Et intellectuellement, j’avais besoin de trouver d’autres stimuli.
Dans l’entraînement et la recherche que l’on peut faire pour rendre un entraînement pertinent, pour accompagner les coureurs, j’ai l’impression de m’épanouir intellectuellement. En 2017, j’ai fait une formation à l’Ecole Nationale de Voile : accompagnateur de performances. En tant que coach, je me suis rendu compte que j’étais plus pertinente sur une approche « mentale », plus globale. J’utilisais beaucoup d’outils de préparation mentale lorsque je parlais aux Figaristes. De par mon expérience, je sais bien ce que les skippers peuvent vivre sur l’eau. Le fait d’avoir vécu les mêmes choses qu'eux, de les avoir réfléchies, c’était très intéressant. Je m’intéresse plus au marin qu’au bateau."

F.N. : Avec le Pôle Finistère course au large vous accompagnez quelques skippers du Vendée Globe ?
J.G. : "Pour le Vendée Globe cette année, nous avons suivi 9 skippers, oui, même si je suis plus sur la formation des Figaristes. On accompagne des coureurs que l’on connaît depuis longtemps : Sébastien Simon qui sort de la filière Bretagne CMB (filière de détection du Pôle), Charlie Dalin qui a fait 3 ans chez MACIF, Sam Davies est au Pôle depuis 2003, Romain depuis 2000…"
F.N. : On a tendance à oublier toute l’importance de l’avant course, toute la préparation en amont, le coaching…
J.G. : "Michel Desjoyeaux disait « la course est faite à 80% avant le départ » et c'est vrai ! Quant au terme « coaching », il est un peu « gouroutisé », alors que le Pôle accompagne, c’est plus dans cet esprit. Nous n’avons pas d’intérêt particulier à ce qu’un coureur plus qu’un autre gagne, il n’y a pas de conflits d’intérêts."
F.N. : Quels sont vos projets pour ce début d'année ?
J.G. : "Il y a eu « la rentrée des classes » avec les Figaristes il y a quelques jours, avec 10-12 skippers. La première formation qu’ils ont eue portait sur la météo et elle a été réalisée par Yoann Richomme, coureur du Pôle pendant des années. C’est notre force : on a des coureurs qui sont devenus tellement pertinents dans leur domaine qu’ils sont devenus experts et ils viennent partager cela avec les jeunes du Pôle. Nicolas Lunven aussi est intervenu. Ce sont des coureurs avec qui et contre qui j’ai couru, et je trouve cela génial de pouvoir continuer de travailler avec ces personnes dont je connais les qualités. C’est une belle boucle, on s’auto alimente les uns les autres !"
F.N. : A titre perso, vous naviguez ?
J.G. : "J’ai fait des choses que je n’aurais jamais eu le temps de faire si j’avais continué à courir ! Je suis partie en février 2015 en Islande à bord d’un bateau qui s’appelle Maewan qui est skippé par Erwan Le Lann, un ami montagnard que j’ai rencontré via le Trophée Mer et Montagne et qui avait pour projet de faire une grande boucle autour du monde, de se rendre en bateau dans des endroits inaccessibles à pied et d’y faire des activités de montagne. Mais comme il n’était pas très marin, je suis partie avec lui. L’année d’après, j’ai fait la moitié du passage du Nord-Ouest, du Groenland au Canada.
Je ne fais pas beaucoup de navigation à la journée mais quand je fais des navigations, elles sont belles ! Et depuis que j’ai navigué dans les glaces, je n’ai qu’une envie c’est d’y retourner. Mais le travail me prend pas mal de temps, et la pandémie en a décidé autrement... Il y a un petit côté aventure et dépassement de soi qui me manque quand même !"
F.N. : Avez-vous le sentiment que la navigation d'aujourd'hui est différente de celle d'hier ?
J.G. : "Même si certaines choses ont changé dans la course notamment d’un point de vue technologique, la course en elle-même n’a pas tellement changé… il s’agit toujours de dépassement de soi, d’apprendre à se connaître, et j’aime encore explorer tout cela lorsque je navigue !"