
Un vaisseau ordinaire promis à un destin extraordinaire
Rien, à première vue, ne prédestinait le HMS Endeavour à entrer dans la légende. Construit en 1764 dans les chantiers navals du Yorkshire, ce solide navire de charbonnier nommé alors Earl of Pembroke n’avait rien d’un bâtiment de prestige. Large, stable et robuste, il servait à transporter du charbon sur la côte anglaise. Sa silhouette trapue, idéale pour naviguer dans les mers agitées du Nord, séduisit pourtant la Royal Navy en quête d’un bateau fiable pour une mission scientifique hors du commun : observer le passage de Vénus devant le Soleil depuis Tahiti.
En 1768, le navire fut racheté, rebaptisé Endeavour, et soigneusement réaménagé. On le dota d’une cabine pour les instruments scientifiques, d’un laboratoire et d’un espace pour accueillir les naturalistes. Ce modeste charbonnier devenait ainsi le théâtre d’une expédition qui allait bouleverser la connaissance du monde.
L’épopée du Pacifique
Sous le commandement du jeune capitaine James Cook, le HMS Endeavour leva l’ancre de Plymouth le 26 août 1768. À son bord, une centaine d’hommes, parmi lesquels le naturaliste Joseph Banks, son assistant Daniel Solander et l’illustrateur Sydney Parkinson. Leur mission : combiner science, exploration et observation.
Après plus de huit mois de navigation et un passage éprouvant par le cap Horn, le navire atteignit Tahiti au printemps 1769. L’observation du transit de Vénus y fut un succès, mais Cook détenait un second ordre, tenu secret jusqu’alors : poursuivre vers le sud et l’ouest pour découvrir le mystérieux continent austral que les Européens soupçonnaient encore d’exister.
Cap vers l’inconnu. En octobre 1769, l’Endeavour longea les côtes de la Nouvelle-Zélande. Pendant six mois, Cook en fit le tour complet, établissant avec une précision remarquable la première carte du territoire et prouvant qu’il s’agissait de deux îles distinctes. Puis, en avril 1770, le navire toucha une terre encore inexplorée par les Européens : l’Australie. Cook en longea toute la côte est, baptisée New South Wales, et en revendiqua la possession pour la Couronne britannique.

Naufrage évité de justesse sur la Grande Barrière de corail
L’expédition aurait pu s’arrêter là. En juin 1770, au large du Queensland, le Endeavour heurta la Grande Barrière de corail. Le choc fut terrible : la coque fut transpercée et l’eau commença à s’engouffrer. Cook fit jeter par-dessus bord les canons, les barriques et le matériel pour alléger le navire, tandis que les hommes pompaient jour et nuit. Grâce à une manœuvre d’une précision incroyable, il réussit à échouer le bateau sur une plage abritée, aujourd’hui Cooktown.
Pendant plusieurs semaines, l’équipage répara la coque avec les moyens du bord, taillant du bois sur place, rebouchant les fissures et calfatant les joints. Ce moment de survie, au milieu de nulle part, révéla la discipline et l’ingéniosité d’un équipage soudé, mené par un capitaine d’une rigueur exemplaire.
Un retour discret pour un navire légendaire
Après trois années de mer, le HMS Endeavour rentra en Angleterre en juillet 1771. Le navire rapportait des cartes d’une précision inédite, des milliers d’échantillons botaniques et zoologiques, et une moisson d’observations scientifiques qui allaient révolutionner la géographie et l’histoire naturelle. Pourtant, la gloire ne fut pas pour lui.
Jugé usé, il fut vendu à des armateurs privés et rebaptisé Lord Sandwich II. Durant la guerre d’indépendance américaine, il servit au transport de troupes britanniques avant d’être sabordé en 1778 au large de Newport, dans le Rhode Island, pour bloquer le port face à la flotte française.
Plus de deux siècles plus tard, des fouilles sous-marines ont permis d’identifier l’une des épaves retrouvées dans la baie comme étant celle du Endeavour. Une découverte émouvante pour les historiens maritimes, confirmant que le navire pionnier repose aujourd’hui dans les eaux américaines.

Héritage d’un pionnier de l’exploration
De navire de charbonnier à symbole mondial, l’Endeavour incarne l’esprit d’une époque où la curiosité scientifique et la soif de découverte guidaient les marins vers l’inconnu. Répliques, musées et expositions lui rendent hommage, notamment en Australie, où la copie grandeur nature du navire attire chaque année des milliers de visiteurs.
Mais son héritage reste complexe : l’arrivée de Cook et de son équipage marque aussi le début d’une ère douloureuse pour les peuples autochtones. L’histoire de l’Endeavour est donc à la fois celle d’un exploit maritime et d’un tournant historique majeur.
Au-delà de la légende, il demeure le symbole d’une époque où la mer était la grande frontière du savoir, et où un simple navire de bois pouvait, à lui seul, redessiner la carte du monde.
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