
1. Le rorqual commun : le géant silencieux de Méditerranée
Avec ses 20 à 24 mètres de long et jusqu’à 70 tonnes, le rorqual commun (Balaenoptera physalus) est le plus grand animal de Méditerranée - et le deuxième plus grand au monde après la baleine bleue. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas d’un visiteur occasionnel mais d’une espèce présente de manière régulière, notamment dans le sanctuaire Pelagos, une vaste zone marine protégée qui s’étend entre Toulon, la Sardaigne et la Ligurie.
Son régime alimentaire est exclusivement composé de krill, qu’il filtre à l’aide de fanons. Il est capable de parcourir de longues distances en suivant les concentrations de plancton, et ses migrations saisonnières l’amènent jusque dans les eaux profondes du bassin oriental. Très discret malgré sa taille, il remonte parfois en surface pour respirer, laissant entrevoir son dos gris et son souffle puissant pouvant s’élever à plus de six mètres.
Longtemps chassé, le rorqual est aujourd’hui protégé, mais reste menacé par les collisions avec les navires et la pollution sonore sous-marine. Plusieurs projets européens, comme le programme QuietMed2, visent à réduire ces risques pour favoriser la cohabitation avec le trafic maritime.
2. Le cachalot : le colosse des abysses
Moins long que le rorqual, mais bien plus massif, le cachalot (Physeter macrocephalus) atteint en Méditerranée entre 12 et 18 mètres pour un poids pouvant dépasser les 50 tonnes. C’est le plus gros carnivore du monde et un chasseur redoutable. Grâce à ses capacités de plongée exceptionnelles - plus de 1 000 mètres de profondeur, parfois jusqu’à deux heures sans respirer -, il se nourrit principalement de céphalopodes, dont certains calmars géants.
La Méditerranée abrite une population résidente de cachalots, notamment concentrée autour des grandes fosses sous-marines comme celle de Calvi en Corse, de Matapan en Grèce ou encore au large des Baléares. Les scientifiques suivent leurs déplacements à l’aide de balises et d’enregistrements acoustiques. Leurs clics, utilisés pour l’écholocation, résonnent à travers les profondeurs.
Menacé par les enchevêtrements dans les filets dérivants (encore utilisés illégalement dans certains secteurs), il est également vulnérable aux collisions avec les navires rapides. Des campagnes de sensibilisation ont permis d’installer des dispositifs de détection dans plusieurs zones sensibles, mais la situation reste fragile.

3. La raie géante méditerranéenne : l’élégance invisible
La Mobula mobular, souvent appelée raie géante méditerranéenne ou raie diable, est l’une des plus grandes espèces de raies au monde. Endémique du bassin méditerranéen, elle peut atteindre plus de 5 mètres d’envergure, bien que la plupart des individus mesurent entre 3 et 4 mètres. Discrète, elle évolue généralement dans les eaux profondes au large, loin des côtes. C’est une espèce pélagique, filtrant le plancton tout en se déplaçant en bancs.
À la différence des raies mantas de l’océan Indien ou Pacifique, Mobula mobular ne fréquente que très rarement les récifs ou les baies. Elle remonte parfois en surface, notamment en période de reproduction ou lors de rassemblements alimentaires. Quelques observations spectaculaires ont été faites au large de la Calabre, du canal de Sicile ou des côtes tunisiennes.
Malgré sa taille impressionnante, elle reste peu étudiée. Les connaissances sur sa reproduction, sa longévité et ses comportements migratoires sont encore lacunaires. Classée "En danger" sur la Liste rouge de l’UICN, elle est victime de captures accidentelles dans les chaluts pélagiques.

4. La tortue caouanne : la plus grande migratrice de Méditerranée
Avec sa carapace pouvant mesurer jusqu’à 1,20 mètre et un poids moyen de 100 à 140 kg, la tortue caouanne (Caretta caretta) est la plus imposante tortue marine du bassin méditerranéen. Présente dans toute la mer, elle effectue de longues migrations entre ses zones d’alimentation et ses sites de ponte, principalement situés sur les plages grecques (Zakynthos, Péloponnèse), chypriotes, libyennes ou turques.
Sa tête large et ses puissantes mâchoires lui permettent de se nourrir de crabes, coquillages, méduses et poissons. Elle peut parcourir plusieurs milliers de kilomètres pour revenir pondre sur la plage même où elle est née, guidée par un instinct encore mal compris.
Victime du plastique, des filets de pêche et de l’urbanisation du littoral, la tortue caouanne bénéficie de mesures de protection dans plusieurs pays, notamment avec des plages surveillées et des dispositifs d’exclusion des tortues sur certains engins de pêche. Le suivi par balise satellite a permis de mieux comprendre ses routes migratoires, notamment vers la Tunisie, l’Adriatique et la côte libanaise.

5. Le requin pèlerin : le géant paisible et méconnu
Souvent victime de son nom, le requin pèlerin (Cetorhinus maximus) est en réalité totalement inoffensif. C’est le deuxième plus grand poisson du monde, juste après le requin-baleine. Il peut dépasser 10 mètres de long pour une masse avoisinant les 4 tonnes, mais il ne s’alimente que de plancton, qu’il filtre en nageant la bouche grande ouverte.
Présent de manière sporadique en Méditerranée, il effectue des migrations saisonnières complexes. On l’aperçoit parfois au printemps ou en début d’été près des côtes françaises, italiennes ou croates, généralement lorsqu’il suit des bancs de plancton. Sa nage lente, sa grande taille et sa nageoire dorsale caractéristique font qu’il est parfois confondu avec un grand requin blanc, déclenchant des alertes injustifiées.
Autrefois chassé pour son foie riche en huile, il est aujourd’hui protégé dans de nombreux pays. Les observations se sont multipliées ces dernières années grâce aux signalements citoyens et aux programmes scientifiques comme MEDLEM (Mediterranean Large Elasmobranchs Monitoring).

Une Méditerranée plus sauvage qu’elle n’y paraît
La Méditerranée, mer semi-fermée très fréquentée par les humains, reste un véritable sanctuaire pour une faune marine méconnue. Ces cinq géants, discrets mais bien présents, témoignent de la richesse biologique du bassin. Leur observation - souvent le fruit de patience, de respect et de hasard - suscite fascination et humilité. La protection de ces espèces est aujourd’hui un enjeu majeur pour les ONG, les États riverains et les scientifiques. Réduction du trafic maritime, sensibilisation à la pollution sonore, interdiction des filets dérivants : autant de défis pour garantir à ces géants une place durable dans le monde méditerranéen.