
Le Figaro Nautisme : Comment se prépare un événement comme la Solitaire du Figaro, et quels sont les défis les plus marquants pour l’organisation ?
Julie Coutts : La Solitaire du Figaro est un événement annuel qui ne connaît jamais de pause dans sa préparation. C’est une mécanique bien réglée, presque comme du papier à musique. Le premier point critique, c’est le parcours : il conditionne une grande partie du travail. Chaque année, nous devons identifier quatre villes étapes, et nous avons à cœur de proposer un tracé nouveau pour surprendre marins, public, partenaires et médias.
L’organisation s’articule ensuite autour de deux volets. Le premier, nautique et sportif, est pris en main par le directeur de course : règles, instructions, communication avec les skippers, tracé exigeant et garant d’un spectacle intense. Le second concerne l’animation à terre : comment faire vivre la course dans les villes hôtes, comment animer les villages et accueillir le public. Pour cela, une équipe interne travaille toute l’année en lien avec les collectivités, afin de bâtir les villages et les programmes d’animations.
Le Figaro Nautisme : Ces villages proposent-ils les mêmes activités à chaque escale ?
Julie Coutts : On retrouve une base commune, car nos partenaires historiques, comme Suzuki, qui fête ses 20 ans de partenariat avec la course, assurent une présence forte sur chaque village avec des animations récurrentes. Mais ensuite, chaque escale se densifie différemment avec des partenaires locaux, des associations, des concerts, des présentations de skippers, des séances de dédicaces... L’idée est que chaque escale ait son identité tout en restant dans l’esprit de la Solitaire.
Le Figaro Nautisme : La Solitaire fête sa 56e édition. Comment préservez-vous son ADN historique tout en l’adaptant aux évolutions de la course au large ?
Julie Coutts : Nous tenons à conserver l’essence de la Solitaire : une course en solitaire, rude et exigeante, qui reste un véritable monument de difficultés pour les marins. C’est un défi de très haut niveau, autant dans la préparation que sur l’eau. L’itinérance est également un marqueur fort : parcourir la côte ouest, proposer des escales à l’étranger, célébrer le large. La Solitaire du Figaro n’a rien d’une régate côtière, c’est une épreuve au large qui met les marins face à la réalité de l’océan.
Le Figaro Nautisme : Comment déterminez-vous le parcours chaque année ?
Julie Coutts : Il y a d’abord nos envies sportives. Cette année, nous avions par exemple le souhait de remettre le Fastnet au programme, car c’est un passage historique qui marque toujours une carrière de marin. Nous voulions aussi inclure une escale à l’étranger pour donner une ouverture internationale. Ensuite, la réalité s’impose : trouver des villes prêtes à s’engager, sécuriser les financements, mettre en place les infrastructures. Heureusement, nous avons des collectivités partenaires fidèles. Rouen, par exemple, après avoir accueilli le Grand Départ en 2024, a souhaité immédiatement se repositionner pour 2025. Une fois ces intentions posées, tout le puzzle s’assemble.
Le Figaro Nautisme : Le départ depuis Rouen et la remontée de la Seine jusqu’au Havre représentent-ils un défi particulier ?
Julie Coutts : En 2024, c’était une première, donc source d’inquiétude. La traversée du pont Flaubert, axe central de Rouen, a nécessité une coordination minutieuse avec les autorités locales, car son ouverture a des conséquences importantes sur le trafic. Pour les marins, la remontée de la Seine est un effort supplémentaire, long et fatiguant. Mais en contrepartie, c’est un moment exceptionnel : entrer en plein cœur de Rouen, là où le public n’a pas l’habitude de voir ce type d’événement, crée une atmosphère unique. Le succès de 2024 a été tel que nous abordons 2025 beaucoup plus sereinement.

Le Figaro Nautisme : Le tracé traverse des zones réputées redoutables comme le Fastnet ou le Golfe de Gascogne. Quelles qualités de marin seront mises à l’épreuve ?
Julie Coutts : Le Fastnet est impressionnant, surtout de nuit dans une mer formée, et demande beaucoup de concentration. Le Golfe de Gascogne, en septembre, est un piège à lui seul : il peut apporter les premières tempêtes automnales ou au contraire des conditions de pétole qui usent les nerfs. Enfin, les approches des ports d’arrivée sont souvent déterminantes : courants, effets de marée, vents capricieux... Un classement peut basculer dans les derniers milles. Cela s’est vu il y a deux ans à Roscoff, où certains marins sont restés bloqués des heures à quelques centaines de mètres de la ligne.
Le Figaro Nautisme : Avec 35 concurrents et de nombreux bizuths, comment les accompagnez-vous ?
Julie Coutts : La Classe Figaro assure un gros travail d’accompagnement à l’année. De notre côté, nous imposons des critères de sélection et de sécurité pour garantir que chaque marin et chaque bateau est prêt. Depuis 2024, nous avons aussi lancé le Défi Paprec : une première étape en double qui permet aux nouveaux de découvrir la Solitaire en douceur. En 2025, huit équipages seront au départ de Rouen pour cette expérience, qui les mènera jusqu’à Roscoff, en passant par le Fastnet pour certains : un vrai baptême.
Le Figaro Nautisme : On parle souvent de la Solitaire comme d’une "école de l’excellence". Qu’est-ce qui rend cette édition unique ?
Julie Coutts : C’est la diversité des situations rencontrées : le Fastnet, les longues traversées du Golfe de Gascogne, les arrivées piégeuses. Les marins expérimentent en une seule course la plupart des défis qu’ils retrouveront dans leur carrière au large. C’est une formation grandeur nature, dure et formatrice.
Le Figaro Nautisme : Quelles évolutions voyez-vous dans la course au large, et comment la Solitaire s’y adapte-t-elle ?
Julie Coutts : La course au large s’est profondément professionnalisée en quinze ans : équipes structurées, classes organisées, médiatisation renforcée. Pour continuer, nous devons accompagner l’innovation. La médiatisation digitale est un axe clé. Nos bateaux sont équipés de capteurs comparables à ceux de la Formule 1, mais nous n’exploitons pas encore ces données pour le grand public. Notre défi est de les rendre compréhensibles, attrayantes et de renforcer l’engouement. Il faut aussi travailler la starification des marins, pour qu’ils ne soient pas médiatisés seulement une fois chaque année, sur une période donnée, mais suivis tout au long de l’année.
Le Figaro Nautisme : Au-delà du sportif, quel héritage souhaitez-vous laisser avec l’édition 2025 ?
Julie Coutts : Notre objectif est de faire découvrir ce sport à de nouveaux publics. Le fait que la course se déroule entièrement en septembre est une chance, car cela permet d’accueillir de nombreux scolaires, notamment à Rouen. Les jeunes vont rencontrer les marins, comprendre leur quotidien, et être sensibilisés à la protection des océans. Nous arrivons aussi pour la première fois à Saint-Vaast-la-Hougue pour l’arrivée finale : un territoire nouveau qui découvrira la course. L’héritage, c’est d’élargir le public de la Solitaire et de transmettre une culture maritime à ceux qui n’y ont pas facilement accès.
Le Figaro Nautisme : À quelques jours du départ, quels sont vos derniers défis ?
Julie Coutts : Désormais, notre attention se porte sur la météo, qui conditionnera l’ambiance et la première étape. Nous sommes dans la dernière ligne droite, avec une seule envie : donner le coup d’envoi de la fête.
À travers ses propos, Julie Coutts rappelle combien la Solitaire du Figaro reste une épreuve unique : exigeante, imprévisible et profondément formatrice. Fidèle à son ADN tout en cherchant à innover, la course s’impose comme un pilier de la voile française. À quelques jours du départ, entre excitation sportive et effervescence populaire, tout est désormais en place pour que la 56e édition entre à son tour dans l’histoire.