Le Sabordage de Toulon : l’acte désespéré qui a marqué l’histoire navale française

Culture nautique
Par Le Figaro Nautisme

Le 27 novembre 1942, la rade de Toulon se transforme en théâtre d’une tragédie volontaire et spectaculaire. La flotte française, menacée d’être capturée par l’Allemagne nazie, est détruite par ses propres marins. Un épisode où se mêlent chaos, fumée, explosions, mais aussi fierté et refus d’humiliation.

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Le 27 novembre 1942, la rade de Toulon se transforme en théâtre d’une tragédie volontaire et spectaculaire. La flotte française, menacée d’être capturée par l’Allemagne nazie, est détruite par ses propres marins. Un épisode où se mêlent chaos, fumée, explosions, mais aussi fierté et refus d’humiliation.

Une flotte sous tension depuis 1940

Depuis l’armistice, Toulon est le cœur battant d’une flotte bridée, immobilisée mais redoutée. L’amertume est encore vive après Mers el-Kébir, où les Britanniques, craignant une capture par les Allemands, avaient attaqué la flotte française, provoquant la mort de près de 1 300 marins. Cet épisode douloureux a durablement marqué les équipages, tiraillés entre loyauté à Vichy, rancœur envers Londres et inquiétude face à Berlin.
La base navale de Toulon abrite alors la majorité des grands bâtiments encore opérationnels : cuirassés, croiseurs, contre-torpilleurs. Un arsenal impressionnant, mais tenu en laisse. Aux yeux d’Hitler, cette force figée reste une proie convoitée.

Novembre 1942 : l’équilibre rompu

L’invasion alliée en Afrique du Nord change tout. Le 11 novembre, les troupes allemandes franchissent la ligne de démarcation et occupent la zone libre. Toulon devient un objectif prioritaire.
Les marins savent que le danger est imminent. Mais depuis des mois, un plan secret existe : si l’ennemi franchit les grilles de l’arsenal, les navires devront être détruits, sans hésitation. Des consignes techniques détaillées circulent sous le manteau. Les soutes à explosifs sont préparées, les équipages entraînés à saboter en urgence.
À l’aube, les chars allemands de la 7e Panzerdivision avancent vers la rade. Ils espèrent surprendre les marins endormis. Mais dès 4 h 30, l’alerte est donnée. Les sirènes hurlent, les ordres claquent. L’amiral de Laborde, depuis son pavillon hissé sur le Strasbourg, active le signal tant redouté : « Exécutez le sabordage. »
Alors commence une course contre la montre. Dans les coursives des navires, les marins se précipitent, ouvrent les vannes d’inondation, percent les coques, mettent le feu aux soutes. Des charges explosives sont déclenchées dans les chaufferies, les munitions sont immergées, les moteurs irrémédiablement détruits.

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Un chaos organisé

Ce qui se déroule ce matin-là est à la fois chaotique et méthodique. Les hommes courent, les ordres se hurlent, la fumée envahit les ponts. Le Marseillaise est en flammes, son équipage l’abandonne tandis que l’acier crépite sous la chaleur. Le Strasbourg, cuirassé amiral, s’incline sur le côté avant de disparaître dans un nuage de mazout.
Sur le Dunkerque, les marins détruisent les canons un à un avant de quitter le bord. Dans les bassins, des sous-marins tentent de manœuvrer : certains parviennent à appareiller, d’autres sont coulés à quai. Le Casabianca réussit une sortie audacieuse et s’échappe vers Alger, devenant un symbole de la résistance navale.
En trois heures, la rade se couvre d’épaves fumantes. L’air est saturé d’odeurs d’huile brûlée et de cordite. Les habitants de Toulon, massés sur les collines, assistent avec stupeur à la destruction de ce qui faisait la fierté de leur ville.

Bilan : une flotte sacrifiée

Au total, 77 navires disparaissent :
o 3 cuirassés,
o 7 croiseurs,
o 32 destroyers et torpilleurs,
o 16 sous-marins,
o ainsi qu’une quarantaine d’unités plus petites.
Les pertes matérielles sont colossales : plus de 200 000 tonnes de bâtiments englouties. Mais pour les Allemands, c’est une douche froide. Ils espéraient capturer une flotte moderne et redoutable. Ils trouvent une rade transformée en cimetière naval. Quelques coques seront renflouées, mais aucune ne retrouvera un rôle militaire significatif.

Entre sacrifice et calcul

Le sabordage de Toulon est encore débattu par les historiens. Pour certains, il s’agissait d’un sacrifice inutile, qui prive la France libre d’une force navale décisive. Pour d’autres, c’est un geste d’honneur, une manière de refuser toute compromission avec Hitler.
La vérité est sans doute entre les deux : la Marine française, divisée entre Vichy et Londres, n’était pas en mesure de rallier massivement les Alliés à ce moment-là. Le sabordage apparaît comme le seul choix possible pour éviter que les navires ne servent la propagande nazie.
Derrière les navires coulés, il y a des milliers de marins. Beaucoup racontent plus tard le déchirement d’avoir détruit le bâtiment où ils avaient servi, où certains avaient grandi et noué des amitiés. Certains ont quitté leur navire en pleurant, d’autres ont décrit une forme de fierté sombre, convaincus d’avoir fait ce qu’il fallait.
À Toulon même, les civils ont vécu la journée comme une catastrophe. La ville a tremblé sous les explosions, des nuages épais ont obscurci le ciel. Dans les jours qui suivent, l’odeur du mazout imprègne les rues, tandis que des carcasses calcinées émergent encore de la rade.

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La mémoire à Toulon et en France

Aujourd’hui, le sabordage est commémoré chaque année par la Marine nationale. Des plaques rappellent l’événement, et certains vestiges sont encore visibles sous l’eau. Pour les Toulonnais, il reste une blessure mais aussi un acte d’honneur.
Au niveau national, il symbolise un moment paradoxal : une armée contrainte à l’inaction mais refusant de se livrer, une flotte détruite par elle-même pour échapper à l’ennemi.


Le Sabordage de Toulon n’a pas d’équivalent dans l’histoire maritime moderne. Rarement une flotte entière s’est ainsi autodétruite en une seule journée. L’acte a privé l’Allemagne d’une victoire majeure, mais il a aussi marqué la fin de la Marine française comme grande puissance indépendante durant la guerre.
Le 27 novembre 1942 reste ainsi une date gravée dans l’histoire : un mélange d’apocalypse et d’héroïsme, où l’acier, le feu et la mer ont scellé un choix radical.

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.