
Long d’environ 30 mètres pour une jauge de 180 tonneaux, il servait aux échanges entre l’Angleterre, la France et les Pays-Bas. Il transportait du vin, du sel, du lin, du poisson ou encore des bois précieux, naviguant entre La Rochelle, Bordeaux et Londres. Son capitaine, Christopher Jones, un marin chevronné originaire d’Harwich, en possédait une partie et connaissait bien ces routes commerciales.
Durant plus d’une décennie, le Mayflower mena cette vie tranquille de navire de commerce, jusqu’à ce qu’une traversée particulière le fasse entrer dans l’Histoire. En 1620, il fut affrété pour une mission bien différente : transporter vers l’Amérique un groupe de dissidents religieux anglais, les futurs "Pères pèlerins", déterminés à fonder une colonie où ils pourraient vivre librement leur foi.
Un départ incertain et une traversée périlleuse
Le projet prit forme à Londres, soutenu par la London Virginia Company et des investisseurs désireux d’étendre la présence anglaise au Nouveau Monde. Deux navires furent choisis : le Mayflower et le Speedwell. Le premier, robuste, transportait les colons et leurs provisions ; le second, plus petit, devait les accompagner. Mais dès la Manche, le Speedwell enchaîna les avaries et dut abandonner à Dartmouth. Les deux équipages se regroupèrent alors sur le Mayflower, qui appareilla seul le 6 septembre 1620 depuis Plymouth, avec 102 passagers et environ 30 membres d’équipage.
La traversée fut éprouvante. Les vents contraires, la promiscuité et les tempêtes rendirent la vie à bord difficile. Les passagers dormaient dans la cale basse, sans lumière ni aération, au milieu des vivres et des tonneaux d’eau douce. La nourriture se gâtait, l’humidité imprégnait tout, et la maladie se répandait. Malgré cela, un seul passager mourut en mer, tandis qu’un bébé, Oceanus Hopkins, naquit au milieu de l’Atlantique.
Le 9 novembre, après soixante-six jours de mer, la vigie aperçut enfin la côte américaine. Mais le navire avait dérivé : au lieu d’atteindre la Virginie, il se trouvait face aux rivages froids du Massachusetts, à l’entrée de ce qui deviendrait Cape Cod.
Le Mayflower Compact, un texte fondateur
Avant de débarquer, les colons prirent une décision qui marquera l’histoire politique américaine : rédiger un accord fixant les règles de leur nouvelle communauté. Le Mayflower Compact fut signé le 11 novembre 1620 par 41 hommes. Il établissait les bases d’un gouvernement local fondé sur la majorité et la coopération. Cet acte, simple et pragmatique, est aujourd’hui considéré comme la première forme d’autogouvernance démocratique du monde colonial anglais.
Après plusieurs semaines d’exploration, les colons choisirent un site pour s’établir, qu’ils baptisèrent Plymouth, en hommage à leur port de départ. L’hiver fut terrible. Le scorbut, la faim et le froid décimèrent la colonie : plus de la moitié des passagers périrent avant le printemps. Ceux qui survécurent durent leur salut à l’aide des Wampanoags, peuple autochtone qui leur enseigna à cultiver le maïs et à chasser sur ces terres nouvelles.

Le dernier voyage du Mayflower
Pendant ces longs mois, le navire resta à l’ancre, servant d’abri et d’entrepôt flottant. Lorsque la colonie fut stabilisée, au printemps 1621, le capitaine Jones décida de rentrer en Angleterre. Le Mayflower appareilla en avril, chargé seulement de son équipage, et atteignit Londres début mai après un retour éprouvant.
Le navire ne reprit jamais la mer pour l’Amérique. Christopher Jones mourut peu après, en mars 1622, et son bâtiment, laissé à quai, fut abandonné. En 1624, la coque fut jugée hors d’usage et vendue pour être démantelée. Une légende tenace veut que son bois ait servi à construire une grange dans le Buckinghamshire, toujours visible sous le nom de Mayflower Barn.
Un mythe plus fort que le bois
Si le Mayflower disparut physiquement, son histoire, elle, prit une ampleur considérable. Dès le XVIIIe siècle, il devint un symbole de courage, de foi et de liberté. Les descendants des passagers, fiers de leur ascendance, contribuèrent à forger le mythe des "Pères fondateurs". L’épisode fut célébré comme le premier chapitre de l’Amérique moderne, où un groupe d’hommes et de femmes osa traverser l’océan pour bâtir une société nouvelle. Au XXe siècle, plusieurs répliques du navire furent construites, dont la plus célèbre, Mayflower II, lancée en 1957 à Plymouth (Angleterre) et offerte aux États-Unis. Restaurée en 2020 pour le 400e anniversaire de la traversée, elle témoigne encore aujourd’hui de cette aventure humaine et maritime hors du commun.
De simple navire de commerce devenu vaisseau d’espoir, le Mayflower reste l’un des symboles les plus puissants de la naissance d’une nation. Son bois a disparu, mais son histoire continue de flotter sur l’océan de la mémoire collective, rappelant que parfois, ce sont les plus modestes des bateaux qui portent les plus grands rêves.