HMS Bounty : la mutinerie qui fit vaciller l’empire

Culture nautique
Par Le Figaro Nautisme

Un petit navire, une grande tempête humaine. De la gloire de Tahiti à la flamme de Pitcairn, l’histoire du HMS Bounty est celle d’un rêve brisé sur les flots. À bord, une mission botanique, un capitaine inflexible, des marins épuisés… et une révolte qui allait devenir légende.

Un petit navire, une grande tempête humaine. De la gloire de Tahiti à la flamme de Pitcairn, l’histoire du HMS Bounty est celle d’un rêve brisé sur les flots. À bord, une mission botanique, un capitaine inflexible, des marins épuisés… et une révolte qui allait devenir légende.
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Aux origines du voyage

En 1787, la Royal Navy achète un modeste charbonnier baptisé Bethia. Solide mais sans éclat, il devient le HMS Bounty. On lui confie une mission inhabituelle : rapporter de Tahiti des plants d’arbre à pain, destinés à nourrir à moindre coût les esclaves des plantations britanniques des Antilles. Derrière cette expédition se cache un projet économique autant qu’un rêve scientifique : acclimater un fruit tropical dans les colonies.
À sa tête, la marine nomme William Bligh, lieutenant chevronné et ancien compagnon du grand James Cook. Marin redouté pour sa rigueur et son perfectionnisme, Bligh inspire autant le respect que la crainte. L’équipage, une quarantaine d’hommes choisis avec soin, embarque à Portsmouth le 23 décembre 1787.
La mer d’hiver est impitoyable. Les tempêtes déchirent les voiles, le froid engourdit les hommes, les vivres s’amenuisent. Après des semaines d’attente au cap Horn, Bligh décide de changer de route : cap sur le sud de l’Afrique, puis l’océan Indien, avant de remonter vers le Pacifique. Une odyssée de près d’un an. Et enfin, après dix mois de navigation, la terre promise : Tahiti.

Tahiti, l’île de la tentation

Lorsque le Bounty jette l’ancre dans la baie de Matavai, le 26 octobre 1788, l’accueil est radieux. Les Tahitiens partagent leur nourriture, leurs chants, leur hospitalité. Pour les marins exténués, c’est un autre monde. Le travail de collecte des plants d’arbre à pain se déroule lentement, ponctué de fêtes, d’échanges et de relations avec les habitants.
Les jours s’étirent. Les uniformes s’allègent. Les ordres se font plus rares. Le devoir s’efface peu à peu derrière le goût du paradis. Les hommes s’attachent à l’île, à sa douceur, à ses visages. Pour Bligh, c’est une trahison silencieuse : il voit son autorité s’effriter, son équipage se dissoudre dans la mollesse des tropiques. Sa sévérité redouble. Les humiliations pleuvent, les sanctions tombent.
Le 4 avril 1789, les voiles sont hissées. Les 1 015 jeunes plants d’arbre à pain reposent dans des caisses humides sur le pont. L’heure du départ a sonné, mais le cœur des marins, lui, reste à terre.

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La mutinerie

Vingt-quatre jours plus tard, à l’aube du 28 avril 1789, le drame éclate. Fletcher Christian, second du navire, jusque-là loyal, pénètre dans la cabine du capitaine avec plusieurs hommes armés. Bligh, encore endormi, se retrouve face à ses mutins. En quelques minutes, tout s’effondre : l’ordre, la hiérarchie, la mission.
Les marins hésitent, certains obéissent encore au capitaine, d’autres suivent Christian, mû par une colère sourde. Bligh et dix-huit hommes fidèles sont forcés d’embarquer dans une petite chaloupe, avec un sextant, une montre et quelques rations. Le Bounty s’éloigne, disparaît à l’horizon.
Commence alors une navigation prodigieuse : 6 700 km parcourus à la rame et à la voile, dans une embarcation minuscule, à travers les orages et les récifs. Sans carte ni boussole, Bligh guide ses hommes jusqu’au comptoir hollandais de Timor après 47 jours de mer. Un exploit de ténacité et de mémoire nautique.

L’exil et la fin du navire

Pendant ce temps, Fletcher Christian cherche une issue. Revenir à Tahiti serait se livrer à la vengeance britannique ; partir ailleurs, c’est affronter l’inconnu. Après plusieurs tentatives, il découvre l’île de Pitcairn, mal positionnée sur les cartes, hors de portée des routes maritimes.
Le 23 janvier 1790, il y jette l’ancre et fait débarquer hommes, femmes et enfants. Puis il ordonne de brûler le Bounty. Les flammes lèchent la coque, les mâts s’effondrent, le bois craque : la mer engloutit les cendres du navire comme pour effacer la faute.
Mais l’utopie tourne vite au chaos : conflits violents, jalousies, morts successives. Fletcher Christian lui-même est tué après quelques années. Lorsque le navire américain Topaz accoste à Pitcairn en 1808, un seul mutin anglais est encore vivant : John Adams. Autour de lui, une petite communauté issue des unions entre Britanniques et Tahitiens, vivant en autarcie, héritière d’un drame oublié.

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L’héritage d’une légende

Le Bounty n’a jamais livré son or ni conquis de territoire. Mais il a offert un mythe. L’histoire d’un navire ordinaire, emporté par des passions humaines : la soif de liberté, la révolte contre l’ordre, le vertige du paradis. Bligh, capitaine inflexible mais génial navigateur, incarne la rigueur de l’empire ; Christian, l’appel du monde nouveau. Entre eux, la mer, immense et impassible.
Aujourd’hui encore, à Pitcairn, les descendants des mutins vivent isolés, gardiens involontaires d’une mémoire envoûtante. Les vestiges du Bounty reposent dans la baie, corrodés par le sel. De temps à autre, un plongeur aperçoit un fragment de métal, un clou, une ancre : des traces fantomatiques d’une aventure qui n’aurait jamais dû survivre, et qui pourtant ne s’est jamais vraiment éteinte.

Pour aller plus loin : récits et romans
o Les Révoltés de la Bounty - Charles Nordhoff et James Norman Hall (1932) : le roman mythique à l’origine des grandes adaptations hollywoodiennes.
o La Bounty : la véritable histoire de la mutinerie - Caroline Alexander (2003) : une relecture moderne et documentée.
o Journal du capitaine Bligh - William Bligh (1790) : un témoignage brut et précis, rédigé peu après son sauvetage.

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.