
Une chasse d’une intensité inhabituelle
Ce jour-là, la photographe se trouvait seule à bord d’un bateau de location d’une petite dizaine de pieds, moteur coupé, afin de ne pas perturber les animaux dont elle suivait les mouvements. À quelques dizaines de mètres, des orques repérées plus tôt avançaient groupées, nageoires tranchant la surface comme des lames sombres.
Très vite, l’atmosphère bascule. Les vocalisations des orques deviennent plus fréquentes, leurs trajectoires plus nerveuses. Une traque est en cours. L’épaisse tête d’un phoque apparaît alors entre deux vagues, battant l’eau de toutes ses forces pour échapper à ce groupe d’au moins huit cétacés, manifestement coordonnés. Pour l’animal, l’étau se resserre.
Ne ratez aucune nouveauté : inscrivez-vous à notre newsletter dès maintenant.
En quelques secondes, le phoque change de stratégie. Plutôt que de tenter une plongée hasardeuse, il se dirige droit vers le bateau. Dans un mouvement vif et désespéré, il s’élance hors de l’eau, atterrit à l’arrière de l’embarcation et s’y cramponne, haletant, trempé, les yeux fixés vers l’horizon où les prédateurs tournent encore. Sur les images tournées par la photographe animalière, Charvet Drucker, restée d’un calme remarquable malgré la surprise, on distingue clairement les dorsales des orques frôler la coque, comme si elles tentaient d’évaluer un moyen d’atteindre leur proie. Certaines s’approchent suffisamment pour faire tanguer le bateau, mais sans jamais le heurter franchement. Ce comportement, à la fois insistant et mesuré, est caractéristique de la précision avec laquelle ces cétacés mènent leurs chasses.
Un refuge improbable
Face au danger, le phoque ne bouge plus. Le bateau devient une plateforme de survie, un abri temporaire qui ne tient qu’à l’épaisseur d’une coque en fibre. Pendant plusieurs minutes, l’animal reste immobile, le souffle court, attendant l’instant où les orques abandonneront. Finalement, après plusieurs tours successifs, les chasseuses repartent vers le large. Le groupe se disperse, rompt la formation serrée qu'il adoptait autour de l’embarcation. Le silence revient peu à peu. C’est à ce moment-là seulement que le phoque estime pouvoir tenter sa chance : il glisse de nouveau dans l’eau d’un mouvement rapide et disparaît sans remonter près du bateau.
Une scène rare qui interroge
Des phoques observés sur des embarcations, cela arrive. Mais un bond de ce type, au cœur d’une chasse active, avec un groupe d’orques si proche et aussi coordonné, reste exceptionnel. Les biologistes marins qui ont visionné les images parlent d’un comportement opportuniste parfaitement logique : pour le phoque, le bateau représente une surface solide, inaccessible aux prédateurs, et donc un ultime espoir de survie.
L’épisode rappelle aussi que les interactions entre humains et faune sauvage, même involontaires, peuvent modifier temporairement le déroulement naturel de la chaîne alimentaire. Ici, l’embarcation n’a pas « sauvé » le phoque volontairement, mais sa simple présence a offert une issue que l’animal n’aurait pas trouvée autrement.
Une mer où les rencontres sont parfois inattendues
La mer des Salish, entre l’État de Washington et la Colombie-Britannique, est l’un des territoires les plus riches en mammifères marins du Pacifique Nord. Les rencontres entre orques, phoques, lions de mer et bateaux sont régulières, mais rarement aussi dramatiques et spectaculaires. Ce jour-là, en quelques instants, une photographe partie capturer la vie marine s’est retrouvée témoin direct de l’une des scènes les plus saisissantes que peut offrir l’océan : un animal sauvage tentant le tout pour le tout, un groupe de prédateurs d’une précision remarquable, et un bateau devenu refuge par accident.
Une scène qui rappelle que, loin du rivage, la vie et la mort se jouent parfois à une poignée de secondes - et qu’un simple morceau de fibre de verre peut, contre toute attente, faire basculer le destin d’un phoque en fuite.
vous recommande