Le morse, colosse des mers arctiques menacé par la fonte des glaces

Culture nautique
Par Le Figaro Nautisme

Majestueux et massif, le morse règne sur les mers glacées du Nord depuis des millénaires. Mais la fonte accélérée de la banquise bouleverse son mode de vie, le privant de son habitat naturel et menaçant tout un équilibre écologique au cœur de l’Arctique.

Majestueux et massif, le morse règne sur les mers glacées du Nord depuis des millénaires. Mais la fonte accélérée de la banquise bouleverse son mode de vie, le privant de son habitat naturel et menaçant tout un équilibre écologique au cœur de l’Arctique.
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Avec ses longues défenses ivoirines, ses moustaches drues et sa peau épaisse, le morse (Odobenus rosmarus) est l’un des mammifères marins les plus emblématiques du cercle polaire. Mâles et femelles peuvent mesurer jusqu’à 3,6 mètres et peser plus de 1 500 kilos. Loin d’être un prédateur féroce, il passe la majeure partie de son temps à fouiller les fonds sablonneux pour se nourrir de coquillages et de mollusques. Sa puissance et son endurance lui permettent d’évoluer dans des eaux glaciales, mais il reste dépendant d’un élément clé : la glace de mer.
C’est sur ces plateformes naturelles qu’il se repose, élève ses petits, se protège des prédateurs et prend la route de ses zones de chasse. Le morse vit littéralement au rythme des glaces, dont la dynamique conditionne ses migrations et son accès à la nourriture. Or, depuis plusieurs décennies, cette relation se délite à vue d’œil.

La banquise, un refuge en train de disparaître

Chaque année, la glace de mer arctique se forme plus tard et fond plus tôt. Les observations satellites confirment un recul d’environ 13 % par décennie depuis la fin des années 1970. Cette transformation rapide bouleverse les habitudes du morse, qui se retrouve souvent piégé entre des zones de glace trop éloignées et des rivages de plus en plus fréquentés par les humains.
En Alaska ou au Svalbard, les scientifiques constatent la multiplication de rassemblements massifs, appelés haul-outs, pouvant regrouper plusieurs milliers d’individus. Ces concentrations spectaculaires, visibles depuis les airs, ne sont pas sans danger : les jeunes, fragiles et vulnérables, meurent souvent écrasés dans la cohue. À cela s’ajoutent les nuisances sonores, la présence de navires et le développement touristique, autant de sources de stress pour une espèce déjà fragilisée.
L’éloignement des zones de chasse peu profondes oblige par ailleurs les morse à parcourir de longues distances pour se nourrir, au prix d’une dépense énergétique considérable. Un déséquilibre subtil s’installe : moins de repos, moins de nourriture, plus de risques.

Un rôle écologique majeur

Au-delà de leur prestance, les morse jouent un rôle essentiel dans la santé de l’écosystème arctique. En fouillant les sédiments marins, ils remuent les fonds et libèrent des nutriments qui profitent à une multitude d’espèces, des invertébrés aux poissons. Ce travail de "laboureur des mers" participe au maintien de la productivité biologique dans ces zones extrêmes, où la vie dépend de cycles fragiles.
Leur disparition ou leur déplacement pourrait donc provoquer une réaction en chaîne. Les ours polaires et les renards arctiques, qui se nourrissent parfois de carcasses de morse, seraient eux aussi affectés. Les communautés autochtones, comme les Tchouktches et les Inupiats, qui chassent le morse depuis des générations pour sa viande et son ivoire, voient également leurs traditions menacées par la raréfaction de l’animal et les dangers croissants des expéditions sur une banquise de plus en plus instable.

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Une espèce sous pression

La fonte des glaces n’est pas la seule menace. Dans certaines régions du Groenland et de la Russie, la chasse, bien que réglementée, ajoute une pression supplémentaire. Les activités pétrolières, la navigation commerciale et la pollution sonore contribuent également à fragmenter son habitat.
Des études menées par l’université de Lund montrent que la population de morse de l’Atlantique, isolée génétiquement, est aujourd’hui particulièrement vulnérable. Les chercheurs craignent que la combinaison du réchauffement climatique et des perturbations humaines fasse basculer l’espèce vers un déclin irréversible.

Le signal d’un monde qui s’efface

Le morse est souvent décrit comme une sentinelle du changement climatique. Sa survie dépend directement de la glace, cet indicateur le plus tangible du réchauffement planétaire. Là où le morse ne trouve plus à se hisser, la banquise n’existe plus. Son déclin est donc un avertissement adressé à l’ensemble de la planète : ce qui disparaît au pôle finira par se répercuter ailleurs.
Voir ces géants entassés sur les plages, épuisés par des trajets de plusieurs centaines de kilomètres, illustre avec force la vulnérabilité d’un écosystème jadis immuable. Dans certaines zones, des drones d’observation filment désormais des groupes entiers fuyant la panique provoquée par un avion ou un ours affamé. Ces images, d’une tristesse poignante, sont devenues le symbole d’un Arctique qui se meurt à petit feu.

Un futur encore possible

Pourtant, tout n’est pas perdu. Des programmes de suivi et de protection ont vu le jour, notamment au Canada, en Norvège et au Groenland. L’identification des zones clés de reproduction, la limitation du trafic maritime dans certaines régions sensibles et la création d’aires marines protégées constituent autant d’avancées encourageantes.
Mais les scientifiques le répètent : sans action mondiale sur le climat, ces efforts resteront vains. La survie du morse dépend avant tout de notre capacité à ralentir la fonte de la banquise.

Colosse des mers, gardien silencieux de l’Arctique, le morse résume à lui seul le drame du changement climatique. Il incarne cette frontière fragile entre un monde de glace qui s’effrite et un océan qui se réchauffe inexorablement.
Chaque plaque de glace qui se détache sous ses nageoires est un rappel brutal : sauver le morse, c’est préserver un pan entier de la vie polaire, mais aussi notre propre équilibre planétaire.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.