Cutty Sark, le dernier sprint du vent

Culture nautique
Par Le Figaro Nautisme

À Greenwich, derrière la silhouette polie de sa coque suspendue, le Cutty Sark reste l’un des rares voiliers capables de provoquer un choc visuel immédiat. On dit souvent de lui qu’il est un clipper de légende. C’est vrai, mais réducteur. Le Cutty Sark est avant tout le témoignage d’une époque où la vitesse était une obsession nationale, et où traverser les océans relevait du défi, de l’orgueil et parfois de l’inconscience. Il est le dernier sursaut de la grande marine marchande à voile, celui qui a refusé de mourir en silence.

À Greenwich, derrière la silhouette polie de sa coque suspendue, le Cutty Sark reste l’un des rares voiliers capables de provoquer un choc visuel immédiat. On dit souvent de lui qu’il est un clipper de légende. C’est vrai, mais réducteur. Le Cutty Sark est avant tout le témoignage d’une époque où la vitesse était une obsession nationale, et où traverser les océans relevait du défi, de l’orgueil et parfois de l’inconscience. Il est le dernier sursaut de la grande marine marchande à voile, celui qui a refusé de mourir en silence.
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Un voilier conçu pour défier le temps

Quand il est lancé en 1869 dans les chantiers écossais de Dumbarton, le Cutty Sark arrive déjà trop tard. La marine à vapeur gagne du terrain, les routes commerciales évoluent et les performances des voiliers, si spectaculaires soient-elles, pèsent moins qu’autrefois. Pourtant, ses architectes n’en démordent pas : il faut un clipper qui dépasse tout ce qui a existé, un voilier capable de contourner l’Afrique, d’avaler l’océan Indien et d’arriver en Angleterre avec la première cargaison de thé de la saison.
On soigne chaque détail : l’étrave fine comme une lame, la construction hybride bois-acier qui permet d’alléger la coque sans sacrifier la robustesse, l’immense surface de voilure qui exigeait une coordination presque chorégraphique de tout l’équipage. Sur le papier, le navire est une arme. Sur l’eau, il devient un sprinter, un bolide qui pouvait dépasser les 17 nœuds, une vitesse stupéfiante pour un voilier marchand de son époque.

La mythique course du thé : un duel sans couronne

La « tea race » oppose chaque année les clippers longeant les côtes de Chine, tous déterminés à livrer leur cargaison avant les concurrents. C’est une course officieuse mais impitoyable. Le Cutty Sark, malgré son potentiel, n’en remporte jamais une seule. Pourtant, son épopée la plus célèbre se déroule justement pendant ces traversées acharnées.
En 1872, alors qu’il dispute la course au Thermopylae, autre géant des mers, le Cutty Sark perd son gouvernail en plein océan. La plupart des capitaines auraient stoppé net. Le sien non. Il organise en pleine mer la fabrication d’un gouvernail de fortune, tente de continuer, échoue, recommence. Pendant une semaine, l’équipage improvise des solutions que personne n’aurait cru possibles sur un navire lancé à pleine charge. Le Thermopylae gagne l’arrivée, mais cette folle tentative scelle la réputation du Cutty Sark : ce voilier n’est peut-être pas le plus victorieux, mais il est le plus tenace.

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La seconde vie d’un phénomène

Après la chute du commerce du thé, l’époque veut tourner la page. Mais le Cutty Sark refuse à nouveau de disparaître. Il devient un acteur clé du transport de laine australienne, et c’est là qu’il atteint ses performances les plus impressionnantes. Sous le commandement du capitaine Richard Woodget, homme réputé pour son audace et son sens aigu du vent, le clipper enchaîne les traversées record. On raconte qu’il poussait son équipage comme s’il menait un cheval de course, n’hésitant pas à conserver une toile maximale quand la météo exigeait une réduction de voilure, pour grappiller quelques milles encore à pleine vitesse.
Ses journaux de bord témoignent d’une période extraordinaire où le navire semble vivre au-dessus de ses limites. Sa longévité étonne, surtout quand on la compare aux destins tragiques de nombreux clippers contemporains, souvent brisés sur les récifs ou victimes d’incendies. Le Cutty Sark, lui, survit. Et ce refus obstiné de mourir nourrit une partie de sa légende.

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Incendies, restaurations et renaissance

Au XXe siècle, sa carrière commerciale touche à sa fin. Vendu au Portugal, il devient navire-école avant d’être racheté par les Britanniques. Il aurait pu finir démantelé. Il devient finalement un symbole patrimonial. Deux incendies successifs, en 2007 puis en 2014, semblent le condamner définitivement. Pourtant, à chaque fois, le Cutty Sark renaît. Les équipes de restauration reconstruisent patiemment ses charpentes, renforcent sa structure, modernisent sa présentation. À croire que ce voilier est doté d’une capacité de résilience rare, presque organique.
Aujourd’hui, sa présentation à Greenwich fait figure de référence. La coque, suspendue au-dessus d’un parvis de verre, donne l’impression que le navire plane. Vue d’en dessous, elle révèle tout ce que l’on ne voyait jamais lorsqu’il était en activité : la finesse de sa quille, le volume de ses œuvres vives, la puissance discrète de sa silhouette. Monter à bord, c’est éprouver ce mélange subtil de nostalgie et de vitesse contenue, comme si le navire n’avait pas tout à fait renoncé à repartir.

Pourquoi le Cutty Sark continue de fasciner

Parce qu’il est l’un des derniers témoins d’un âge où les marins naviguaient au vent seul pour des enjeux titanesques. Parce qu’il symbolise cette volonté humaine de gagner contre les éléments, même quand la technologie change et que le monde avance sans attendre. Et parce qu’il raconte, mieux que n’importe quel musée, ce moment charnière où la voile et la vapeur se sont battues sur une même mer avant que l’histoire ne choisisse son camp.
Le Cutty Sark fascine aussi parce qu’il a survécu à tout. Aux intempéries, au commerce, à la vapeur, aux incendies, au temps. Ce n’est plus seulement un navire, mais un survivant, une preuve flottante que les grandes aventures maritimes ne disparaissent jamais complètement.

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Pour aller plus loin : quelques livres incontournables

Pour ceux qui souhaitent prolonger l’aventure et explorer l’univers des clippers, de la marine marchande ou de l’histoire navale britannique, voici une sélection d’ouvrages riches et agréables à lire :
o The Cutty Sark: The Last of the Tea Clippers - Eric Kentley
Un livre de référence, illustré, qui raconte non seulement la construction et l’histoire du navire, mais aussi la restauration minutieuse menée à Greenwich.
o Clipper Ships and the Golden Age of Sail - Sam Jefferson
Un récit passionnant sur la naissance des grands clippers, leurs routes commerciales et les rivalités légendaires qui ont animé la fin du XIXe siècle.
o The Tea Clippers - David R. MacGregor
Une plongée extrêmement bien documentée dans le monde des courses du thé, avec des plans, anecdotes et récits de navigation très immersifs.
o Mariners: The Age of Sail - Peter Kemp
Pour replacer le Cutty Sark dans un cadre plus large, ce livre explore la vie maritime, les techniques et les destins des marins de l'époque.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.