
Il règne sur l’eau, en plein mois de janvier, une atmosphère particulière. Une lumière rasante, métallique, sublime, qui tranche avec la grisaille terrestre. Mais cette beauté brute a un prix : celui d’une rigueur absolue. Naviguer en hiver, c’est accepter de changer de paradigme. On ne navigue plus pour le farniente, on navigue pour la manœuvre, pour le défi technique et pour la satisfaction d’avoir mené son bateau à bon port dans des conditions exigeantes. Comme le rappellent souvent les marins professionnels, l’hiver est la meilleure école de voile qui soit, car elle oblige à l’anticipation. Ici, pas question de "voir sur place".
La tyrannie de la fenêtre météo
En été, on part souvent quand on est prêt. En hiver, c’est la météo qui décide, et elle seule. La première règle d’une traversée en décembre est la flexibilité du planning. Les systèmes dépressionnaires en Atlantique Nord et en Manche sont plus creux, plus rapides et s’enchaînent avec une fréquence parfois déconcertante. Il est vital de consulter les bulletins météo comme ceux de Météo Consult plusieurs fois par jour, bien en amont du départ. Ce que l’on cherche, c’est l’accalmie entre deux coups de vent, ce fameux "creux" isobarique qui offre 24 ou 36 heures de vent maniable. Mais attention, ces fenêtres sont traîtresses : elles peuvent se refermer plus vite que prévu. Le navigateur en hiver doit savoir renoncer. Rester au port, parce que le fichier GRIB annonce un forcissement à force 8 en fin de parcours, n’est pas un échec. C’est une preuve de sens marin. De plus, la température de l’air modifie la densité de ce dernier : à force de vent égale, un air froid à 5°C est plus "lourd" et exerce une pression plus forte sur les voiles qu’un air chaud à 25°C ! Le bateau gîte plus, les efforts sur le gréement sont accrus. Il faut donc réduire la toile plus tôt...
L’énergie : le nerf de la guerre froide
Si l’autonomie est primordiale quand on part en croisière, elle devient une question de sécurité immédiate en hiver. Pourquoi ? Parce que la consommation électrique explose. Contrairement à une navigation estivale, vous allez accumuler les consommateurs : le chauffage (indispensable pour sécher l’intérieur et le moral de l’équipage), l’éclairage (il fait nuit à 17h00), le radar (souvent nécessaire à cause de la brume ou des grains) et l’électronique de bord. Et cela sans compter le très gourmant pilote automatique si indispensable en hiver. Or, c’est précisément le moment où vos batteries sont les moins performantes : le froid diminue la capacité chimique des accumulateurs. De plus, les panneaux solaires, si efficaces aux Antilles, ne produisent quasiment rien sous un ciel gris de janvier à 50° de latitude Nord. Il faut donc s’assurer d’avoir un moyen de recharge fiable : alternateur d’arbre, hydrogénération ou groupe électrogène. Et le tout en très bon état de fonctionnement. Partir avec des batteries faiblardes en hiver, c’est risquer le black-out total au milieu de la nuit, sans pilote automatique ni instruments.
La sécurité : une discipline de fer
L’été, on peut parfois être un peu laxiste sur le port du gilet. L’hiver, c’est non négociable. Le choc thermique en cas de chute à la mer dans une eau à 8 ou 10 degrés tétanise les muscles en quelques minutes, rendant la nage impossible même pour un excellent nageur. Comme on l'enseigne pour les enfants, le gilet de sauvetage doit être porté impérativement dès que l'on sort dans le cockpit. Pour une traversée hivernale, l’équipement individuel doit être complet : gilet autogonflant avec balise AIS personnelle intégrée, et longe de harnais capelée (attachée) en permanence, même par temps calme. La nuit tombe vite, et retrouver un homme à la mer dans l’obscurité et le froid est une opération aux chances de succès limitées. C’est pourquoi de nombreux chefs de bord imposent la règle du "personne ne sort du cockpit la nuit" sauf nécessité absolue et réveil d’un tiers.
Le carburant du marin : manger chaud et gras
On oublie souvent que le froid rend « bête » ! L’hypothermie légère, insidieuse, ralentit les réflexes, altère le jugement et provoque de la somnolence. Pour lutter contre ce fléau, l’équipement vestimentaire est clé (la fameuse règle des trois couches : technique, polaire, ciré respirant), mais l’alimentation l’est tout autant. Préparer une traversée d’hiver, c’est aussi faire l’avitaillement en conséquence. Oubliez les salades composées ; le corps a besoin de calories pour produire de la chaleur. Les plats en sauce, les soupes, les boissons chaudes stockées dans des thermos préparés avant de prendre le quart sont des éléments de sécurité active. Eric, convoyeur professionnel habitué des navigations hivernales, explique qu'il ne part jamais sans des plats lyophilisés de secours et une bouilloire facile d'accès. Selon lui, un repas chaud peut remonter le moral d'un équipage épuisé en quelques minutes, transformant une situation tendue en un moment de partage chaleureux. Cuisiner à la gîte quand il fait 5 degrés dans le bateau n’est pas une partie de plaisir : préparez donc des plats à l’avance, sous vide, qu’il suffira de réchauffer au bain-marie. C’est bien plus facile et tellement efficace pour redonner le moral à un équipage frigorifié.
Voir et être vu
La navigation de décembre ou janvier, c’est une navigation majoritairement nocturne. Sur une traversée de 24 heures, vous passerez près de 15 heures dans le noir. La veille visuelle est plus difficile, brouillée par les embruns ou la pluie. L’utilisation de l’AIS (Automatic Identification System) est quasi obligatoire pour repérer les cargos et les pêcheurs, très actifs en cette saison. Mais ne vous reposez pas uniquement sur l’électronique. Vos feux de navigation doivent être impeccables. Vérifiez les ampoules, les connexions souvent oxydées par l’humidité hivernale. Être vu est aussi important que voir.
Le plaisir unique de l'arrivée
Si le tableau peut sembler sombre, pourquoi s'infliger cela ? Pour l'arrivée. Entrer dans un port au petit matin, après avoir géré une nuit de brise soutenue, offre une satisfaction que la navigation estivale ne procure pas. L'accueil dans les capitaineries est souvent plus chaleureux, la solidarité entre les rares bateaux présents est réelle. On se sent vivant, marin, membre d'une communauté qui respecte la mer pour ce qu'elle est : une puissance indomptable.
Alors, si votre bateau est prêt, bien isolé et révisé, n'ayez pas peur de l'hiver.
Préparez votre route, couvrez-vous bien, et larguez les amarres. Vous découvrirez que la mer, l'hiver, appartient à ceux qui osent la regarder en face.
Et avant de partir en mer, ayez les bons réflexes en consultant la météo sur METEO CONSULT Marine et en téléchargeant l'application mobile gratuite Bloc Marine.
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