
Figaro Nautisme : Vous avez intégré l’agence d’architecture navale créée par Marc Lombard en 1992 avant de la co-diriger aujourd’hui. Comment vous est venue la passion du bateau et de l’architecture ?
Éric Levet : C’est une longue et belle histoire qui se poursuit encore aujourd’hui, malgré le décès de Marc en 2023. Lorsqu’il est tombé malade, il a souhaité transmettre l’agence à ses salariés. Nous sommes désormais 9 associés, membres de la SCOP - une société coopérative et participative dont les membres associés sont forcément salariés - que nous avons créée avec son aide et son accord. Il tenait à ce que ceux qui font la richesse de l’agence puissent continuer à exercer leur métier après son départ.
Nous sommes actuellement trois co-gérants - élus par les associés - avec Henry-Paul Schipman et Paul Cougnaud, arrivés respectivement en 2003 et 2007. Pour ma part, j’ai été embauché par Marc en 1992, alors que je terminais mes études d’architecture navale à Southampton. J’avais effectué plusieurs stages dans des chantiers et souhaitais découvrir le travail en agence. J’ai envoyé des demandes partout... Marc a été le seul à me répondre [rires !]. Le stage s’est manifestement bien déroulé puisqu’il m’a rappelé lorsque j’étais retourné finir mon diplôme pour me proposer un poste.
L’époque n’était pas simple pour le secteur nautique : Jeanneau venait de déposer le bilan, la guerre du Golfe avait refroidi les acheteurs... Pourtant, l’agence croulait sous les projets : le tout premier RM 800, le Privilège 36, ou encore Friday Star, la réplique du célèbre Vendredi 13. J’ai été plongé immédiatement dans des sujets très divers, et j’ai adoré ça.
Le nautisme était un rêve d’enfant. J’ai commencé à naviguer très jeune avec mes parents sur l’Edel 4 familial. Mon père, enseignant, avait deux mois l’été : nous étions tout le temps sur l’eau. Entre deux navigations ou régates, je dessinais et fabriquais déjà des maquettes ... certaines avec des foils.
Figaro Nautisme : Marc Lombard Yacht Design Group est reconnu pour ses bateaux de série et de course. Quelle est l’actualité de l’agence dans ces domaines ?
Éric Levet : Nous continuons à dessiner des bateaux de série et de course, monocoques comme multicoques, en apportant la même attention et la même exigence à tous nos projets, qu’il s’agisse de carènes, de structures ou du développement en général.
Côté série, plusieurs chantiers ont profité du salon de Paris pour présenter ou annoncer de belles nouveautés : le RM 980, le Sun Odyssey 455, ou encore le Sea Loft 480, initialement concept boat devenu prototype, puis série à part entière. Nous avons aussi développé le dernier Nautitech 41 et le nouveau Long Island 87 construit chez JFA.
En course, un nouveau Lift V3, un Class40, sera mis à l’eau au printemps pour Alexis Loison. Nous avons aussi développé un monocoque à l’ADN de courses au large, mais aménagé pour la croisière : le Lift 45. Le premier exemplaire navigue (7500 mn nautiques au compteur 5 mois après sa mise l’eau) et nous discutons d’un second exemplaire. C’est un très beau bateau construit au standard des bateaux de course , en sandwich verre mousse infusé, et aux performances proches d’un Class40. Nous avons aussi plusieurs projets en cours... dont je ne peux pas encore parler [rires !].
Figaro Nautisme : En plus de trente années de carrière, quel est le bateau qui vous a le plus marqué ?
Éric Levet : Marc aimait répondre à cette question : pour lui, c’était le Figaro 2. C’était un projet très ambitieux, dans lequel nous avons investi énormément d’énergie. Premier bateau en sandwich infusé chez Beneteau, mât carbone, bi-safrans... Nous avions beaucoup travaillé pour garantir une monotypie stricte.
De mon côté, j’ai un attachement particulier pour les RM, pour leur construction en CP bien sûr, mais surtout parce que ce sont des bateaux modernes et agréables à vivre en mer. Et c’est sur le premier RM 800 que j’ai commencé à travailler à mon arrivée au bureau Lombard.
La vérité, c’est que je prends - et nous prenons tous - autant de plaisir sur chaque nouveau projet. Ils nous obligent à réfléchir, rechercher, imaginer, améliorer toujours. On ne s’ennuie jamais dans ce métier, qui reste avant tout une passion que nous partageons avec les constructeurs.
Figaro Nautisme : Votre métier consiste à dessiner les bateaux d’aujourd’hui mais aussi à imaginer ceux de demain. À quoi ressembleront les bateaux sur lesquels nous naviguerons en 2050 ?
Éric Levet : Je ne suis pas devin... La technologie peut aller très loin, mais la vraie question est : est-ce souhaitable ? Je n’imagine pas les bateaux de croisière avec une étrave scow ou sur foils. C’est faisable techniquement, mais trop inconfortable en navigation de croisière. Nous allons devoir apprendre à consommer moins et mieux, notamment sur les bateaux à moteur. Cela passera sans doute par une réduction des vitesses. Jeanneau propose déjà cette approche avec le Sea Loft 480, pensé pour naviguer autour de 6-8 nœuds en ne consommant rien ou peu, dans un confort remarquable.
En voile, je ne vois pas de changements majeurs. Le plaisir de naviguer reste intact pour beaucoup de marins : la gîte, le réglage des voiles, la sensation d’avancer... Notre vrai défi sera plutôt de transmettre cette passion aux jeunes, et c’est dans leurs usages que les évolutions apparaîtront.
Figaro Nautisme : Marc Lombard Yacht Design Group en chiffres ?
Éric Levet : L’agence a été créée en 1982. Nous sommes aujourd’hui 11 personnes, dont 9 salariés associés. Le chiffre d’affaires tourne autour du million d’euros. Nous collaborons avec certains chantiers depuis plusieurs décennies : RM, Beneteau, Privilège, Nautitech...
Avec le groupe Beneteau, par exemple, nous avons développé plus d’une cinquantaine de projets. En moyenne, l’agence réalise 5 études par an. Je n’ai pas compté précisément, mais je pense que le nombre de plans Lombard naviguant dans le monde dépasse désormais les 10 000 unités.
Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
Éric Levet : Ma dernière navigation remonte à la semaine dernière, à bord du tout nouveau Sun Odyssey 455, que nous avons pu tester avec les équipes Jeanneau. La météo était parfaite : un régal.
La prochaine sera sûrement sur mon bateau personnel, un prototype de 8,50 m, une sorte de gros Mini que j’ai dessiné et construit en 1997, et avec lequel je m’amuse toujours autant.
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