Pamir et Passat, chronique de la fin des géants à voiles

Culture nautique

Ils appartiennent à une génération de navires qui n’existe plus que dans les archives, les ports-musées et la mémoire des marins. Le Pamir et le Passat ne sont pas seulement deux grands voiliers du début du XXe siècle : ils symbolisent l’ultime sursaut de la marine marchande à voile, à une époque où le moteur s’impose déjà comme la norme. Leur histoire, longue de plusieurs décennies, mêle prouesses nautiques, choix économiques risqués, bouleversements géopolitiques et, pour l’un d’eux, une fin tragique qui marquera durablement le monde maritime.

Ils appartiennent à une génération de navires qui n’existe plus que dans les archives, les ports-musées et la mémoire des marins. Le Pamir et le Passat ne sont pas seulement deux grands voiliers du début du XXe siècle : ils symbolisent l’ultime sursaut de la marine marchande à voile, à une époque où le moteur s’impose déjà comme la norme. Leur histoire, longue de plusieurs décennies, mêle prouesses nautiques, choix économiques risqués, bouleversements géopolitiques et, pour l’un d’eux, une fin tragique qui marquera durablement le monde maritime.
© Wikipedia

L’âge d’or tardif des Flying P-Liners

Lorsque le Pamir et le Passat sont construits, la marine à voile commerciale vit ses dernières heures de gloire. Les chantiers allemands livrent alors des voiliers d’une taille et d’une sophistication inégalées, conçus pour être rapides, solides et économiquement compétitifs sur les grandes routes océaniques. Ces navires appartiennent à la célèbre flotte des Flying P-Liners, armée par la compagnie F. Laeisz, reconnaissable à ses coques robustes et à ses équipages réputés pour leur discipline.
Le Pamir, lancé en 1905, et le Passat, en 1911, sont destinés au commerce du salpêtre chilien, une ressource stratégique à l’époque pour l’agriculture et l’industrie européenne. Pour relier l’Europe à l’Amérique du Sud, ils doivent franchir l’un des passages les plus redoutés au monde : le cap Horn. Là où la vapeur hésite encore, ces voiliers excellent, capables de maintenir des moyennes élevées sur de longues distances, sans dépendre du charbon.

Des machines à vent d’une efficacité redoutable

À bord, tout est pensé pour la performance. Les plans de voilure sont immenses, la mâture vertigineuse, et l’organisation humaine millimétrée. Chaque manœuvre mobilise des dizaines de marins, souvent très jeunes, formés à une navigation exigeante où l’erreur se paie cher. Le quotidien est rude : quarts interminables, humidité permanente, froid mordant dans les mers du Sud. Mais ces navires offrent aussi une école incomparable, où se forgent des générations de marins capables de lire la mer et le ciel avec une précision presque instinctive.
Durant leurs premières années de service, Pamir et Passat accumulent les traversées réussies, les records discrets et une réputation de fiabilité. Ils arrivent souvent à destination dans des délais comparables, voire inférieurs, à ceux des cargos motorisés de l’époque sur certaines lignes.

© Wikipedia

Guerres mondiales et destins ballottés

La Première Guerre mondiale bouleverse cet équilibre. Comme beaucoup de navires allemands, Pamir et Passat sont saisis, vendus ou exploités sous pavillon étranger. Leur carrière devient plus chaotique, marquée par des changements de propriétaires et d’usages. Pourtant, ils continuent de naviguer, preuve de la solidité de leur conception.
Dans l’entre-deux-guerres, alors que le moteur s’impose définitivement, ces grands voiliers survivent par pragmatisme économique. Ils coûtent peu en carburant, mais exigent des équipages nombreux et hautement qualifiés, une ressource de plus en plus rare. Le monde maritime change, et ces géants commencent à apparaître comme des survivants d’un autre âge.

Deux trajectoires qui se séparent

Après la Seconde Guerre mondiale, le Passat et le Pamir prennent des chemins différents. Le Passat est progressivement retiré du commerce actif. Reconnu pour sa valeur patrimoniale, il est finalement préservé, échappant à la démolition qui attendra tant de ses semblables.
Le Pamir, en revanche, est réarmé dans un contexte ambigu. Il sert à la fois de cargo et de navire-école, embarquant des élèves officiers qui découvrent la navigation dans des conditions extrêmes, sur un voilier conçu à l’origine pour le transport de marchandises lourdes. Ce choix reflète une époque de transition, où l’on tente encore de faire cohabiter tradition et modernité, parfois au prix de compromis dangereux.

Le naufrage du Pamir, une onde de choc mondiale

En septembre 1957, le Pamir quitte l’Argentine avec une cargaison d’orge et un équipage nombreux, dont de très jeunes cadets. Pris dans l’ouragan Carrie, au large des Açores, le voilier se retrouve dans une situation critique. Les conditions météo extrêmes, combinées à une cargaison difficile à maîtriser pour un navire à voile, scellent son sort. Le Pamir chavire et sombre. Seules six personnes survivront.
Ce naufrage provoque une émotion considérable bien au-delà du monde maritime. Il met en lumière les limites d’un système à bout de souffle et accélère la remise en question de l’utilisation commerciale des grands voiliers océaniques. Pour beaucoup, la disparition du Pamir marque symboliquement la fin d’un siècle de navigation à voile industrielle.

© Wikipedia

Le Passat, témoin immobile d’un monde disparu

Le Passat, lui, entre dans une nouvelle vie. Amarré à Lübeck, il devient un navire-musée, mais aussi un lieu de transmission. En arpentant ses ponts, en levant les yeux vers sa mâture, on comprend physiquement ce que représentait la navigation à voile à grande échelle : l’effort collectif, la dépendance totale aux éléments, et la précision extrême requise pour exploiter le vent.
Contrairement au Pamir, le Passat ne raconte pas une fin brutale, mais une transition apaisée vers la mémoire. Il permet de conserver un lien tangible avec une époque où la mer dictait son rythme sans l’intermédiaire des machines.

Héritage et résonance contemporaine

Aujourd’hui, alors que la propulsion vélique revient timidement dans les réflexions sur le transport maritime décarboné, les histoires du Pamir et du Passat résonnent d’une manière particulière. Elles rappellent que la voile commerciale fut autrefois une réalité industrielle, efficace et mondialisée, mais aussi exigeante et parfois impitoyable.
Ces deux navires incarnent les deux faces d’un même héritage : l’audace technique et humaine, et le prix à payer lorsque l’on tente de prolonger un modèle au-delà de ses limites. Le Pamir est devenu un symbole de rupture. Le Passat, un gardien silencieux de la mémoire maritime.
À travers leurs destins croisés, c’est toute la fin des grands voiliers de commerce qui se raconte, non comme une nostalgie figée, mais comme une page essentielle de l’histoire maritime mondiale, faite de vent, de courage et de décisions humaines aux conséquences durables.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
Charlotte Lacroix
Charlotte Lacroix
Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
Max Billac
Max Billac
Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
Denis Chabassière
Denis Chabassière
Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
Michel Ulrich
Michel Ulrich
Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
METEO CONSULT
METEO CONSULT
METEO CONSULT
METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…
Cyrille Duchesne
Cyrille Duchesne
Cyrille Duchesne
Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
Irwin Sonigo
Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.