
Pour rappel, près de 90% du transport mondial de marchandises passe par la voie maritime, et le secteur du fret maritime représente environ 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les objectifs affichés par l’Organisation Maritime Internationale (OMI) sont de réduire de 40% les émissions de CO2 des navires en 2030. Si rien n’est entrepris, ces émissions pourraient bondir de 250 % d’ici l’horizon 2050.
Simultanément l’UE a un objectif de neutralité carbone en 2050 (article 4 de l'accord de Paris) pour réussir à contenir le réchauffement climatique. L'accord demande des réductions rapides d'émissions de gaz à effet de serre à travers des contributions nationales (NDC) révisées tous les cinq ans et à la fois une stratégie long terme.
Les grands navires de commerce n’ont pas toujours une bonne réputation au regard des émissions, et un ensemble de projets innovants commencent à voir le jour. Les voies explorées sont très différentes, mais à terme on peut s’attendre à voir des solutions mixtes et complémentaires de plusieurs sources d’énergie qui permettront non seulement de réduire la facture énergétique, mais aussi et surtout de réduire l’empreinte carbone.
Parmi les solutions explorées citons les plus abouties :
- Le projet Solid Sail des Chantiers de l’Atlantique, dont le démonstrateur de 38 mètres de haut sera installé dans les prochains mois à Saint-Nazaire. Il s’agit d’un mât qui se bascule (pour permettre de réduire le tirant d’air sous les ponts) associé à une voile solide composée de panneaux qui se hissent et se déploient comme une voile.
- Le cargo « Canopée », 121 mètres de long, en cours de construction et qui sera équipé de 4 ailes Oceanwings® pour une surface totale de voiles d’environ 1 450 m² (conçu par le célèbre cabinet d’architecture VPLP Design). Ces voiles assisteront le navire en sus d’une propulsion classique hybride GNL – gasoil. Le navire est destiné à transporter les éléments de la fusée Ariane 6 vers la Guyane. Ce navire devrait permettre une économie de 7 200 tonnes de CO2 par an, ce qui donnera environ 30% d’émissions polluantes en moins.
- Les ailes de kite, développées, parmi d’autres acteurs, par Yves Parlier et sa société Beyond the Sea®.

Yves Parlier dont le palmarès en course au large est éloquent (Vainqueur de la Mini Transat, de la Solitaire du Figaro, etc.), est aussi connu pour ses prouesses techniques lors du Vendée Globe 2000 / 2001, en réparant son mât cassé, en autonomie complète, seul sur une île isolée au Sud de la Nouvelle Zélande, puis à court de nourriture, finissant la course en se nourrissant d’algues…
Après de nombreux records à la barre de ses bateaux (toujours très innovants), Yves a pris la barre de Beyond the Sea®, qui développe des ailes de kite destinées à la propulsion vélique à bord des bateaux de plaisance (voile ou moteur), mais aussi avec l’ambition affirmée de se tourner vers les navires de commerce de toutes tailles…
L’équipe d’ingénieurs menée par Yves Parlier travaille sur l’utilisation d’ailes de kite comme mode de propulsion. L’avantage de ce mode réside dans le fait que l’intégration à bord est relativement simple et n’exige pas une conception dédiée ou des modifications drastiques.
Si l’idée d’Yves est d’équiper tout type et taille de navire, l’approche se veut rationnelle et par paliers successifs.
La gamme commence donc par des petites ailes dénommées LibertyKite®, dont la mise en œuvre est aisée, grâce à une surface relativement modeste (20m²) et au vol auto-stable. Les applications pour ce modèle sont variées, gain en autonomie pour des bateaux de plaisance à moteur désirant parcourir de grandes distances, ou à bord de voiliers en appoint aux voiles, ou alors en sécurité en cas de démâtage pour pouvoir rallier un port. Cette dernière application a été retenue par 12 skippers du Vendée Globe qui se sont équipés de LibertyKite®.

A ce jour près de 120 ailes ont été produites.
Il existe une aile plus grande, dénommée SeaKite® semi-automatisée et disposant d’électronique embarquée dont la surface atteint 40 à 50 m², et sans doute plus dans le futur. A partir de cette taille et afin d’améliorer la force de traction, l’aile de kite est dans un vol dynamique et la trajectoire décrit des 8 afin d’accélérer le vent apparent et d’augmenter drastiquement la force de traction sur les suspentes. L’objectif dans ce développement en cours est de disposer d’un ensemble intégrant un système automatisé (lanceur, récupération, pilotage) avec un niveau de fiabilité et de duplication garantie.
Enfin à moyen terme, c’est-à-dire à une échéance de 3 à 5 ans, l’idée est la mise en place d’ailes de kite de 200 m² et plus, qui modélisation à l’appui, apporterait en vol dynamique près de 20 tonnes de traction par 25 nœuds de vent réel. Lorsque l’on sait que la force de traction requise pour faire naviguer un porte-container de 350 mètres à 18 nœuds est de 100 tonnes, on apprécie l’intérêt des solutions complémentaires comme les ailes de kite. Ces ailes aux dimensions imposantes équiperaient des navires à partir de 60 mètres de longueur.

Dans le cadre de ses activités, Beyond the Sea® s’est entouré de plusieurs partenaires techniques, tant au niveau académique (ENSTA Bretagne, Ecole Polytechnique, Mines Paris Tech et d’autres), qu’au niveau des entreprises avec entre autres l’armateur CMA-CGM. Ce dernier collabore non seulement au cahier des charges, mais aussi accompagne la R&D à ses différents stades de validation. Simultanément CMA CGM mène des études statistiques des différentes conditions météorologiques rencontrées sur les différentes routes maritimes afin d’estimer les gains d’une propulsion d’appoint avec une aile de kite. L’objectif à terme de l’armateur est de réduire de 5% sa consommation de carburant fossile.
On comprend que nous sommes encore à l’aube de l’usage des ailes de kite sur les grands navires de commerce comme complément dans un mix de solutions alternatives au pétrole, mais les volontés sont désormais en place au niveau des acteurs politiques et économiques, et Yves Parlier a embarqué dans ce nouveau défi avec détermination et des premiers résultats prometteurs.