St Vaast la Hougue est reconnu pour ses huîtres mais, sise à l’extrémité Nord-Est de la presqu’île du Cotentin, c’est aussi un port de pêche actif. C’est cette activité sur laquelle compte Gérard Bernard lorsqu’il fonde le chantier éponyme en 1974. La coquille Saint-Jacques, avec l’huître et il y a peu encore les moules, est la spécialité du coin. Les bateaux de pêche sont en bois, c’est plus marin que le plastique. Par son poids, sa densité, il passe mieux dans la mer, les marins le trouvent plus « confortable », pour la pêche côtière en tous cas. Et puis pour préserver la ressource, la France, sous couvert d’Europe, a décidé qu’on ne construirait plus de bateaux. En ces temps de prise de conscience écologique, le bois, pour peu qu’il soit produit dans de bonnes conditions, est donc plus que jamais à l’honneur. Les bateaux sont réparables à l’infini.
Tangara© Chantier Naval Bernard
Dans le chantier pourtant, en ces premiers jours de mars, aucun bateau de pêche en vue. « Normal, c’est la saison de la coquille, tous les bateaux sont en mer » nous apprend Gilles Auger. Lui le technicien élevé loin de la mer, en Touraine, débarqué de Kourou en Guyane où il œuvrait pour Arianespace, aurait pu être traité en extra-terrestre, ici ils disent « horsain ». Mais pendant ses années Guyanaises, son très beau plan Cornu de 13m, ‘Tangara’ était là, au chantier, pour être rénové au fil du temps. Alors à force d’y passer ses vacances, il connaît les équipes et il est devenu ami avec le patron. Celui-ci, la soixantaine venue, veut transmettre son chantier. Il n’en fait pas une question d’argent, accordant bien plus d’importance à l’état d’esprit du repreneur. Quand Gilles Auger prend l’initiative de lui exprimer à la fois son envie de reprise et ses doutes de ne pas être du sérail, il lui répond simplement : « j’attendais ton appel ». Une grosse année plus tard, les clients ont pris l’habitude de s’adresser au nouveau patron. Gérard Bernard peut partir tranquille, la passation est assurée.
Chantier Naval Bernard© MULTI.media - Francois Tregouet
Mieux, le chantier a pris une autre dimension, s’est diversifié, est allé chercher des clients bien au-delà de l’écluse qui lui fait face. Si les pêcheurs restent toujours prioritaires et assurent encore 70% du chiffre d’affaires, yachts classiques et bateaux de tradition occupent les hivers quand les coquillards sont à la pêche. Le premier et le plus célèbre d’entre eux s’appelle Fleur de Lampaul, bateau-monument-historique ayant appartenu à la fondation Nicolas Hulot. Gilles Auger l’a racheté à titre personnel et à un prix raisonnable, contre la garantie plaquée or que le bateau serait maintenu à l’état d’œuvre d’art. L’été il fait naviguer des enfants malades ou en rémission avec Les Matelots de la Vie. L’hiver le Fleur emmène habituellement des skieurs en Norvège. Covid oblige, il en profite actuellement pour se refaire une beauté. Autres célébrités, le Marité basé à Granville, tout comme le bordage et le calfatage de l’Hermione sont passés entre les mains expertes de la trentaine de compagnons que compte aujourd’hui le chantier. Ou plutôt devrait-on dire les deux chantiers. Car prévoyant, Gilles a repris le chantier de Patrick James à Port en Bessin. Un lieu moins contraint, offrant plus d’espaces et de possibilités de développement.
Chantier Naval Bernard© MULTI.media - Francois Tregouet
Alors oui, il n’y a plus beaucoup de chantiers spécialistes du bois en France et parmi eux le Chantier Naval Bernard est sans conteste le plus important. Oui de beaux projets de reconstruction sont dans les cartons, en Normandie et au-delà. Mais à St Vaast les charpentiers de marine gardent les pieds sur terre. Presque entièrement rénové, après trente ans de rénovation au fil de l’eau, Tangara risque de tirer encore quelques temps sur ses amarres tournées sur les quais du port à flot. Car de l’autre côté des portes du bassin, les copeaux d’iroko et de chêne n’ont pas fini de voler et d’embaumer l’avant-port.