
1) Le choix des ancres
Mais avons-nous vraiment le choix ? Il ne viendrait à l’idée de personne de travailler sous Window 4 voire 7, il en est de même pour les ancres. Depuis la révolution de la Fortress (1986 quand même !) de la Delta et de la Spade (1997) il n’apparait plus raisonnable en 2022 d’exposer une ancre CQR à son étrave !
Depuis plus de trente ans de nombreuses études et publications testent les ancres, les procédures des essais peuvent être différentes mais les palmarès sont toujours les mêmes. Certaines ancres disparaissent, d’autres apparaissent témoignant de l’évolution et de la richesse des recherches.
Le tableau ci-dessous regroupe les études françaises les plus connues depuis dix ans, ont pourrait y adjoindre les dossiers américains ou anglais que la hiérarchie n’en serait pas bouleversée. L’étude de Voiles et Voiliers en 2009 à l’audace d’essayer de se rapprocher de la réalité des fonds que nous rencontrons, cela est bien vu.
Ont volontairement été écartées, dans ce tableau, les ancres plates en acier galvanisé qui n’arrivent pas à rivaliser avec les moins talentueuses des ancres charrues
Dans les tableurs, que ce soit Alain Fraysse ou Artimon sont bien différenciées : les ancres nouvelles (Spade, Brake, Bûgel, Delta) pour le premier, (Spade et Rocna) pour le second, et…les autres dont le coefficient de tenue est dégradé d’environ 30% pour A.Fraysse.
En pratique Balthazar et Thoe sont équipés de Rocna, PretAixte d’une Spade. La Flotte du World ARC était essentiellement constituée de Rocna, quelques Delta, et Spade. Qui a dit qu’on n’avait pas le choix ?
2) Le mouillage principal
Une fois déterminé la plage de vent que devra tolérer le mouillage soit 35/54 nœuds, adopté au minimum la CMU de la chaîne de 10mm grade 40 (1250kg) pour échantillonner les autres composants, choisit une ancre un cran au-dessus des préconisations, ne reste plus qu’à déterminer quel type de mouillage adopter.
Il va nous falloir choisir parmi les trois types de ligne de mouillage comme décrits par Frederic Dallest et Pierre Lang :
2.1 Le Tout Chaîne
On a vu qu’il était à proscrire, cependant, plus il y a de chaîne mieux c’est.
Les explications d’Artimon : « La chaîne a donc un réel effet amortisseur, d'autant plus important qu'elle est lourde, si elle n'est pas trop tendue au départ (vent établi Vo faible). Mais le calcul montre que la chaîne (calcul mathématique de la chaînette), sauf à embarquer une chaîne de porte-conteneur, est proche d'être rectiligne dès que le vent forcit ; donc si l'on part de vitesses de vent établi Vo plus importantes (environ force 6 suivant le dimensionnement de votre ligne) la chaîne déjà bien tendue ne peut plus beaucoup s'élever, donc est incapable d'augmenter beaucoup son énergie potentielle, donc d'absorber une part importante de l'énergie de la rafale qui va arriver. On n'améliore pas davantage l'angle de tire sur l'ancre puisqu'il est proche de l'angle donné par la droite qui relie l'ancre au davier. A partir de force 6 on gagnera des pouillèmes sur l'angle de tire qui ne dépend plus essentiellement que du multiple de mouillage retenu (rapport longueur sur hauteur du davier) ». On verra pourquoi en abordant plus tard la question de la hauteur d’eau.
2.2 Le Mixte, chaîne et câblot textile
Le cordage doit être en polyamide alors même que les lignes « toutes faites » mixte proposées par de nombreux fabricants, en plus de ne pas respecter la concordance des résistances comme nous l’avons déjà souligné offrent la plupart du temps un cordage en polyester, le bout’ plombé en est un exemple.
Dans les tableurs de Frederic Dallest la ligne mixte ne sort devant la ligne en chaîne avec amortisseur en termes de tenue de l’ancre que dans un cas : celui de la rafale de 15 nœuds qui survient dans un mouillage parfaitement paisible. C’est ce qu’il nomme le « mou ». En effet : « Par exemple une famille observe avec satisfaction de la plage son voilier de 11m tout proche mouillé avec 30m de chaîne ordinaire (grade 40) de 8mm par 4m de fond avec un vent établi très faible par exemple 3 nœuds. Il suffit d'une modeste rafale soudaine de 12 nœuds pour faire déraper le bateau. Si l'ancre est engagée dans une obstruction et ne dérape pas la limite élastique de la chaîne est dépassée et la chaîne est foutue (elle ne rentre même plus dans le puits à chaîne !) si la rafale atteint Vr=20 nœuds » !
Edifiant non ?
C’est donc uniquement dans ce cas, « du coup de mou » que la ligne mixte chaîne/textile se révèle supérieure au couple chaîne/amortisseur. Citons de nouveau « Artimon » alias Frederic Dallest : « Conclusion : si l'on se prépare à l'arrivée d'un grain ou d'un orage par vent faible il ne faut pas hésiter à mouiller très long en ligne mixte car c'est le cas le plus dangereux au mouillage. Dans cet exemple j'ai supposé que le skipper averti a mouillé 8 fois la hauteur (mais ce n'est pas toujours possible !)
Et tout d’un coup vous vous souvenez d’un mouillage paisible à Houat dévasté par un Arcus au mois d’Aout ou bien à cet après- midi de juillet dans une crique d’Elafonissos sans vent et du Meltem qui en un rien de temps a failli vous faire grimper sur les rochers. « Artimon » l’avait prévu, rien de mystérieux : que du calcul !
Toujours dans le calcul, on s’aperçoit qu’avec une ligne mixte la CMU de la chaîne est dépassée pour une plage de vent élevée alors qu’elle ne l’est pas avec un amortisseur !
Cela commence à vous intriguer cette histoire d’amortisseur, c’est bien, c’est le début de la sagesse. Alors on y passe.
2.3 La chaîne avec amortisseur
Il s’agit de mouiller avec de la chaine et de frapper sur celle-ci, en amont du guideau (entre lui et l’ancre donc), un cordage avec un bon coefficient d’élasticité, c’est-à-dire une amarre polyamide type trois torons ou huit brins square line. Ce bout’ va encaisser les à-coups des rafales comme du « coup de mou » et diviser par deux à trois la tension dynamique subit par l’ensemble de la ligne.
La chaîne restant toujours dans le guideau mais sans aucune contrainte mécanique.
On peut obtenir le même résultat avec des amortisseurs élastomères destinés à cet usage.
Plusieurs manières d’installer ce bout amortisseur. En voici au moins trois.
2.3.1. A la manière de Balthazar : AMORTISSEUR A PLAT PONT
La chaine est prise sur le pont par un nœud de bosse ou une main de fer qui prolongent le cordage élastique repris sur un chaumard à l’arrière. La chaine sous l’effet des allongements du polyamide coulisse dans le davier et participe ainsi à la dissipation d’énergie de l’ensemble. Il faut bien sûr un débattement suffisant de la jonction chaine/cordage (jusque 15% de la longueur du bout’). L’avantage avancé par Frederic Dallest, qui a un faible pour les trois torons et le nœud de bosse est la facilité de mise en œuvre du système « à plat pont ».


« La conclusion, et c'est une bonne nouvelle pour les bateaux plus petits, est qu'un amortisseur à plat pont courant de l'avant à l'arrière du bateau (disons 5m pour des bateaux de 7m, 7m pour des bateaux de 9 à 10m, 13m pour des bateaux de 17m) est déjà très efficace en offrant plus de 70% du gain max théorique apporté par son élasticité dans des fonds de 4 à 10m. Il n'est pas justifié de chercher à installer des allers-retours compliqués pour allonger l'amortisseur à plat pont. Installer l'amortisseur en simple sur le passavant frappé au taquet (costaud) arrière est le bon compromis. »
Pour tenir compte des embardées pour lesquelles le rouleau du davier ne peut faire son office, Artimon soude sur les joues du davier de part et d’autre du réa des demi-tubes en inox favorisant le glissement de la chaîne.
Pour une chaîne de 10, le rayon du tube inox recommandé est de 50mm (voire la page « divers » du tableur dans les dossiers techniques de Balthazar http://artimon1.free.fr/docstechniques.htm)
A bord de Balthazar 17 mètres, 26 tonnes, le matériel est conçu pour étaler un vent de 34 à 54 nœuds.
Ancre Rocna 55kg, 100 mètres de chaîne 12mm grade 70, amortisseur plat pont 3 torons 13 mètres diamètre 26mm.
En cas de crainte de « coup de mou » la chaine, laissée molle pour absorber l’élasticité du câblot, est doublée par 20 mètres de câblot 3 torons diamètre 26mm.
2.3.2 A la manière de Thoe : AMORTISSEUR EXTERIEUR
Le câblot textile est pris par un nœud de bosse à l’extérieur du bateau, et renvoyé sur un taquet à l’arrière.
C’est le câblot qui coulisse dans le davier à l’avant.
Après bien des essais, des déboires et une réflexion théorique, Pierre Lang a délaissé les mains de fer et les deux systèmes qu’il utilisait en fonction des prévisions météo au profit d’un cordage unique.

« Les 5 et 6 juillet 2013, des aussières de 22 mm (charge de rupture : 9500 daN) et le câblot de 18 mm (charge de rupture : 6500 daN) se sont rompus. Thoè avait subi de nombreuses rafales à plus de 50/55 kn (F10) et quelques rafales à plus 60 kn (F11). Par force 8 ou plus, il me semblait donc évident que l'on était à la limite de la capacité de résistance des textiles utilisés dans les lignes de mouillage habituellement gréées. S'agissant des aussières de 22 mm qui se sont rompues en ligne, leur résistance à la rupture réelle pouvait être estimée à 9500 daN – 15% (car elles étaient mouillées) – 40% (pour tenir compte de leur âge) c'est-à-dire 4850 daN. Cette charge de rupture restait comparable à celle de la chaîne (5000 daN). »
A bord de Thoé : 13 mètres, 9.5 tonnes ayant subi des rafales à 60noeuds.
Ancre Rocna 25 kg, 50 mètres de chaîne 10mm grade 40 (prolongée par 50mètres de câblot de 18mm au besoin), amortisseur extérieur de 12 mètres 3 torons diamètre 24mm.
2.3.3 A la manière de PretAixte :
Si les qualités nautiques du XC 42 sont remarquables dans tous les types de temps et à toutes les allures, son comportement dans les manœuvres de port comme au mouillage est un facteur de stress. En effet ce bateau a tout pour être volage dès que le vent a un peu d’incidence, l’étrave n’a qu’une envie : partir sous le vent à toute vitesse pour trois raisons :
C’est une étrave à brion qui n’offre aucune résistance à la poussée latérale, il y a deux enrouleurs gréés en permanence pour le foc et la trinquette qui augmentent notablement le fardage en avant du centre de carène, enfin sa quille et son safran profond rejettent loin en arrière le centre de dérive. Le résultat est que le moment des forces est tout à fait favorable à une giration rapide de l’étrave pas vraiment souhaitée…
Pour un peu compenser ces défauts le système mis en place semble le moins mauvais.
2.3.3.1 L’amortisseur de base : TROIS BOUTS AMORTISSEURS EXTERIEURS
Ces cordages polyamides tressés de 14mm et de quatre mètres sont épissés sur une main de fer supportant la tension primaire de la chaîne, ils sont repris sur les taquets d’amarrage à l’avant. Ce qui abaisse artificiellement la hauteur du davier et rallonge théoriquement le rapport longueur du mouillage / hauteur d’eau. Et ce n’est pas anodin ce gain d’un mètre en hauteur.
Le cordage milieu accepte un amortisseur en élastomère et une tension initiale supérieure aux deux autres, ce bout’ milieu qui subit des frottements dans l’anneau à l’avant de la delphinière est protégé par une tresse creuse déjà bien abimée, ce qui valide l’élasticité du système !
Rappelons qu’il a tenu vaillamment, dans les iles sous le vent avec pour seul abri la barrière de corail, face au motu Tautau à Tahaa par 12 mètres de fond, Force 5 rafales à 28 nœuds, traction statique théorique 500kg.
Les amortisseurs latéraux équilibrent les tensions à l’extrémité de la delphinière, ils évitent les efforts sur la sous barbe et réduisent le caractère baladeur de l’étrave. Ce sont eux qui, dès que la ligne se tend, acceptent les tensions les plus fortes. PretAixte, on l’a dit, ayant une tendance au « swing » prononcée, les trois lignes sont rarement sollicitées ensembles et on peut approximer que l’équivalent est un amortisseur polyamide squareline 8 torons de quatre mètres et de 20mm de diamètre (14mm x 1.4).
La chaîne doit être relâchée quand le système textile est sous tension, soulageant ainsi, le guindeau de tout effort. Ce système a été amélioré, au retour, par l’utilisation de l’Handy Elastic de Liros, un cordage polyamide HT avec un CR très supérieur à celui du 3 torons et qui peut supporter 30% d’allongement pour sa charge de travail. De 14mm nous sommes passés à 12mm pour favoriser l’élasticité du système, l’équivalent des trois lignes travaillant de concert peut être assimilé à du 18mm polyamide HT.

2.3.3.2 En cas : de mouillage peu protégé, avec de la houle, ou de risque de « coup de mou ».
Après avoir lu les études de Pierre Lang et d’un auteur américain sur l’amortissement, j’avait envisagé puis mis en œuvre, avant de partir autour du monde, un système bilatéral d’amortisseurs extérieurs textiles de 12 mm, pris sur la main de fer par une manille textile en dyneema, passant au niveau des chaumards avant et courant tout le long du bâtiment jusqu‘aux taquets … arrières.
Treize mètres de textile doublé donc, ils étaient parés dans le pic avant.
Je n’étais pas peu fier de cette invention jusqu’à ce que… Nous la découvrions aux Tuamotu installée à bord de Tintomara, RM 13.50 sous pavillon norvégien de nos amis Markus et Katherin. Interrogé, Markus qui navigue, en tout bon viking qu’il est, autour du cercle polaire et même au-delà, installe systématiquement cet amortisseur quand il mouille, quelques soient les conditions. Il m’a assuré que cela fonctionnait idéalement quand la houle rentrait dans le mouillage : du Spitsberg à l’Islande. On peut le croire notre ami scandinave. Et valider par conséquent le système qui peut être mis en œuvre quand ça dépasse les trente nœuds de vent ou que la houle devient gênante.
Cependant, convaincu par les études d’Artimon, j’ai simplifié le montage et prévu un amortisseur plat pont 12 mètres 3 torons de 20mm terminé par une épissure avec cosse et lié à la chaîne par une manille dyneema, pour affronter ces conditions plus éprouvantes.
Ce câblot mesure en fait 21 mètres il peut aussi être utilisé, si les paramètres de hauteur d’eau ou de vent sont dégradés :
-soit pour rallonger la chaîne en version mouillage mixte de 82métres pour les fonds supérieurs à 15 mètres (62m de chaîne et 20m de câblot)
- soit en version amortisseur extérieur à la manière de Thoe : 10 mètres dehors, 10 mètres dedans, repris sur le taquet arrière.
2.3.3.3 Au total
A bord de PretAixte : 13 mètres, 13 tonnes en charge
Ancre Spade 25kg, 60mètres de chaîne de 10mm grade 40.
Jusque force 6 : Amortisseur extérieur sur main de Fer 3 lignes de 3.5 mètres ,12mm tressé Handy elastic Liros polyamide HT repris sur les taquets avant. Polyamide HT 12mm :(CR 3900 kg, CMU 600kg), equivalent 18mm: (CR 8500kg, CMU 1308kg)
De force 6 à force 9 ou risque de « coup de mou » : Amortisseur plat pont 12 mètres 3 torons diamètre 20mm repris sur un taquet arrière, manille textile sur la chaîne. (CR 8140kg, CMU 1252kg).
2.3.4 A la manière de votre Voilier :
On le voit, en utilisant les tableurs il est possible d’approcher raisonnablement une solution adaptée à chaque bateau et qui, pourquoi pas, serait différente des solutions précédemment proposées.
Un seul guide : L’ELASTICITE pour disperser l’énergie de la rafale. Et voilà, mieux que le yoga, l’élasticité vous fait accéder à la sagesse du mouillage agité et venteux !