
Figaro Nautisme : Gilles Boidevezi, pouvez-vous vous présenter ?
Gilles Boidevezi : "Je suis le Préfet maritime de Méditerranée. D'une part, j'ai des fonctions militaires et je relève du Ministère des Armées pour le commandement des forces françaises en Méditerranée et en Mer Noire. D’autre part, j'ai une fonction civique qui relève de la Première Ministre et qui concerne les fonctions préfectorales en mer, qui couvre là aussi l’ensemble de la Méditerranée et la Mer Noire, et qui concerne également les aspects protection de l’environnement, développement des activités économiques, gestion de l’espace avec les collectivités en mer et aussi police administrative en mer."
F.N. : Depuis deux ans, de nombreux arrêtés concernant le mouillage en Méditerranée ont été mis en place, avec des contrôles renforcés en période estivale... Quelle est la situation aujourd'hui ?
G. B. : "Certaines personnes nous ont dit : « cela fait très longtemps que l’on sait que la posidonie doit être protégée mais cela ne fait que quelques années que vous avez commencé à faire des arrêtés ». Il y a une raison pour cela : pour mettre en place des arrêtés sur l’interdiction et la règlementation des mouillages, il fallait commencer par avoir une cartographie exacte de la posidonie. Et c’est grâce aux scientifiques que nous avons aujourd'hui une cartographie précise et que nous avons pu mettre en place une règlementation des mouillages pour que les bateaux ne mouillent plus dans la posidonie.
Nous avons commencé par les plus gros bateaux puis en 2019, il y a eu une mise en place d’arrêtés plus précis concernant les bateaux de 20-24 m car nous considérons que c’est la taille à partir de laquelle on commence à avoir un impact vraiment significatif de l’ancre sur l’herbier. Et donc aujourd’hui nous avons quasiment fini l’édition de ces arrêtés, il ne reste plus que la côte ouest de la Corse pour laquelle des concertations sont toujours en cours. Nous prévoyons de sortir les arrêtés avant la prochaine saison estivale. Au printemps 2023, l’ensemble des côtes françaises de la Méditerranée seront couvertes par des arrêtés de protection et de règlementation des mouillages pour préserver la posidonie.
En parallèle, nous nous attachons depuis quelques années à favoriser la mise en place de ZMEL (Zones de Mouillages et d'Equipements Légers) : le but étant que ces ZMEL concernent toutes les tailles de bateaux, y compris les bateaux de moins de 20-24 m, car bien que nous soyons tout à fait conscients que les unités plus légères ont un impact sur la posidonie, nous ne voulions pas interdire le mouillage aux petites unités tant qu’il n’y avait pas des solutions alternatives en place. Donc pour les unités de moins de 20-24 m, selon les zones, on attend qu’il y ait des ZMEL en place avant de mettre en pratique la règlementation pour permettre à la petite plaisance de continuer à mouiller, et donc sur bouées et pas sur ancre. Aujourd’hui il en existe 30 et il y en a 30 autres qui sont en projet."
F.N. : En parallèle, il existe aussi une règlementation sur la durée du mouillage. Pouvez-vous nous en dire plus ?
G. B. : "Tout à fait. L’autre règlementation concernant le mouillage c’est d’éviter d’avoir des bateaux qui s’échouent, notamment en hiver car ils sont laissés sans surveillance. On se retrouve aujourd’hui sur la côte méditerranéenne (sans parler des étangs comme l’Etang de Thau) avec plus d’une centaine de bateaux en plastique qui s’échouent et donc entraînent de la pollution plastique, pollution avec les moteurs etc. Nous avons la volonté de lutter contre ces épaves et donc nous avons pris cet arrêté qui rappelle que le mouillage sans surveillance n’est pas prévu par la règlementation internationale : au mouillage, il doit toujours y avoir quelqu’un à bord. Compte-tenu que le mouillage n’était pas une forme de navigation, le mouillage est limité dans le temps à 72h sans personne à bord.
Aujourd’hui, on a de plus en plus de personnes qui laissent leur bateau à l’abandon, sans surveillance et nous faisons face à une multiplication du nombre de bateaux qui s’échouent au moindre coup de vent et nous sommes confrontés à des problèmes de pollution qui deviennent ingérables et que nous souhaitons contrôler par cette limitation du temps de mouillage sans surveillance."

F. N. : Ce problème de nombre croissant de bateaux au mouillage, c’est aussi parce qu’il n’y a plus de place dans les ports…
G. B. : "Oui bien sûr, c’est un peu un cercle vicieux. Je suis le premier à encourager les industries nautiques, à vouloir favoriser l’accès de la population aux sports nautiques mais néanmoins on constate aussi que si on a trop de bateaux par rapport aux capacités, cela pose plusieurs problèmes et notamment l’hyper fréquentation. De plus en plus d’endroits du littoral, comme les îles de Lérins, les parcs nationaux comme Port-Cros et les Calanques, etc., sont complètement saturés l’été et on a une pression sur l’environnement de plus en plus forte et qui est incompatible avec les objectifs de préservation de l’environnement. Et pour les usagers, quand les bateaux sont côte à côte et se touchent presque l’été dans les îles de Lérins, ce n’est plus du plaisir. Donc là aussi on voit bien, tout en respectant au maximum le principe de liberté en mer, qu’on ne peut pas indéfiniment avoir de la sur-fréquentation dans nos approches car cela se fait au détriment de l’environnement."
F. N. : Concernant les contrôles, qui est en charge ?
G. B. : "C’est sous la responsabilité du préfet maritime. C'est l’ensemble des administrations qui est mobilisé. Il y a les sémaphores sur les côtes : il y en a 19 en Méditerranée entre le continent et la Corse. Ils surveillent au radar les grandes unités pour surveiller les points de mouillage et la règlementation. Pour les bateaux plus petits si le sémaphore les a en vue directe, il peut les appeler mais ensuite en complément, et sur demande des sémaphores, l’ensemble des administrations présentes sur l’eau que ce soit la gendarmerie nationale ou maritime, les douanes, les affaires maritimes… consacrent de plus en plus une partie de leurs activités à la protection de l’environnement et donc au respect des arrêtés de la préfecture maritime."
F. N. : Depuis deux ans que ces arrêtés ont été publiés, avez-vous vu une amélioration, une différence ?
G. B. : "Je vais citer l’Agence de l’Eau de Méditerranée-Rhône-Alpes : les scientifiques estiment que depuis 2019, on a divisé par 3 la pression sur l’herbier de posidonie. Cela montre que les gens respectent, il y a une vraie prise de conscience."
F. N. : Revenons aux ZMEL. Par qui sont-elles gérées ?
G. B. : "Tout d'abord il faut qu'il y ait une volonté d'un acteur de créer une ZMEL dans sa zone. Dans la majorité des cas, ce sont les collectivités locales qui font la demande et qui sont en charge, c'est-à-dire les mairies à travers le port, qui a l'habitude de gérer ce genre d'activité. On a de très rares exceptions, par exemple à Pampelonne et la commune de Ramatuelle, c’est une société qui a installé la ZMEL de Ramatuelle. C’est un cas particulier car comme c’est une zone très touristique avec beaucoup de bouées on peut imaginer qu’il y aura une rentabilité financière, ce qui n’est pas le cas de la plupart des ZMEL qui sont plutôt déficitaires et donc qui suppose que la collectivité contribue au financement."
F. N. : Il y a tout de même une limite des ZMEL sur la problématique de la météo, comme ce fut le cas cet été en Corse. Comment cela est-il géré ?
G. B. : "Il faut savoir que lorsqu'une collectivité fait une demande de ZMEL elle monte un dossier et l’Etat demande une étude de site pour savoir avant la ZMEL, le nombre de bateaux dans la zone et leur répartition, afin qu’il n’y ait jamais plus de bouées que de bateaux déjà au mouillage en période estivale. Il n’y aura donc jamais plus de bateaux dans une ZMEL qu’il y en a actuellement dans la zone concernée.
Néanmoins la tempête en Corse nous a fait nous poser la question : dans des zones avec peu d’abris, est-ce que la ZMEL peut offrir plus de protection qu’un bateau qui serait sur ancre ? Nous allons intégrer le retour d’expérience dans le dimensionnement des ancrages dans les ZMEL, il faudrait peut-être faire des systèmes plus robustes pour faire face à des évènements météo qui vont se reproduire de plus en plus souvent. Et notamment en Corse, on voit bien qu’il y a une grande partie du littoral, notamment la côte ouest, où il y a beaucoup de plaisanciers l’été et peu d’abris donc si demain on a davantage de coups de vent comme cet été, il pourrait y avoir un intérêt d’avoir des ZMEL qui puissent garantir une certaine protection pour des bâtiments qui se retrouvent surpris par le mauvais temps."
F. N. : Comment vous gérez cette règlementation avec les pays méditerranéens limitrophes comme l’Italie ? Existe-t-il une cohérence de politique ? Ne craignez-vous pas une fuite de la grande plaisance vers des pays moins règlementés ?
G. B. : "D’une part, il y a des réflexions communes en Méditerranée au travers de groupes de travail qui découlent de la convention de Barcelone, des plans d’actions… il y a un certain nombre de forums qui rassemblent les pays de la Méditerranée notamment sur les sujets environnementaux et la réflexion sur la protection de la posidonie est partagée. Il y a une volonté de travailler en commun sur le sujet. Néanmoins les règlementations ne sont pas les mêmes dans les différents pays. Nous avons un peu plus d’échanges compte-tenu de la proximité avec Monaco, l'Italie, l'Espagne peut-être un peu moins avec la Grèce et la Croatie. Donc se pose la question de la concurrence, de parts de marché qui pourraient aller ailleurs. C’est moins vrai pour la petite plaisance mais plus pour la grande plaisance, quand les arrêtés ont commencé à être mis en fonction en 2019.
Nous avons reçu beaucoup d’inquiétudes de la part des acteurs de la grande plaisance. Nous avons eu beaucoup d’échanges pour trouver des solutions et les rassurer, et notamment en leur offrant des alternatives dans les zones de mouillage où il y a de la posidonie. Par exemple dans certaines zones, à côté de la posidonie il y a des fonds sableux et donc des zones qui permettent le mouillage, même si c’est un peu plus loin de la plage par exemple. Il y a également une politique de mise en place de coffres : en Corse et sur le littoral des Alpes-Maritimes. Il y a des projets qui vont permettre de continuer à déployer un certain nombre de coffres pour la grande plaisance au cours de l’année 2023. Et lors des échanges qu’on a eu avec la grande plaisance en septembre, le retour était positif suite à la saison estivale : les solutions répondent à leurs attentes et cela permet de rassurer. Si on ajoute à cela l’attractivité de la France, les propriétaires de yachts apprécient la France, notamment grâce aux nombreux services, les chantiers de réparation et de carénage. D’autre part on a mis en place des solutions palliatives avec les acteurs de la grande plaisance pour éviter cette fuite. Le bilan de cette saison estivale est très satisfaisant. Néanmoins on reste vigilants et on continue à tout faire pour garantir l’attractivité de la France face à ces acteurs-là qui sont particulièrement exigeants."