
Le Figaro Nautisme : Comment devient-on le directeur général de deux chantiers spécialisés dans la construction en aluminium ?
Marc d'Arbigny : C’est le hasard des rencontres ! J’étais l’heureux propriétaire d’un bateau aluminium d’une marque amie et je cherchais à remplacer ce vieux bateau. Au Grand Pavois de 2003, je croise Stéphan Constance et Xavier Desmarest, ils lançaient le chantier Allures et présentait le proto de l’Allures 44. Il fallait un premier client, ma femme m’a poussé dans le dos, ce fut moi.
4 ans plus tard, en 2007, le chantier se développant, Stéphan m’a proposé de rejoindre les équipes de Cherbourg pour participer à la montée en puissance. Je n’étais pas du secteur du nautisme. Ingénieur agronome de formation, j’avais passé une vingtaine d’année dans l’agro-alimentaire puis dans la recherche médicale. Une opportunité unique de conjuguer métier et passion !
Allures, en 2007 c’était une vingtaine de personnes. Le chantier a poursuivi sa croissance et Garcia a rejoint le Groupe en 2010. Allures et Garcia réunis, c’est maintenant 240 collaborateurs.
J’ai eu la chance de tenir des rôles variés dans une entreprise au développement rapide, où on doit toucher un peu à tout.
En 2016, je suis directeur des opérations pour Garcia, puis DG Garcia en 2018 à la suite de Benoit Lebizay qui, dans le Groupe, prend les rênes de Gunboat. En 2021, Allures et Garcia fusionnent, et je prends la direction générale de ce nouvel ensemble.
Le Figaro Nautisme : Quelles sont les différences entre les bateaux construits par Allures Yachting et ceux de Garcia Yachts ?
Marc d'Arbigny : Les marques Allures et Garcia ont les mêmes fondamentaux : coque aluminium en forme, dériveurs intégraux, de 40 à 52 pieds pour Allures, de 45 à 60 pieds pour Garcia, conçus pour partir loin, construits au même endroit, par les mêmes équipes.
Les marques sont 2 cousines, élevées sous le même toit à Cherbourg, mais avec des caractères différents. Allures est plutôt féminine, Garcia est un peu garçon manqué.
Pour illustrer leurs différences, figurez-vous tracer votre route sur une mappemonde.
Un Allures va être un bateau de tour du monde, a priori plutôt par les tropiques, tourné vers la facilité d’usage et le plaisir de vie à bord, offrant notamment de belles fonctionnalités pour la vie au dehors. Ses fées ont voulu un design classique et élégant.
Un Garcia va être un bateau de tour du monde s’autorisant des latitudes un peu plus Nord ou Sud suivant les envies, offrant des fonctionnalités de protection pour les environnements rugueux. Le design est assez audacieux, la gamme porte bien son nom « Exploration ». Et pour les afficionados de l’habitabilité des catamarans, Garcia a lancé un catamaran aluminium, l’Explocat 52, avec la même ambition : « Nowhere you can’t go ! » [Il n’existe aucun lieu où vous ne pourrez aller !]. Un cata alu tourné vers l’exploration, en petite série donc à des coûts maîtrisés comparativement à une approche one-off, c’est aujourd’hui une offre unique sur le marché.
Ce distinguo Allures - Garcia est bien sûr un peu schématique. Les propriétaires Allures qui ont fait le passage du Nord-Ouest ou le détroit de Drake vous diraient que leur bateau est parfait pour les conditions dures. Le chantier met dans la conception du bateau Allures ou Garcia une intention de départ, c’est ensuite le propriétaire qui donne à son bateau une vie de voyage plus ou moins aventureuse.
Le Figaro Nautisme : Le Groupe Grand Large s’est spécialisé dans les bateaux de voyage : quels sont les spécificités de ce type de navires par rapport à un bateau de série classique ?
Marc d'Arbigny : Effectivement, avec Outremer, ORC, Gunboat, RM, Allures et Garcia, le Groupe offre un panel large de solutions aux candidats au voyage à la voile. Il y en a pour tous les goûts : mono ou cata, de 30 à 80 pieds, en composite, carbone, bois-époxy ou aluminium, quillard ou dériveur, en quasi solo ou en équipage...
Gunboat a un positionnement ciblé et joue dans une autre catégorie, mais les 5 autres marques ont les dénominateurs communs du bateau de voyage, pensés dès la conception.
Je pense principalement au confort de vie à bord dans la durée - la cuisine et les salles de bain par exemple doivent être « presque comme à la maison », à la facilité d’usage en équipage réduit voire en solo en toute sécurité, à la capacité à tenir des moyennes journalières significatives, à démarrer tôt à la voile pour économiser des heures-moteur, au gréement cotre pour toujours disposer de la bonne configuration de voiles et d’un bateau équilibré, à l’autonomie en eau et en électricité, à la maintenabilité - particulièrement en zones isolées, aux communications ...
Chaque marque du Groupe compose avec ces dimensions, pour proposer des bateaux homogènes et cohérents.
Pour Allures et pour Garcia, en complément de ces éléments, il y a bien sûr la spécificité du matériau aluminium de la coque. Les caractéristiques mécaniques de l’aluminium apportent un surplus de sécurité en cas de rencontre avec un OFNI. C’est le matériau de prédilection du bateau tout-terrain.
L’autre spécificité d’un Allures ou d’un Garcia est d’être dériveur intégral. Cette faculté de réduire le tirant d’eau offre l’accès aux mouillages protégés, permet d’accéder aux zones peu ou mal cartographiées comme les remontées de cours d’eau, de naviguer de manière plus douce au portant qui est tout de même l’allure principale en voyage. Et la possibilité de beacher, si vous croisez sur une mer à marées, pour un check facile de ce qui est sous flottaison. Ou faire ce check dans 1m d’eau s’il n’y a pas de marées.
On parle des spécificités du bateau comme machine, mais la préparation de l’équipage à aller voir le monde en bateau est tout aussi importante.
Il s’agit d’abord d’être à l’aise et en confiance pour faire avancer et fonctionner son bateau. Nous accompagnons nos propriétaires sur ces dimensions techniques au travers une offre de formation et de coaching délivrées par nos filiales Grand Large Services et Escale Formation Technique.
Il s’agit également de s’épanouir dans cette parenthèse de vie sur l’eau. D’y trouver ce qu’on est venu y chercher. Parenthèse où la vie sociale, la vie de famille ou de couple, le temps pour soi, la découverte, l’imprévu prennent une place et une forme forcément différente. Rencontrer en amont d’autres candidats au voyage - plus ou moins novices ou voyageurs accomplis - pour croiser les expériences est souvent très riche. Nous organisons des séminaires pour nos propriétaires afin de favoriser ces échanges.

Le Figaro Nautisme : Comment voyez-vous l’évolution des bateaux sur lesquels nous partirons en grande croisière dans 10 ou 15 ans ?
Marc d'Arbigny : Le pas de 10 ou 15 ans est court pour notre secteur. Regardez les bateaux de grande croisière de 2010 ou 2015 et comparez-les aux bateaux actuels, l’évolution n’est pas si marquée. Un peu plus de volume, de confort, de lumière, de stabilité de forme, de facilité d’usage, et des évolutions techno - prolongement de nos équipements de terriens - comme les batteries lithium, les panneaux solaires ou l’hyper-connexion.
Les avancées les plus marquantes des dernières années touchent aux motorisations favorisant les énergies renouvelables plutôt que les énergies fossiles embarquées. Mais pour des programmes longue distance, l’autonomie énergétique n’est pas forcément facile à garantir selon les zones fréquentées et le mode d’usage du moteur par le capitaine.
Un autre faisceau d’avancées ces derniers temps concernent les modes constructifs notamment pour protéger les opérateurs qui fabriquent. Ces avancées concernent également la limitation de l’empreinte carbone des fabrications, notamment via l’éco conception, en gardant à l’esprit qu’à l’échelle des 50 ans de vie d’un bateau aluminium, c’est l’empreinte liée à l’usage du bateau qui va être prépondérante.
Le monde de la course, lui, vit ses révolutions permanentes avec des bateaux qui volent, des gréements rigides... Ces solutions sont très éloignées de ce qu’un navigateur-plaisancier comme vous et moi peut ou souhaite appréhender.
Pour autant, ces dispositifs s’ils parviennent à être simplifiés et fiabilisés - pourraient contribuer à « l’easy sailing » qui me semble être l’orientation principale du voyage sur l’eau pour les prochaines années.
L’easy sailing rassemble ce qui rend la voile plus facile, dans son approche, dans sa compréhension et dans sa pratique. Cela contribue à l’arrivée de nouveaux candidats, moins marins, à la navigation lointaine. Cela doit aussi permettre d’établir de nouveaux équilibres : sans être caricatural, un projet bateau est souvent le sujet technique de Monsieur, mais voir le monde c’est autant le sujet de Madame. Avec l’easy sailing, Madame peut prendre une place plus centrale à bord, si elle le souhaite. On l’observe, c’est un atout voire une condition pour naviguer loin, de façon sereine.
J’imagine que c’est un mix des composantes de l’easy sailing qui guidera l’évolution des bateaux de grande croisière à horizon 10-15 ans. Comment cela se traduira concrètement ? Faites vos jeux... Par contre quand une évidence surgira, il faudra être en mesure de l’intégrer très rapidement.
Le Figaro Nautisme : Allures et Garcia Yachts en chiffres ?
Marc d'Arbigny : Allures, c’est une gamme de 3 bateaux, l’A40.9, l’A45.9, l’A51.9, et bientôt 4 avec un nouveau venu de 47 pieds dont les plans sont présentés à Cannes.
La gamme Garcia, c’est 3 monocoques, les Exploration 45, 52 et 60, et 1 catamaran, l’Explocat 52.
Suivant le mix produit, nous livrons 20 à 25 bateaux par an, pour un chiffre d’affaires d’environ 30 millions d’euros.
240 collaborateurs conçoivent, fabriquent et commercialisent les bateaux. Nous internalisons pratiquement tous les métiers de fabrication. Ce sont 9 métiers différents, depuis le chaudronnier qui reçoit le lot de tôles aluminium jusqu’au préparateur qui procède aux essais du bateau avant livraison à son propriétaire.
Le Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
Marc d'Arbigny : Je n’ai malheureusement plus beaucoup le temps de convoyer les bateaux sur les salons. Pendant des années, les Cherbourg-Grand Pavois-Cherbourg, avec les équipes qui fabriquent les bateaux, ont été de très bons moments.
Aujourd’hui, ce sont des sorties plus courtes, sur les bateaux en essais avant livraison, pour valider des hypothèses ou de nouvelles idées.
Cet été, retour à mes premières amours, taper des runs en planche à voile, au ras de l’eau. Maintenant que tout le monde est en Wingfoil, c’est un peu « old school », il va falloir que je me mette au Wing, ça me permettra d’attendre les premières navigations sur l’Allures Horizon 47 qui arrive.