
Un nouveau repère dans un marché de l’occasion sous tension
Depuis deux saisons, la plaisance française vit une forme de grand écart. D’un côté, les immatriculations de bateaux neufs reculent fortement, avec un repli d’environ 23 % sur la période 2023-2024 par rapport à 2018-2019, principalement sur les unités de moins de 7 m et les voiliers monocoques intermédiaires.
De l’autre, le marché de l’occasion reste remarquablement solide, avec seulement une baisse d’environ 3 % des volumes, confirmant l’appétit des plaisanciers pour les bateaux déjà en circulation.
À l’échelle du pays, cela représente près de 70 000 changements de propriétaires de bateaux de plaisance d’occasion par an. Autrement dit, la majorité des futurs propriétaires n’achètent pas neuf, mais se retrouvent face à des unités parfois âgées, modifiées, plus ou moins bien entretenues. Dans un parc vieillissant, où l’on croise autant de day-boats de 30 ans que de catamarans récents, l’évaluation de l’état réel d’un bateau devient un exercice complexe, voire anxiogène, pour un plaisancier qui n’est pas expert.
C’est précisément dans ce paysage que la FIN (Fédération des Industries Nautiques) a dévoilé, lors du tout nouveau salon nautique parisien, le Diagnostic Prévente (DPV), fruit d’un travail mené avec les autorités maritimes et les assureurs. L’ambition est claire : proposer un cadre commun, lisible, pour la vente des bateaux d’occasion de moins de 12 m, et en priorité ceux de moins de 9 m qui, jusqu’ici, ne faisaient quasiment jamais l’objet d’une expertise formelle.
Ce que le DPV est... et ce qu’il n’est pas
Le DPV est d’abord un contrôle volontaire, demandé et financé par le vendeur. Il consiste en une vérification visuelle et structurée de l’état du bateau, réalisée par un expert maritime disposant d’au moins trois années d’expérience. Le dispositif repose sur un référentiel national et sur des fiches de points de contrôle qui varient selon la typologie du bateau : voilier de croisière, day-boat à moteur, semi-rigide, multicoque ou scooter des mers.
L’expert examine notamment la coque et le pont, la motorisation, les systèmes électriques de base, les équipements de sécurité obligatoires, la conformité réglementaire, la documentation du navire, ainsi que les modifications éventuellement réalisées. À l’issue de la visite, le vendeur obtient un rapport standardisé, valable 6 mois, qu’il peut présenter à tout acheteur intéressé.
Deux points sont essentiels.
D’abord, le DPV n’est pas une expertise au sens traditionnel : il ne comporte pas de démontages lourds, pas de tests destructifs, pas nécessairement d’essai en mer, ni d’estimation de valeur vénale. Il s’agit d’un état des lieux sécuritaire et réglementaire, un socle commun d’information.
Ensuite, il ne s’agit pas d’un contrôle technique obligatoire : aucun texte ne contraint aujourd’hui un vendeur à réaliser un DPV. Le dispositif se veut incitatif et responsabilisant, pas coercitif.
Pour les plaisanciers, la nuance est cruciale. Un rapport de Diagnostic Prévente ne dit pas "ce bateau est parfait", mais "un professionnel a vérifié, selon un référentiel commun, un certain nombre de points clés à une date donnée".
Les promesses : transparence, sécurité, valorisation des bons élèves
Sur le papier, les bénéfices sont évidents. Pour l’acheteur, le DPV apporte un niveau d’information standardisé, lisible et comparable d’un bateau à l’autre. Dans un marché où de nombreux plaisanciers n’ont ni l’expérience ni les compétences techniques pour juger de la qualité d’une installation électrique, d’une révision moteur ou de la conformité d’une modification, ce socle d’informations réduit mécaniquement le risque de mauvaise surprise.
Pour le vendeur, il s’agit aussi d’un outil de valorisation. Un bateau ayant fait l’objet d’un DPV récent, avec un rapport clair et peu de points critiques, devient plus attractif. Certains acteurs du marché de l’occasion annoncent déjà leur volonté de mettre en avant les annonces associées à un Diagnostic Prévente, présenté comme un standard d’occasion "sécurisée" susceptible d’accélérer les transactions et de réduire les litiges.
Pour la filière, la FIN insiste sur l’objectif de sécuriser la pratique de la plaisance en traitant en amont la question de l’état des bateaux d’occasion, et en améliorant la circulation d’informations fiables entre vendeurs, acheteurs, experts et assureurs. Le dispositif a également été co-construit avec un réseau d’experts qui milite depuis longtemps pour des protocoles standardisés.
En résumé, pour un marché d’occasion qui brasse des dizaines de milliers de bateaux par an dans un parc vieillissant, l’arrivée d’un outil commun, structuré, va dans le sens de la professionnalisation et de la sécurisation des transactions.
Combien ça coûte et qui paie ?
Reste la question sensible du coût. Une expertise complète avant achat - avec démontages, mesures et souvent essai en mer - se facture généralement entre 500 et 1 000 € pour un petit bateau, davantage pour des unités plus grandes ou complexes.
Les premiers experts qui communiquent sur leurs prestations affichent des tarifs à partir de 40 € HT du mètre linéaire pour des missions liées au Diagnostic Prévente, soit un ordre de grandeur d’environ 400 € pour un bateau de 10 m, parfois moins selon les offres. On reste donc nettement en dessous du coût d’une expertise lourde, tout en ajoutant une couche de contrôle sur des unités qui, jusque-là, se vendaient très souvent sans aucun regard professionnel.
Le vendeur finance le DPV, comme il financerait un diagnostic immobilier avant une vente. Dans les faits, ce coût sera intégré dans la négociation, soit par un prix de vente légèrement supérieur, soit par un argument permettant de maintenir la discussion commerciale.
Les angles morts : ce que le DPV ne voit pas
Parce qu’il reste un contrôle visuel, le DPV ne répond pas à toutes les questions. Le diagnostiqueur n’est pas tenu de mettre le bateau à sec pour sonder une éventuelle osmose, ni de démonter les éléments de structure, ni d’ouvrir la moindre cloison. Les points de contrôle sont nombreux, mais restent accessibles sans travaux lourds.
Concrètement, cela signifie qu’un DPV favorable n’exclut pas la présence de défauts cachés : stratification douteuse sous la ligne de flottaison, corrosion interne, usure avancée d’un composite ou vieillissement invisible d’un gréement. De même, le rapport ne donne pas de valeur vénale : il ne dit pas si le bateau est cher ou bon marché, seulement dans quel état il se trouve au jour du contrôle.
Autre point clé : le DPV est demandé et payé par le vendeur. L’indépendance de l’expert est garantie par sa déontologie professionnelle, mais dans l’esprit du grand public, la question peut subsister. D’où l’importance d’un référentiel commun, transparent, et d’une exigence d’expérience pour les experts accrédités.
En pratique, pour un bateau d’un certain prix ou destiné à un programme de croisière ambitieux (année sabbatique, grande croisière, retraite à bord...), un plaisancier prudent continuera à cumuler DPV et expertise avant achat lorsqu’il s’agit d’engager plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Constructeurs, architectes, assureurs : une nouvelle boucle de retour d’expérience
Au-delà de la transaction, le DPV ouvre une perspective intéressante pour les chantiers, les architectes et les assureurs. Chaque diagnostic documente l’état réel d’un bateau à un instant donné, parfois plusieurs années après sa mise à l’eau. Agrégées, ces données deviennent une mine d’informations sur le vieillissement des structures, la tenue dans le temps de certaines solutions techniques, ou encore la fiabilité d’un montage.
Pour un architecte naval, voir ses plans passer régulièrement au crible d’un référentiel commun permet de mesurer la perception de ses bateaux sur le marché de l’occasion. Pour un constructeur, le maintien de la valeur des unités d’occasion est un enjeu commercial majeur. Pour les assureurs, la présence d’un DPV récent pourrait, à terme, influer sur les conditions de souscription ou les franchises.
Pour le plaisancier : comment l’utiliser intelligemment
Pour l’acquéreur d’un bateau de 8 m âgé de 20 ans, le DPV ne doit ni être ignoré ni être sacralisé. S’il existe, il offre une base utile pour préparer une visite du bateau : les points d’attention listés dans le rapport deviennent autant de questions à poser au vendeur, voire de travaux à chiffrer.
S’il n’existe pas, il peut être demandé au vendeur comme condition de poursuite de la négociation, à la place ou en complément d’une expertise plus lourde. Dans certains cas, un DPV pourra suffire pour un programme modeste. Dans d’autres, il ne sera qu’un premier filtre avant une expertise complète.
Dans tous les cas, le rapport ne dispense ni la visite, ni l’essai, comme l’exige le bon sens marin !
Un marché de l’occasion à deux vitesses ?
À moyen terme, le principal risque est de voir se dessiner un marché de l’occasion à deux vitesses : d’un côté, les bateaux disposant d’un DPV récent, mieux valorisés ; de l’autre, des unités sans diagnostic, pouvant être en très bon état et sains, mais perçues comme moins fiables.
Pour les petits budgets, la question du coût peut devenir un frein. Pour d’autres, au contraire, le DPV jouera un rôle de transparence bienvenue, permettant de distinguer les bateaux réellement entretenus de ceux nécessitant des travaux lourds.
Un outil utile... tant qu’on ne lui demande pas l’impossible
Comme souvent, la valeur du Diagnostic Prévente dépendra de la manière dont la filière et les plaisanciers l’utiliseront. Employé pour ce qu’il est - un contrôle visuel normé, sur un périmètre défini - il peut devenir un repère précieux. Érigé en label absolu, il risque de créer des illusions.
Pour les vendeurs, c’est une manière de montrer patte blanche. Pour les acheteurs, c’est un outil de tri et de dialogue. Pour les constructeurs, architectes et assureurs, une nouvelle source de données sur la vie réelle des bateaux.
En un mot, le DPV est un filtre supplémentaire, pas une garantie totale. Mais dans un univers où l’on parle d’un investissement important - que vous soyez à la recherche d’un bateau pour des sorties à la journée ou pour partir autour du monde - le DPV apporte une brique de sécurité bienvenue au moment décisif de l’achat en occasion.
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