Pali, le bébé des mers
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Nous avons rencontré Pali aux Bermudes sur Rusalka of the Seas, un beau ketch de 20 mètres, naviguant sous pavillon britannique. Le bébé semblait être né de l’une de ces créatures mystérieuses des eaux, les Roussalkas, ces sirènes de la mythologie slave, dont une orne chaque côté de la coque bleue du bateau. En réalité, sa mère, Daniela, est mexicaine et son père, Marc, est franco-mexicain. Mais il ne ressemble à aucun autre enfant de cet âge rencontré en croisière. Incroyablement agile malgré les dangers et le mouvement constant du voilier, le bambin de 20 mois y est aussi à l’aise que Moogli dans la jungle. C’est parce qu’il est né sur Rusalka et n’a jamais vécu sur terre. Il semble avoir instinctivement compris les lois de la physique en mer. Ses mouvements sont précis, fluides, rien ne l’effraie. Habituellement, les enfants qui commencent à marcher perdent facilement leur équilibre et se cognent partout sur un bateau. Petites, nos filles étaient couvertes de bleus (notre premier bateau était tout petit).
La descente du cockpit à la cabine était particulièrement dangereuse, sans parler de la mer autour. Imaginez un bébé sur des marches raides descendant à la cave, qui bouge... La grand-mère de Pali, qui vit sur la terre ferme à Mexico City, a poussé un cri d’horreur lorsqu’elle l’a vu pour la première fois escalader seul la descente du voilier.
Ses parents eux sont sereins mais vigilants et avouent être eux mêmes étonnés par le naturel du petit garçon. Il saute depuis le bateau au mouillage dans l’océan. Avec un gilet de sauvetage pour le moment car les courants et les vagues sont dangereux pour un tout petit, mais bientôt il n’en aura plus besoin, à l’instar de sa sœur Uma, qui à 5 ans, semble à l’aise comme un poisson dans l’eau.
Daniela n’avait aucune intention d’accoucher sur un bateau. « Je ne voulais pas imposer ça à ma famille ! » s’exclame la brune de 36 ans dans un éclat de rire. Tout était prévu pour que la naissance ait lieu dans une clinique de Formentera dans l’archipel espagnol des Baléares, après une grossesse sans problème sur Rusalka et des visites chez le docteur à chaque escale en mer Méditerranée. A la dernière minute, elle a changé d’avis, persuadée par une Doula espagnole. L’idée d’accoucher naturellement dans le milieu où elle se sentait si bien est soudain devenue une évidence. La crainte d’une césarienne et le mauvais souvenir du milieu hospitalier pour la naissance d’Uma au Mexique ont fini de la convaincre. Hélas, ses parents étaient horrifiés, en particulier son père, marin de longue date. « C’est devenu un drame, le jour où j’ai pris ma décision, nous avons cessé de nous parler jusqu’à la naissance» se souvient Daniela. En revanche, le gynécologue-obstétricien qui a accepté de s’occuper d’elle à Palma de Majorque n’a pas hésité une seconde. Pali était son septième bébé né sur un bateau !
Daniela s’est immédiatement sentie en sécurité. Par prudence, elle a fait tous les examens et prises de sang comme si elle allait accoucher à l’hôpital. Puis elle a stérilisé draps et serviettes sur le méga-yacht d’un ami de l’île qui avait un mini-pressing à bord. Elle a fait de la place dans la cabine puis a attendu le jour J avec de plus en plus de difficultés à se mouvoir sur Rusalka. Finalement, sa mère a pris l’avion du Mexique pour venir l’aider. Daniela lui a réexpliqué ses raisons, elle a compris et accepté. « Ce jour-là, c’est comme si elle s’était sentie libérée, elle a accouché dans la nuit» se souvient Marc. Les dieux des vents et de la pluie ont dû juger qu’ils avaient eux aussi leur mot à dire. Après des jours de chaleur, une tempête a éclaté autour de minuit. « La pluie a commencé à tomber bruyamment sur le deck, j’ai entendu un plop comme si on ouvrait une bouteille de champagne. C’était mes eaux, Pali est né six heures après, aux premières lueurs du jour. Un gros bébé de près de quatre kilos en pleine forme ».
Daniela rentre ces jours-ci pour quelques semaines au Mexique avec ses deux enfants et se demande si le petit garçon va dormir aussi bien sur la terre ferme, lui qui a toujours vécu bercé dans son ventre puis dans la nacelle du bateau.
L’histoire de Pali et Daniela m’a rappelé pourquoi j‘aime tant la mer. Il y a quelque-chose de primaire dans notre relation avec elle, un souvenir doux, vague et lointain, dont le naturel s’est estompé. Peut-être est-ce celui des neufs premiers mois après notre conception ou bien celui de nos origines ? Je n’en sais rien. Après plusieurs jours sur terre aux Bermudes, je sais que je n’ai qu’une envie : voguer sur l’océan.