Rencontre avec un chasseur d’épaves aux Bermudes

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Le marin est prévenu avant d’arriver aux Bermudes, l’archipel aux plages de sable blanc est aussi un cimetière. Rien à voir avec le soit-disant triangle. Sur la carte Imray, une petite note indique: « Les marins doivent naviguer avec extrême précaution en raison des dangereux récifs ». Les autorités exigent qu’on les avertisse par radio à 30 milles des côtes. Même le drapeau, à première vue pas très accueillant du territoire britannique d’outre-mer, représente une épave. Car les Bermudes ont été fondées « grâce » à un naufrage…

Lors de notre approche par le nord, nous avons donc été « extrêmement » prudents, en passant non loin des épaves qui gisent au fond l’océan.

Environ 200 à 300 vaisseaux selon les estimations, se sont échoués depuis cinq siècles sur la barrière de corail qui entoure les îles : des galions espagnols du XVIe siècle, des bateaux à vapeur de la guerre de Sécession, une frégate française, l’Herminie, revenant du conflit avec le Mexique (la guerre des « pâtisseries »), des navires de la Seconde Guerre Mondiale, des paquebots de luxe, des voiliers...

 

Les Bermudiens d’aujourd’hui sont résolument plus accueillants que leurs ancêtres, qui attiraient parfois les marins sur les récifs pour se partager les butins retrouvés à bord. Les souvenirs de sauvetages -glorieux- ne manquent pas. A mon arrivée à Saint-George, Mike Marshall, 72 ans, m’a raconté que son grand-père, harponneur sur un baleinier, avait secouru 33 personnes sur les récifs, avant la guerre. Lui-même, a t’il insisté, a repêché des immigrés clandestins de Cuba. Je n’ai pas vérifié mais j’ai trouvé un vrai chasseur d’épaves.

L’homme aux boucles brunes s’appelle Philippe Rouja. Il est franco-bermudien. Anthropologue spécialisé dans les communautés maritimes, il a été nommé en 2004 curateur officiel des épaves du gouvernement Bermudien. Drôle de métier : c’est lui qui « garde » les squelettes des navires de l’archipel et explore les fonds à la recherche de trésors enfouis. Le gouvernement avait longtemps considéré les épaves comme simple source de revenus économiques (la vente du bronze et autres métaux précieux rapportait des devises), pas comme héritage historique et culturel.

Mais les cargaisons parfois précieuses des bateaux ont disparu progressivement, emportées par les plongeurs. Une nouvelle loi a donc été adoptée en 2001 interdisant le pillage des épaves. L’exploration et l’excavation des vaisseaux retrouvés dans un rayon de 24 miles nautiques, n’ayant pas été réclamés par leur propriétaire depuis 50 ans, n’est possible que sur permis spécial. Si Philippe Rouja considère qu’une épave est potentiellement importante pour le patrimoine national, il en restreint l’accès aux plongeurs avec filets et signalisations.

On croise le quadragénaire le plus souvent en tenue de plongée au fond de l’océan ou en polo et bermudas dans les archives nationales. Nous l’avons rencontré dans une base navale américaine désaffectée de la guerre froide, où il inspectait un canon du XVIIe siècle plongé pour un an dans un bain d’acide, afin d’être restauré.

 

Le commis du gouvernement au teint toujours hâlé travaille avec des experts du monde entier, historiens, géologues, archéologues maritimes, spécialistes du réchauffement climatique, etc. Mais son partenaire et mentor le plus précieux est Teddy Tucker, l’explorateur bermudien de renommée internationale, aujourd’hui âgé de plus de 80 ans. Il a trouvé les épaves les plus célèbres des Bermudes. C’est lui qui a découvert la fameuse croix en or sertie de sept émeraudes du XVIe siècle qui a disparu du musée de la Marine, quelques heures avant la visite de la Reine d’Angleterre en 1975. A ce jour, le mystère reste entier.

Mais revenons à notre chasseur d’épaves. Philippe Rouja préfère plonger l’hiver quand les eaux sont plus claires ou après un ouragan, quand celui-ci a balayé le sable au fond de l’océan.

Sa découverte la plus récente: quatre bouteilles de vin parfaitement conservé depuis près de 150 ans dans une caisse en bois de la proue du Marie Celeste, un bateau à vapeur américain échoué en 1864 dans des conditions mystérieuses. « A l’approche du 150ème anniversaire de la guerre de Sécession, comprendre le rôle de la contrebande et des Etats impliqués est un exercice fascinant » explique t’il. Abraham Lincoln avait imposé un blocus économique au sud allant des côtes de la Virginie jusqu’au Texas entre 1961 et 1965. Les troupes confédérées se procuraient donc armes et nourriture par d’autres moyens, mais faisaient aussi de la contrebande de produits de luxe qui leur rapportaient beaucoup plus d’argent.

Deux fioles de parfum retrouvées intactes à bord du Marie Celeste ont été analysées en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Il a été établi que la première fragrance est une eau de Cologne de l’une des plus vieilles Maisons new-yorkaises, « Murray et Lanman », qui vient de fêter ses 200 ans d’existence. La seconde, examinée par l’historien britannique des parfums du Titanic David Pybus et plus récemment par un institut de recherche à New York, est un parfum floral de la prestigieuse maison londonienne Piesse et Lubin fondée en 1855, aujourd’hui défunte. C’est peut-être l’un des plus vieux aromes existants du parfumeur.

Reste à découvrir l’origine précise des vins. Les experts de l’institut des sciences du vin et de la vigne de l’Université de Bordeaux sont attendus aux Bermudes.

 

En attendant, Philippe Rouja s’apprête à retourner explorer les fonds sous-marins avec une équipe internationale, à la recherche du Roanake, un bateau à vapeur légendaire de la guerre de Sécession. « Les plus belles choses sont encore à trouver ! » promet l’explorateur des mers.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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