Cap sur la mer des Sargasses entre peur et impatience
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Nous avons 568 litres d’eau, des produits frais qui devraient durer une semaine, beaucoup de riz, de pâtes, des tonnes de biscuits et le trésor quasi intact de victuailles offertes par les amis de New York. Je continue d’imposer un strict embargo, par nostalgie. Lorsque Looli était malade dans le maudit Gulf Stream, je lui ai donné un peu d’eau minérale d’Abkhazie offerte par l’expert du Caucase -et du mal de mer- Tom de Waal. J’ai aussi commencé à piocher dans le stock de chocolat en poudre aux chamallows offerts par Elisabeth Guédel, qui n’imagine sûrement pas à quel point il est précieux aujourd’hui. Zéphyr (10 ans) et Looli (8 ans) nous supplient de rester encore un ou deux jours, mais Sebastian et moi avons hâte de partir.
Je me suis réveillée cette nuit avec l’envie urgente de relire les manuels de soins d’urgence. C’est la première fois que nous resterons « longtemps » en mer - deux à trois semaines - et nous n’avons pas de téléphone satellite à bord, juste la radio VHF. Rien d’anormal. Les moments d’inquiétude alternent avec ceux d’euphorie et de spleen. Je crois que c’est normal pour un marin.
Avant de quitter le Bronx, Looli m’a dit qu’elle était terrifiée par les monstres de l’océan. Zéphyr a peur de connaître le même sort que le Titanic. Il n’y a pas d’iceberg sur notre route, mais qu’en est-il des poulpes géants ?
Depuis que Looli s’est amusée à se faire peur dans la cage aux requins de l’excellent Bermuda Underwater Exploration Institute, elle me pose beaucoup de questions sur les méthodes de défense anti-requins. J’ai posé la question à Chris Flooke, l’expert des Bermudes. Il m’a conseillé de jeter régulièrement un œil derrière moi et regarder le requin droit dans les yeux si j’en rencontre un. Nous suivrons son conseil. Nous comptons nager au milieu de l’océan, si la mer est suffisamment calme. Pauvres requins…
Nous sommes tous les quatre surexcités à l’idée d’aller explorer la Mer des Sargasses, la « forêt tropicale dorée » au milieu de l’océan sur laquelle Sebastian compte écrire un livre. La Mer des Sargasses est l’une des merveilles écologiques de la planète. Des crabes dorés, des poissons pourvus de « mains » étranges, des hippocampes, des tortues peuplent cette partie de l’océan Atlantique grande comme la moitié des Etats-Unis. Celle qui nous fait le plus rêver, c’est l’anguille. Le poisson serpentiforme qui vit dans les rivières d’Europe et des Etats-Unis parcourt des milliers de kilomètres pour se reproduire dans la Mer des Sargasses avant de mourir. Elle fascine les hommes scientifiques du monde entier, mais à ce jour, personne ne l’y a encore jamais vue.