Un bar mythique au milieu de l'Atlantique
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Annoncé par le néon jaune d’une grosse baleine en bas de la rue, il ne compte pas plus de douze tables, en bois vernis. A Horta sur l’île de Faial aux Açores, Café Sport est un petit bar perdu dans l’Atlantique. Mais c’est aussi un lieu célèbre sur les sept mers. En témoignent la collection de pavillons poussiéreux autographiés par les marins du monde entier et les livres d’or remplis de notes touchantes des navigateurs célèbres et anonymes passés ici. Havre pour voyageurs éprouvés par les tempêtes, scène de récits glorieux arrosés au gin tonic, Café Sport, aussi appelé Peter Café, est l’escale obligée des skippers professionnels de la course au large, des globe-trotters des hautes mers, vacanciers et anciens chasseurs de baleine açoréens. C’est un lieu rempli d’histoire et de souvenirs, de petits mots aussi scotchés là où il y a de la place. Au dessus du bar, un équipage a griffonné en juin dernier un message pour un autre voilier : « Lots of love if you make it to Horta ». Qui sait si son destinataire est arrivé. Étonnamment, en 100 ans d’existence, l’ambiance à la fois intime et cosmopolite n’a guère changé ici. C’est sans aucun doute grâce aux quatre générations d’Azevedo qui s’y sont succédé jusqu’à présent. Comme son père José, surnommé Peter, son grand-père, Henriqué et son arrière grand-père Ernesto, José-Henriqué, polyglotte, veille à ce que l’on se sente toujours bien chez lui.
Horta a longtemps été un lieu stratégique : centre de ravitaillement pour les baleiniers américains, capitale du câble sous-marin, base navale pour les alliés pendant les deux guerres mondiales, elle est aujourd’hui une escale incontournable de la navigation transatlantique. A tous ces visiteurs, depuis un siècle les Azevedo ont vendu pas mal de gin tonic et rendu de précieux services. « Nulle part au monde je n’ai rencontré de coeur plus généreux » écrivait en 1895 Joshua Slocum, lors du premier tour du monde en solitaire sur un voilier. Ernesto Azevedo, alors patron de la Casa Açoreana, rebaptisée Café Sport en 1918, lui avait offert des produits frais pendant son escale. Suite à une avarie sur Gypsy Moth, le champion britannique Francis Chichester vint chercher le réconfort chez son ami Peter en 1971. Le jour de mon arrivée, j’ai trouvé José-Henriqué affairé derrière son comptoir. Il avait gracieusement réceptionné toute une cargaison pour moi: des pièces détachées pour un panneau solaire, dix kilos de livres scolaires pour Zéphyr et Looli et une liseuse expédiée des Etats-Unis pour remplacer celle qui avait rendu l’âme dans l’Atlantique. La poste restante est une veille tradition familiale à laquelle le modeste maître des lieux est attaché. « La poste est fermée le dimanche, pas nous ! » s’exclame t-il. L’endroit mentionné sur les guides touristiques attire beaucoup de curieux l’été. D’aucuns en profiteraient pour gonfler la note. Pas José. Au Café Sport, on mange pour presque rien. J’y ai pris mes quartiers pendant notre séjour à Horta et comme bien d’autres marins avant moi, j’ai eu beaucoup de mal à le quitter. Il y a quelque-chose d’envoûtant dans ce lieu, si loin du reste du monde et pourtant si familier. José nous a fait visiter son musée unique de dents de cachalot gravées, au-dessus du bar. Sur celles-ci, les portraits de Slocum, Bardiaux, Tabarly... Le patron garde un souvenir ému de celui-ci. «Je me souviens encore d’une soirée où il était avec des amis, pour une fois pas stressé par la course. Ils ont bu et chanté toute la soirée ». Il aime particulièrement la compagnie des skippers professionnels qui reviennent tous les ans au printemps. « Je les regarde vieillir et ils me regardent vieillir » sourit l’homme de 53 ans, entouré de ses fils Pedro et Joao et de sa fille Marianne, cinquième génération d’Azevedo.
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