La traversée de l’Atlantique expliquée aux terriens
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2800 milles de Cape Cod à l’Irlande. La dernière traversée de l’Atlantique de notre voyage tout juste terminée, je vais consacrer ce billet aux questions de nos amis, qui sont aussi sûrement celles de certains lecteurs de ce blog.
Des questions parfois désopilantes comme « Vous arrêtez-vous pour dormir ? Comment faites-vous pour aller aux toilettes ?» ou bien « Avez-vous eu du mauvais temps? Ne mourez-vous pas d’ennui en mer?», qui montrent à quel point l’océan reste mystérieux pour beaucoup d’entre nous. Certains de nos amis nous prennent pour des héros, d’autres pour des marginaux voire des imprudents. Nous sommes plutôt des rêveurs qui trouvent leur plénitude dans la conquête de l’inutile, pour lesquels un peu d’aventure et d’imaginaire valent toutes les carrières du monde.
Nous arrêtons-nous donc la nuit pour dormir? Question pleine de bon sens, après tout les dauphins et les baleines dorment aussi. Mais la réponse est non. A moins de devoir mettre le bateau à la cape en cas de tempête ou parce qu’on est pris d’une envie irrésistible de plonger dans l’immensité bleue un jour de calme plat, on ne s’arrête pas au milieu de l’océan. Moon River avance toujours. Jour et nuit. Parfois en surfant sur les lames, parfois au rythme du flâneur parisien. La nuit, nous avons appris à découper notre sommeil en morceaux. Mon quart, d’une heure à cinq heures du matin, est l’un de mes moments favoris, quand tout le monde dort. C’est le moment de la descente au profond de soi. La vie, la création, l’amour, la mort, Dieu, tout y passe. Mettez n’importe quel idiot du village la nuit au milieu de l’océan et il devient Spinoza.
Poséidon savait sûrement l’importance de cette dernière traversée pour nous car il nous a gâtés. Des trois transats, celle-ci aura été la plus facile. Pas de tempête ni de grosse mer, juste quelques grains chargés de pluie et une chute un peu brutale de la température après le passage des Grands bancs de Terre-Neuve. Le mauvais temps est éprouvant en mer mais ne dure jamais très longtemps. Le calme plat - « la pétole »- hante presqu’autant les marins car il use les nerfs. Personnellement, à moins d’être pressée d’arriver en fin de parcours, je n’ai rien contre ce que Chateaubriand appelait « les molles intumescences de la mer », car tout devient silencieux et poétique. Les rides légères sur l’océan ont la même délicatesse que la rosée du matin.
On me demande parfois si nous avons changé en un an. Je doute qu’un voyage en mer vous transforme fondamentalement. Il vous apprend un tas de choses sur vous-même et vous procure un grand bonheur personnel mais vous rappelle aussi le caractère éphémère de l’existence. Après la première traversée, j’avais été prise d’un sentiment de culpabilité à l’égard des filles. Peut-être n’étaient-elles pas faites pour ça ? Heureusement, le mal de mer s’est atténué et la simplicité de notre nouvelle vie les a conquises. En deux mois, chacun avait trouvé ses repères.
Comment choisit-on ses escales ? Je tenais à aller en Afrique, Sebastian voulait se perdre dans la mer des Sargasses et revoir les Caraïbes de son enfance mais nous n’avions pas de plan particulier au départ, juste la connaissance précise des vents et courants dominants dans l’Atlantique. Le choix des escales s‘est fait au gré de nos rencontres et envies. D’où l’Amérique latine puis le retour à New York. Nous avons passé beaucoup de temps en mer. En cours de route, nous avons appris que la destination finale serait Paris, d’où cette troisième traversée et une année allongée de deux mois.
Le prochain billet, ce jeudi, sera consacré à la vie quotidienne