Schull, retour dans la vieille Europe

Par Adèle Smith

Il faut prononcer “Skeul”. Le petit village aux maisons chamarrées est niché sur les côtes sauvages du sud-ouest de l’Irlande, l’une des plus belles régions d’Europe pour la navigation de plaisance. Ce port de mer chargé d’histoire, nous a réservé plus d’une surprise.

A notre arrivée au milieu de la nuit après trois semaines en mer, un effet madeleine nous a « revigorés » de manière tout-à-fait inattendue. De fortes effluves de bouse de vache embaumaient la baie !


Nous n’avions pas choisi Schull comme port d’arrivée en Europe, Schull s’est imposé à nous. Le dieu Zeus-Xenios des voyageurs et de l’hospitalité avait tout arrangé. L’endroit qui ne compte pas plus de 800 âmes en hiver est une destination populaire en été et nous y avons par un heureux hasard retrouvé plusieurs amis. Les premiers, des marins écossais rencontrés en Gambie, nous ont appris qu’un dauphin « voyou » rode actuellement dans la péninsule irlandaise. Pire, l’animal qui serait… français s’est attaqué à eux. Les seconds, des Anglos-Irlandais perdus de vue depuis dix ans, nous ont démontré s’il en était besoin que l’hospitalité irlandaise n’est pas un mythe. Pendant la traversée, ils nous avaient attirés à Schull avec la promesse d’un bain chaud et d’un petit-déjeuner traditionnel (avec toasts, bacon et boudin noir…). Les joyeuses retrouvailles se sont transformées en une semaine ininterrompue de ripailles et libations. Le comté de Cork est connu comme la mecque gastronomique de l’Irlande. La ville voisine de Kinsale accueille un festival annuel pour foodies et à Schull, fermiers et producteurs s’affrontent tous les ans en juillet dans une féroce compétition de poules, oignons, pommes de terre et autres produits du terroir. Le concours « tel-chien tel maître » fut particulièrement réussi cette année. Il n’est pas rare que la rue principale du village soit bloquée pour cause de livraison de Guinness et de Murphy, la bière locale. Le village compte au moins une demi-douzaine de pubs qui sont fort animés pendant la régate annuelle en août et le festival de court-métrage, un événement connu internationalement malgré l’absence notoire de salle de cinéma.

Je lirai plus tard dans la presse locale que le dauphin évoqué plus haut est surnommé Clet et aurait initialement été localisé en France avant d’arriver cet été en Irlande. Le jour de sa mésaventure avec Clet, notre amie Charlotte ne savait rien de sa sinistre réputation. Elle s’en est approchée après l’avoir vu jouer avec un nageur en combinaison de plongée. « Au début il m’a paru plutôt amical, mais il s’est approché un peu plus près de moi que je ne l’aurais voulu. Il était très grand. Je me suis mise à rire nerveusement. Peut-être a t’il senti mon anxiété. Il m’a donné un coup de queue sur le dos, puis un deuxième et un troisième très fort puis il a essayé de me pousser vers le fond. J’ai eu la peur de ma vie!» raconte-t-elle.
Selon l’Irish Whales and Dolphins Group, il s’agirait d’un animal solitaire et antisocial, un pauvre hère qui aurait mal tourné après trop d’interactions avec les humains. Quelle triste allégorie. Au cours de notre voyage, nous avons reçu la visite de centaines de dauphins, des animaux sauvages qui nous ont toujours procuré un incroyable sentiment de familiarité. Les exubérants mammifères arrivaient par surprise, nous offraient souvent un grandiose spectacle puis disparaissaient aussi soudainement dans les flots de l’océan.

Le sud-ouest de l’Irlande est un paradis pour voyageurs en quête de paysages exceptionnels, de vieilles légendes et de divertissement. Lorsqu’un festival est terminé, un autre prend la relève et ainsi de suite tout au long de l’été. On peut mouiller dans d’innombrables petites criques aux côtés de bateaux traditionnels magnifiques, grimper sur les falaises battues par les vents de l’Atlantique et s’aventurer dans les ruines chargées d’histoire. On peut assister à une pièce de théâtre improvisée sur une île déserte ou montrer ses talents de musicien au pub du coin.


A quelques milles seulement de Schull, le célèbre rocher Fastnet défie l’océan, imperturbable. Le spectacle est captivant. Pour nous autres marins, il évoque l’une des pires tragédies de l’histoire de la course à la voile lorsqu' une violente tempête provoqua la mort de 15 concurrents et trois sauveteurs. C’était l’édition 1979 de la Fastnet Race. Quelle surprise donc d’entendre le récit de l’événement par nos amies irlandaises. Elles qui n’étaient encore que des enfants à l’époque se souviennent d’un grand moment d’agitation où l’on courrait sur la jetée et jouait aux héros en aidant à amarrer les bateaux.
Schull est aussi tristement connu pour une affaire criminelle qui 18 ans après n’a toujours pas été élucidée. C’est ici que l’épouse de l’ancien producteur Daniel Toscan du Plantier a été assassinée deux jours avant Noël 1996. Lorsqu’ils évoquent le suspect principal, l’ex-journaliste anglais Ian Bailey contre lequel aucune preuve formelle n’a été apportée (et qui clame toujours son innocence), les gens du coin parlent simplement du « meurtrier ». Il n’est pas rare de le croiser dans les environs. L’Irlande a refusé il y a deux ans de l’extrader, mais la famille a déposé un recours et de nouvelles investigations menées par un juge d’instruction parisien pourraient conduire un jour à sa condamnation par défaut.
Les traces d’une autre tragédie, nationale celle-là, hantent encore les habitants de la région. La grande famine de 1845-1848 frappa plus qu’aucun autre le comté de Cork. Dans le village voisin de Skibbereen, les victimes étaient transportées par charrettes entières dans la fausse commune locale que l’on peut encore visiter. A Schull, on aperçoit encore les ruines d’un hospice destiné aux rares survivants. Le drame qui fut un facteur déterminant dans la formation de l’identité irlandaise coûta la vie à un million de personnes. Autant émigrèrent aux Etats-Unis. Le Fastneck rock, dernier bout de terre visible avant l’Amérique devint « la larme de l’Irlande » car beaucoup d’immigrants ne revirent jamais leur pays. A bord de l’un des bateaux qui firent la traversée se trouvaient les aïeux de nos propres filles.
 

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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