Estuaire de la Rance : la navigation est-elle menacée ?

Dans un précédent blog « Usine marée motrice : une fausse bonne idée », je m’interrogeais sur l’envasement de la Rance et l’influence du barrage sur ce dernier. Aujourd’hui fort est de constater que deux ans après la mise en place du piège à vase devant l’écluse du Chatelier, celui-ci ne semble pas remplir son office.

Un petit retour en arrière
Il y a cinquante ans, le Général de Gaulle inaugurait l’usine marée motrice de la Rance. En novembre 2016 sera commémoré cet anniversaire. Sans vouloir présager de cette journée, seront surement évoqués un site écologique, sans émission de gaz à effets de serre, le prix de revient du KW ou encore le magnifique point de vue que l’on a du barrage que ce soit vers la mer (baie de Dinard/Saint-Malo) ou vers la terre (estuaire de la Rance). Mais ne sera sans doute pas abordé l’effet négatif sur l’envasement, la faune et la flore. Pourtant ce sujet est plus que d’actualité.

La triste réalité
L’EDF a plusieurs fois mis en avant que l’usine ne modifiait pas le régime des marées dans l’estuaire. Ceux qui ont connu cet estuaire avant le barrage sont tous unanimes pour reconnaître que c’est loin d’être comme avant tant au niveau des marnages qu’à celui de la navigation, des plages et de la pêche. Sans être hydraulicien, il est simple de comprendre que pour que l’usine produise de l’énergie, en faisant tourner des turbines, il faut une différence de hauteur d’eau entre les deux bassins. Il est évident que ce régime n’est pas naturel comme celui d’une marée. Les étals de niveau haut et bas variables ne peuvent qu’avoir une influence sur l’écosystème de la Rance. Nous sommes en présence non plus d’un estuaire naturel comme avant le barrage où l’influence de la marée se faisait sentir jusqu’au Chatelier, mais sur un bassin de retenue à l’équivalent d’un barrage terrestre. L’ouverture et la fermeture des turbines, en fonction des besoins d’énergie, entraînent des courants fluctuants qui peuvent être très violents. En pratique, on connaît une semaine à l’avance les hauteurs d’eau de pleine et basse mer avec les durées des étals. Mais, la courbe entre les deux (haut et bas) est loin d’être sinusoïdale et il est impossible de connaître la hauteur d’eau à un instant donné et la force du courant.
Quant aux poissons, bien que ce soit un point mis souvent en avant par l’EDF qui précise que « les turbines ne tournant qu’à 96 t/mn, les poissons peuvent les traverser sans dommage », j’en doute, peut-être les turbots et encore. Je pense que même un de nos nageurs olympiques ne se risquerait pas à passer dans une turbine tournant à cette vitesse !

L’envasement
C’est un phénomène naturel. Il est dû aux particules en suspension dans l’eau. Mais, un tel phénomène cesse d’être naturel si on modifie artificiellement les marées avec, entre autre, des durées d’étals importants et des niveaux qui ne sont pas ceux de la marée en mer. Par exemple, le lundi 3 octobre 2016, nous avons à Saint-Malo une basse mer à 3 h 53 mn hauteur 1.95 m et une haute mer à 9 h 14 mn hauteur 11.95 m soit un marnage de 8.42 m. Ce même jour en Rance, la basse mer est à 5 h 15 m à une hauteur 7.60 m et la haute mer de 10 h à 11 h hauteur à 12 m soit un marnage de 4.40 m. Pour la mer ce jour-là, le temps d’une demi marée est de 5 h 17 mn (3 h 53 mm à 9 h 14 mn) et en Rance (6 h à 10 h) seulement de 4 h. Un autre exemple plus frappant, en Rance, le 10 septembre l’étal de pleine mer est de 4 h 30 mn (14 h 30 mn à 19 h) et le marnage de 1.40 m (7.20 m à 8.60 m). En fait, entre le 9 et le 12 septembre, le niveau haut oscille entre 9 et 10 m pas prudent de s’aventurer entre Mordreuc et le Lyvet avec un tirant d’eau supérieur à 1.40 m.

Les phénomènes qui amplifient l’envasement sont donc principalement liés à deux causes : les étals qui favorisent le dépôt des sédiments et le marnage qui est faible par rapport à la marée naturelle. Des chiffres repris dans le bulletin de Rance environnement évaluent à 50.000 m3 de sédiments par an soit 2,5 millions de m3 depuis la mise en service du barrage. Dans les vasières, la vase devient dure et peut atteindre plusieurs mètres. Les plages naturelles de sable comme à la Ville Ger disparaissent et sont, dans certains cas, recouvertes d’algues ce qui limite la pêche. Pour la navigation, il devient de plus en plus difficile de naviguer entre Plouer et l’écluse du Chatelier. Il y a deux ans un piège à vase a été mis en service avec une extraction de 65.000 m3 devant l’écluse du Chatelier. Etant moi-même usagé de cette zone, j’ai l’impression qu’à ce jour il y a plus de vase qu’avant le dévasement. A titre indicatif, il y a quelques semaines plusieurs bateaux (tirant d’eau 1.50 m) se sont échoués avant l’écluse du Chatelier où, en principe, compte tenu de l’heure il y avait assez d’eau pour passer. A la cote 9 m, il n’y avait que 1.20 m à la porte de l’écluse. Dans la semaine suivante, un avis a été affiché sous le titre envasement en aval de l’écluse du Chatelier « Le tirant d’eau est limité à 1 m quand la cote descend à 8,50 m à Saint-Suliac. Les éclusages se feront en considération des tirants d’eau des bateaux se présentant à l’écluse. Les bateaux avec un tirant d’eau supérieur à 1 m devront le signaler à l’éclusier ». Quelle réactivité de la part des autorités ! En clair, les bateaux ayant un tirant d’eau supérieur à 1.50 m ne pourront passer que s’il y a au minimum, en prenant une marge de sécurité, 10 m à Saint-Suliac. Le port de Dinan voit sa clientèle anglaise le déserter, il en est de même au Lyvet et, si rien n’est fait rapidement, ce sera toute la navigation qui en souffrira. Alors que faire ? Des associations comme Rance Environnement travaillent sans compter et avec beaucoup de sérieux de même que la commission Estuaire Rance avec Henri Thébault qui connaît parfaitement le sujet. Mais, à ce jour, il semble que les politiques écoutent d’une oreille attentive les différents intervenants. Beaucoup de promesses sont faites mais peu d’actions concrètes sont entreprises sur le terrain malgré des solutions préconisées par ces associations.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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