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En tête de la flotte les écarts se stabilisent. A l’arrière, Mike Golding et Tanguy de Lamotte se sont fait peur.
Dimanche à 16 heures, François Gabart (Macif) possédait 45 milles d’avance sur Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) à l’approche de la porte des glaces Australie-Est. Dans un flux de sud-ouest moins soutenu que samedi, les deux leaders naviguaient entre 16 et 18 noeuds. Ils devront empanner vers le nord dans les prochaines heures pour franchir cette cinquième marque de parcours obligée. Derrière, Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec) a grappillé un peu de terrain dans la journée mais pointe encore à 471 milles du tableau arrière de Macif. Quatrième, Alex Thomson (Hugo Boss) suivi par Bernard Stamm (Cheminées-Poujoulat) est actuellement le plus rapide de la flotte avec une vitesse de 20,7 noeuds. Un chrono qui ne lui permet pourtant pas de diminuer l’écart qui le sépare des premiers car sa vitesse de rapprochement par rapport à la route directe n’est pas favorable. Il faut dire que le Britannique et le Suisse sont perchés 10 degrés plus haut en latitude que Gabart et se rallongent considérablement le chemin restant à parcourir autour de l’Antarctique. Ils plongeront bientôt dans le sud de la fin de l’océan Indien car pour le moment, ils se dirigent tout droit vers le port d’Hobart en Tasmanie !
Desjoyeaux analyse l’Indien
On a tendance à croire que l’océan Indien est beaucoup plus clément cette année que lors des éditions précédentes. Il est vrai qu’à ce jour aucun des 13 solitaires encore en lice n’a subi d’avarie fatale dans la traversée de l’Indien. Michel Desjoyeaux, double lauréat de l’épreuve en 2001 puis 2009, livre une analyse différente. « L'Océan Indien n'est pas moins dur aujourd'hui. Le fait d’avoir instauré des portes obligatoires très hautes en latitude limite la casse car le matériel souffre beaucoup moins dans des conditions de navigation plus faciles. Je me souviens que j’ai passé au sud des Kerguelen en 2008 par 58 degrés Sud et là, forcément, les mers sont terribles et mettent le bateau à forte contribution ».
La belle frayeur de Golding
Ce qui n’empêche pas certains navigateurs de se faire de belles frayeurs. Comme ce fut le cas de Mike Golding (Gamesa). Le récit du Britannique fait froid dans le dos. « Il était à peu près 4 heures du matin dimanche, je terminais un changement de voile pour faire route vers le sud dans un vent un peu plus soutenu, quand la drisse d'enrouleur de l'énorme Code 0 a cassé dans une rafale de 35 noeuds. Auparavant le vent était de 18 noeuds. Alors que le bateau était largement surtoilé, que la voile principale faseyait (ndlr : se dégonflait) et qu'il n'y avait aucun moyen de l'enrouler, le pilote a lâché. Je me suis aussitôt élancé pour faire balancer la quille, coucher Gamesa sur le côté afin de réduire la pression sur le gréement et faire descendre ce code. Je suis de retour en course maintenant. Le code 0 est jeté au fond du bateau avec tous les bouts. Je suis en mode réparation sur l'enrouleur. Je n'ai pas eu la chance d'inspecter le bout dans sa globalité mais j'espère que les dégâts ne sont pas trop importants. J'ai beaucoup à faire encore, je dois mettre le solent et prendre deux ris et surtout essayer de retrouver ma sérénité. La bonne nouvelle c'est que je suis sur la route de Jean Le Cam (SynerCiel), il faut juste que je le rattrape maintenant ». Lors de cet incident, Golding a aussi dû chasser de son esprit qu’il avait démâté lors du dernier Vendée Globe...dans le même secteur de l’océan Indien.
Mauvaise rencontre pour De Lamotte
Autre témoignage qui prouve qu’en mer on est à l’abri de rien, celui de Tanguy de Lamotte (Initiatives-coeur) victime d’une mauvaise rencontre. « Samedi soir j'ai touché un OFNI (Objet Flottant Non Identifié). J'ai entendu un bruit qui me semblait venir de l'arrière du bateau. J'étais à l'intérieur mais j'ai pu voir un objet noir qui flottait derrière le bateau... malgré que le soleil soit déjà couché, il restait suffisamment de lumière pour que je regarde sous le bateau. Le safran est encore là et en entier : dur d'en dire plus. A l'intérieur, il n'y a pas de bruit ni de mouvement suspects et le bateau se comporte bien. A suivre...». Comme quoi tout peut arriver dans un tour du monde à la voile.
LES VOIX DU LARGE
François Gabart (Macif) : « Je ne sais pas ce que ça donne, là-bas en métropole, mais ici ça caille ! J'ai eu plusieurs averses de grésilles puis même des jolis petits flocons de neige ce matin ! Ce n'est pas tous les jours qu'il neige sur Macif 60. Il faut sortir les mitaines. C'est à n’y rien comprendre, c'est pourtant l'été ici, et on n'est pas si loin de l'Australie où j'imagine tout le monde en maillot sur la plage. C'est vrai qu'il y a quand même quelques kilomètres et au final on est certainement plus proche des pingouins de l'Antarctique. D'ailleurs on nous a découvert quelques icebergs devant nous, il ne va pas falloir s'éterniser dans le coin ».
Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) : « Le vent a un peu molli depuis ce matin. On est un peu moins sur le pont donc ça permet de faire le tour du bateau. On peut se reposer un peu plus facilement. Mais c’est bien chargé dans le ciel. Il a plu toute la nuit, il y a des grains mais là, ça se calme. On devrait avoir ces conditions jusqu’à la porte Est-Australie. Je pense qu’au niveau puissance du bateau, ce n’est pas mal. On baisse un peu le curseur quand les conditions sont difficiles. Des fois, c’est un peu chaud à bord pour se tenir, ça bouge beaucoup et ça mouille. C’est surtout dans les protections et le confort à bord qu’il faudra peut-être peaufiner pour les prochains tours du monde…».
Dominique Wavre (Mirabaud) : « La mer n’est pas très disciplinée. C’est assez abrupt. Le bateau connaît de grosses accélérations et des coups de frein. Ce n’est pas très facile mais ça tourne bien, je me fais plaisir. Pour l’instant, c’est un beau Vendée Globe. Je profite du moment présent, malgré trois jours pénibles, mais je pense que je vais bientôt les oublier. La course est un peu différente car elle a beaucoup évolué. Les vitesses aussi donc il y a plus de risque pour le bateau. Sinon humainement, la manière de gérer un Vendée Globe, c’est toujours la même chose. C’est très différent selon les vitesses. A 30 nœuds, on est encore dans des régions civilisées. A 40 nœuds, ça devient abrupt. A 50 nœuds, c’est terminé. On fait le dos rond et on ne cherche pas la vitesse. Les 60 nœuds, il faut les éviter. En gros, jusqu’à 40 nœuds, ça va. Après, il faut faire le dos rond et attendre que ça se passe ».
Bertrand de Broc (Votre Nom autour du Monde avec EDM Projets) : « Je dors un peu plus la nuit que le jour. J’essaie de trouver le sommeil car il y a beaucoup de bruit sur le bateau. La vie à bord est assez irrégulière. J’essaie de coordonner les repas en fonctions des manœuvres, des empannages et tout ce qu’il se passe autour. Mais la vie à bord se passe plutôt bien. Il faut réussir à garder un certain équilibre. La vie suit son cours et j’espère que ça va continuer dans le bon sens. Il y a eu beaucoup de moments super sympas et d’autres très difficiles qu’on ne dévoile pas tout le temps. Quand on part dans des manœuvres catastrophes qui se terminent bien, par exemple. Des fois, on arrive à se sortir de situations incroyables qu’on pensait perdues. On a des grandes sensations de vitesse surtout la nuit. Quand le bateau déboule à 24 nœuds dans la nuit noire, ce sont des images assez fortes. Il y a des images tellement différentes et incroyables. On vient aussi pour découvrir. Sur l’eau, on découvre tous les jours ».
Javier Sanso (Acciona 100% EcoPowered) : « Les dernières 24 heures ont été des plus prenantes : matossage, changement de voiles, 3 ris sous 50,3 nœuds, 5 empannages...Je suis plutôt fatigué et j'ai besoin de me reposer, de bien m'alimenter et de prendre un peu soin de moi car j'ai fini trempé plusieurs fois. Je ne m'attendais pas à ce que le front provoque tant de vents mais par ici, en bas, il faut penser à augmenter de 20% la prévision des vents, autrement on risque de se faire pincer les doigts. Encore une autre porte à passer : je suis content et je fais petit à petit cap vers le Pacifique. J'y arriverai d'ici 12 à 14 jours, j'espère qu'il nous recevra bien ! ».
CLASSEMENT
Positions du 16/12 à 16 heures : 1.François Gabart (Macif) à 12 883 milles de la ligne d’arrivée; 2.Armel Le Cléac´h (Banque Populaire) à 45,8 milles du leader; 3.Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec) à 471,7 m; 4.Alex Thomson (Hugo Boss) à 785,6 m; 5.Bernard Stamm (Cheminées-Poujoulat) à 831,7 m; 6.Jean Le Cam (SynerCiel) à 1 557,5 m; 7.Mike Golding (Gamesa) à 1 717,9 m; 8.Dominique Wavre (Mirabaud) à 1 899,8 m; 9.Javier Sanso (Acciona 100% EcoPowered) à 2 010 m; 10.Arnaud Boissières (Akéna Vérandas) à 2 506,6 m; 11.Bertrand De Broc (Votre Nom Autour du Monde avec EDM Projets) à 2 929,3 m; 12.Tanguy de Lamotte (Initiatives-Coeur) à 3 212,3 m; 13.Alessandro Di Benedetto (Team Plastique) à 3 872,9 m. Abandons : Marc Guillemot (Safran); Kito de Pavant (Groupe Bel); Samantha Davies (Savéol); Louis Burton (Bureau Vallée); Jérémie Beyou (Maître CoQ); Zbigniew Gutkowski (Energa); Vincent Riou (PRB).