
DU jamais-vu. La bataille que se sont livrée François Gabart et Armel Le Cléac'h a donné à la circumnavigation sans escale et sans assistance des allures de régate planétaire. Finie l'aventure, place à la course au contact autour du globe. L'Everest des mers avait déjà connu des duels légendaires: Michel Desjoyeaux contre Ellen MacArthur en 2000-2001 et Vincent Riou face à Jean Le Cam en 2004-2005. Mais lors de cette 7e édition, les deux hommes se sont échangé la politesse en tête de course à 20 reprises jusqu'au cap Horn.
Le leadership a parfois changé plusieurs fois de main dans la même journée, notamment dans les mers du Sud, sur un parcours contraint par les portes des glaces et laissant peu de place à la stratégie. Le 23 décembre, c'est ainsi François Gabart qui pointe en tête, mais Armel Le Cléac'h parvient à lui reprendre le leadership au classement de 12 heures ainsi qu'à celui de 16 heures. De même, le jour de Noël, si le skipper de Macif est en tête au classement de 16 heures, c'est celui de Banque populaire qui ouvre la voie au classement suivant, à 20 heures.
Au coude-à-coude dans le Pacifique le 29 décembre dernier, les deux marins ont même pu se filmer après plus de 15 000 milles de mer. «C'est hallucinant! Ramené à un autre sport, c'est comme si Usain Bolt gagnait le 100 m de 1 millimètre», commentait alors Gabart. Troisième à l'équateur et au cap de Bonne-Espérance, alors que Le Cléac'h était en tête, Gabart a repris ensuite l'ascendant sur son rival. Le skipper blond a franchi en première position le cap Leeuwin et le cap Horn, avec respectivement 1 h 50 et 1 h 15 d'avance sur le skipper breton. Un cheveu à l'échelle de la planète.
Si, depuis le cap mythique, François Gabart a définitivement pris les commandes de la course et réussi à faire le break, ce duel d'anthologie aura rythmé une majeure partie de la course. Le plus jeune des deux marins a peu à peu imposé sa loi, en passant du statut de chasseur dans l'océan Indien à celui d'ouvreur dans le Pacifique. Et la course s'est jouée, telle une régate, à une seule erreur. Quelques heures de navigations au nord des Malouines après le Horn et Le Cléac'h a concédé un retard qu'il n'a jamais pu combler face à un Gabart redoutable de maîtrise et de régularité.
Ce n'est pas la première fois que les deux marins se livrent un duel d'une telle intensité sur l'eau. En 2010, déjà, François Gabart et Armel Le Cléac'h s'étaient disputé la victoire sur la Solitaire du Figaro. Le skipper de la baie de Morlaix l'avait emporté de justesse au terme d'une course haletante, avec 1 h 28 d'avance sur son rival (quand même sacré champion de France de course au large en solitaire). Cette fois-ci, sur une autre course, mais qui aura ressemblé à une Solitaire géante, c'est le benjamin qui tire donc son épingle du jeu.
Cette lutte fratricide aux avant-postes de la plus rude des compétitions n'est pas le fruit du hasard. Les deux ingénieurs de formation, résidents du Pôle Finistère Course au Large, à Port-la-Forêt, se sont en effet élancés sur des bateaux quasi similaires, qui ont bénéficié de la marque de fabrique «Desjoyeaux». Macif a été construit d'après les plans de l'architecte Guillaume Verdier, et sur les conseils et le suivi technique de Michel Desjoyeaux. Quant à Banque populaire, il n'est autre que le sistership de Macif et est surtout l'ancien Foncia construit pour Michel Desjoyeaux à l'issue de son dernier Vendée Globe. Les deux voiliers étant quasiment identiques, c'est le marin qui a fait la différence, même si Gabart a pu bénéficier d'une «trinquette magique» que ne possédait pas Le Cléac'h dans sa garde-robe.